Les grandes familles de mots




« Un villageois économe »

La famille VICINAL


Patriarche indoeuropéen : *WEIK-, « clan » [1]


Les branches

1. Les deux ancêtres latins de la famille sont le nom : vicus, « bourg, quartier d’une ville », et villa (< *weik-s-la), « domaine rural, ferme ». En sont issus quelques mots au radical -vic- et un plus grand nombre en -vil(l)- :

- de vicus : vicinal, vicinalité et Vic en toponymie

- de villa : villa, vilain, vilenie, villégiature ; village, villageois, villanelle ; ville

et -ville, Villars, Villiers, Villers en toponymie


2. Le grand ancêtre de la branche grecque est le nom οι̃κος, oikos, « maison, habitation, résidence », dont la dérivation est très riche en grecque (notamment le verbe οικεω, oikeô, « habiter, administrer, gouverner »). En sont issus divers mots où le radical originel -οικ-, -oik- reste reconnaissable sous les formes : -oïqu-, -o (é) c-, -œc-, et -éco- :

monoïque, dioïque, monoécie, dioécie, synœcisme, euryèce, sténoèce (termes de botanique)

œcuménique, œcuménisme

diocèse, diocésain

économe, économat, économique, économie, économiser, économiste

écologie, écologiste, écolo, écologique, écomusée


3. Si le vocabulaire français n’a pas de mot propre issu de la branche germanique, cette dernière n’en existe pas moins et mérite d’être mentionnée ici au moins pour les suffixes toponymiques internationalement connus comme -wig, -wich, -wick, -wieck, -wyk que l’on trouve en finale de noms comme Greenwich, Braunschweig, Schleswig ou Brunswick.
Les invités masqués

1. Avec son radical -èqu-, qui le relie discrètement à la branche grecque, il se cache derrière un préfixe : métèque est un emprunt du grec μέτοικος, metoikos, « étranger domicilié à Athènes », proprement « qui change de résidence » formé de μετά, mét(a) et οι̃κος.


2. De son radical -oik- originel, il a perdu le k : paroisse est issu du latin chrétien parochia, altération d’une forme antérieure paroecia, transcription du grec ecclésiastique παροίκια, paroikia. (Voir Curiosités). Dérivés : paroissial, paroissien.


3. De son radical -vic- originel, il n’a guère gardé que l’initiale : voisin est issu du latin vicinus, même sens. Dérivés : voisiner, voisinage, avoisiner.

Curiosités

1. Du diocèse à la paroisse :

- diocèse est un emprunt au latin médiéval diocesis, du latin classique dioecesis, « circonscription administrative de l’Empire romain » (après la grande réforme de Dioclétien en 284), lui-même emprunté au grec διοίκησις, dioikêsis, proprement « gouvernement d’une maison », d’où « administration, gouvernement », et tardivement « province », formé du préfixe di- et de oikêsis, un dérivé de οικεω. Le mot fut employé en latin chrétien à propos d’une circonscription ecclésiastique confiée à un évêque.

- paroisse : c’est sous l’influence du latin classique parochus, « fournisseur des magistrats en voyage », mot également d’origine grecque, que παροίκια, dérivé du verbe παροικεω (< παρα-οικεω), « demeurer auprès de », avait pris le sens de « séjour dans un pays étranger » avant d’acquérir dans la langue chrétienne ceux de « communauté, église particulière » et « diocèse ». Il a gardé ce dernier sens concurremment avec diocesis jusqu’à la fin du XIe s. Paroisse a sa forme et son sens actuels depuis le XIIe s. En matière d’administration territoriale, le mot a connu un destin inverse à celui de diocèse : dès le XIIIe s. paroisse acquiert le sens de « circonscription rurale » qu’il conservera jusqu’à l’invention de la commune par la Révolution.


