Les grandes familles de mots




« Le voyage en voiture d’un voyou »

La famille WAGON


Patriarche indoeuropéen : *WEGh- : « aller, transporter dans un véhicule » [1]

Les branches

1. Le grand ancêtre latin est le verbe veho, vehere, participe passé vectus, « transporter », accompagné de ses dérivés vehiculum, « moyen de transport », vectura, « transport ; prix du transport », etc. En sont issus tous les mots en -véhic- ou -vect- :

véhicule, véhiculer

vecteur, vectoriel, invective, invectiver


2. On s’accorde généralement pour considérer le nom latin via, « route pour les chars » comme issu d’une forme *weghya, que l’on rattache à notre racine. Avec ses dérivés viare, « voyager », viaticus, « de voyage », devius, « hors de la route, écarté, détourné », etc., via est donc un deuxième grand ancêtre de la famille, celui d’où sont issus le verbe dévier et presque tous les mots en -via- :

via, viabilité, viaduc, viatique, déviation, déviant, déviance, déviationnisme, déviationniste, trivial, trivialité, trivialement


3. Ces ancêtres latins et leurs dérivés se sont naturellement beaucoup déformés au fil des siècles : via est devenu voie, vectura est devenu voiture, etc., au point d’aboutir à une série unique de mots en -voi- ou -voy- qui constituent pour ainsi dire la branche française de la famille :

voie, voyage, voyager, voyageur, voiture, voyou, envoi, renvoi, envoyer, envoyeur, renvoyer, convoi, convoyer, fourvoyer, dévoyer


4. Si nous avons aussi une branche germanique pour cette famille, nous le devons une fois de plus à l’anglais, langue à laquelle nous avons emprunté le mot wagon, et l’élément -way de tramway, tous deux issus de la forme germanique reconstituée *wegan, « transporter ». Tramway est souvent raccourci en tram et wagon a fait un petit : wagonnet.

L’invité masqué

Clairement d’origine germanique, il a remplacé le w de wag- par un v : vaguemestre, emprunt au néerlandais wagenmeester, « officier chargé de veiller à la bonne marche des convois militaires ».

Pour l’élément -mestre, voir la famille MÉGALO.

Curiosités

1. se fourvoyer, c’est « se tromper de chemin, suivre la mauvaise voie ». On devine que c’est l’élément four- qui y est porteur de l’idée de « mauvais ». Cet élément est issu de l’adverbe latin foris, « à la porte, dehors » (> fr. hors) ; il a fini par être porteur du sens péjoratif d’« excès » ou de « mal ». On le retrouve avec ces divers sens et sous diverses formes : four-, for-, fau-, dans des mots comme

- fourbu : participe passé de l’ancien verbe forboire, « boire à l’excès ». D’abord appliqué au cheval ayant trop bu, s’est appliqué ensuite à quiconque était fatigué par excès de boisson, puis pour toute autre raison.

- forcené : participe passé de l’ancien verbe forsener, « être hors de son bon sens. »

- forclos : participe passé du verbe forclore, « enlever à quelqu’un la possibilité d’agir en justice après l’expiration d’un certain délai. »

- forain, du bas latin foranus, « étranger ».

- forfait : « mauvaise action ». [2]

- faubourg : altération, sous l’influence de faux, de fors bourg, « partie de la ville située en dehors des remparts. »


2. trivial : emprunt au latin trivialis, adjectif tiré de trivium, qualifiant proprement un carrefour à trois voies et par extension un lieu public et fréquenté, d’où la notion de « qui traîne dans les rues », et finalement « vulgaire, grossier ». (Pour l’élément tri-, voir famille TROIS).


3. voyou signifie littéralement « celui qui court les rues, enfant des rues ». La finale -ou est peut-être empruntée à filou, mot sémantiquement proche. Il a un féminin, voyoute, et un nom d’action, voyouterie, mais ils sont peu usités.

Homonymes et faux frères

1. Il y a vague, vague et vague !

- vague, l’adjectif, est un emprunt au latin classique vacuus, « vide, inoccupé » ; la langue hésite au Moyen Âge entre les formes vaque et vague ; cette dernière forme a triomphé par confusion avec vague, l’adjectif-nom ci-après. (Voir famille VIDE).

- vague, l’adjectif-nom, est un emprunt au latin classique vagus, « vagabond, errant, qui va à l’aventure  » ; puis « inconsistant, ondoyant, flottant, indéterminé, indéfini ». L’origine de vagus est inconnue, le rapport avec vacuus n’étant pas établi. Vague a des emplois nominaux (au masculin), notamment dans les locutions avoir du vague à l’âme et rester dans le vague. Dérivé : vaguement.

- vague, le nom féminin, est la francisation de wage, mot d’origine incertaine, probablement apparenté à l’anglais wave, mais il est difficile d’aller plus loin.


2. Il y a viabilité et viabilité !

viabilité, du latin viabilis, « où l’on peut passer », lui-même issu de via, « chemin, voie » (la viabilité d’une route), est bien de la famille.

viabilité, du français viable, « qui peut vivre » (la viabilité d’une entreprise), est un dérivé de vie. (Voir famille VIVRE).


3. Il y a voie, voie, vois, voit et voix !

- voie, vois, voit sont des formes du verbe voir. (Voir famille VIDEO).

- voix, nom féminin, est issu du latin vox, même sens. Dérivés : vocal, vocalise, voyelle.


4. évier, nom masculin, est sans rapport avec le verbe dévier ; il est issu du latin vulgaire *aquarium, substantivation de l’adjectif aquarius signifiant « qui concerne l’eau », lui-même issu de aqua, « eau », dont les principaux dérivés sont : eau, aiguière, gouache, aquarelle, aquatique, aqueux, aqueduc, aquarium.

Dans d’autres langues indoeuropéennes

esp. enviar, obvio, todavía, tranvía, vagón, vehículo, vía, viaje, viático

port. enviar, todavia, tranvia, vagão, veículo, via, viagem, viajar, viático

it. ferrovia, vettura, via, viaggiare, viaggiatore, viaggio, impervio

angl. always, away, impervious, inveigh, obvious, railway, tramway, vehicle, voyage, wagon, way

all. Wagen, Wagenhaus, Wagner, Weg

rus. вагон, вектор, виадук, трамвай

Notes

1 Certains étymologistes rattachent également à cette racine *WEGh- le verbe latin vexo, vexare, « agiter, maltraiter » (> fr. vexer) et son dérivé victis, « levier » (> fr. vit) ; les autres considèrent qu’il s’agit d’une racine homonyme.

2 À ne pas confondre avec son homonyme forfait, « contrat », où l’élément for- est une altération de l’ancien français fur, « taux », du latin forum, « marché