2. villa, village, ville :

Le latin villa a longtemps désigné une « propriété rurale », un « vaste domaine comprenant les terres et les bâtiments », une grosse ferme, dirait-on aujourd’hui, mais avec sa maison de maître. Au Ve-VIe s., il prit le sens de « groupe de maisons adossées à la villa », c’est-à-dire à peu près celui de notre actuel « village ». Il s’écrivit vile à la fin du Xe s., puis ville vers 1200, avec le sens de « réunion de maisons habitées, disposées par rues », soit déjà une petite agglomération urbaine. Pour désigner un village stricto sensu, il fallut donc créer le mot : le latin médiéval villagium est attesté en 1235 et village en 1390. Quant à la villa telle que nous la comprenons aujourd’hui, à savoir le degré au-dessus du pavillon, elle nous vient de l’italien, langue dans laquelle, dès le XIVe s., le mot désignait une « riche maison de plaisance agrémentée d’un parc », soit l’équivalent de notre « hôtel particulier » (cf. la Villa Medicis) ; de la grande villa latine il ne restait déjà plus que la maison de maître.


3. vilain est issu du latin villanus, habitant d’une villa. Il suffit de penser aux connotations péjoratives attachées depuis toujours à la condition paysanne pour comprendre l’évolution sémantique de ce mot, qui a par ailleurs évidemment subi l’influence de l’adjectif vil (cf. Homonymes et faux frères). Le proverbe jeux de mains, jeux de vilains atteste de cette évolution : il fait d’abord allusion au niveau social des intéressés (jeux de paysans), puis reçoit une signification morale (jeux de mauvaises gens). Le mot vilain ne s’utilise plus guère que pour faire la morale aux enfants : est vilain ce qui est « répréhensible » ; ou dans le sens de « mauvais » en parlant du temps qu’il fait, ou d’une petite maladie, d’un vilain rhume, par exemple.

Homonymes et faux frères

1. Il y a ville et vil !
vil est un adjectif issu du latin vilis, « à bas prix » d’où « méprisable ». Le mot a été senti à tort comme à l’origine de vilain.


2. école est sans rapport avec écolo. C’est un emprunt au latin classique schola, « loisir studieux ; leçon ; lieu où l’on enseigne » et bas latin « corporation, compagnie », du grec σχολή, scholê, « arrêt de travail », « loisir consacré à l’étude ; leçon ; groupe de personnes qui reçoivent cet enseignement ».


3. parois (pl. de paroi) est sans rapport avec paroisse. Paroi est issu d’un latin populaire *paretem, du classique parietem, accusatif de paries, « mur ». (Cf. esp. pared).


4. vice est sans rapport avec vicinal. C’est un emprunt au latin vitium, « défaut, imperfection, tare ; défaut physique, difformité, infirmité ; défaut (moral), vice ».


5. vice- (vice-roi, vice-président, etc.) est sans rapport avec vicinal. Il est tiré du latin vice, « à la place de, pour », ablatif adverbialisé du substantif vicis, « tour, succession, alternative », relevant d’une racine *WEIK- homonyme (cf. note 1), à laquelle nous devons aussi fois, voirie et week-end.

Dans d’autres langues indoeuropéennes

esp. diócesis, ecología, economía, ecumenismo, párroco, vecino, vecindad, villa, villano

port. diocese, ecologia, economia, ecumenismo, pároco, vizinho, vizinhança, vilão

it. parroco, parrocchia, vicino, vicinato, vico, villa, villano, villegiare

angl. diocese, ecology, economy, ecumenical, monoecious, parish, vicinage, vicinity, villa, village, villain, villanelle, villany, -wick

all. Diözese, Ökologie, Ökonomie, Ökumene, Villa, Weichbild

rus. вилла, эколог, экологический, экология, экономика, экономист, экономичный, экономный

Notes


1- Il y a quatre autres racines homonymes *WEIK- : de l’une est issu victime, d’une deuxième icône, d’une troisième victoire et de la quatrième l’élément week de week-end.










Les grandes familles de mots

par Jean-Claude Rolland

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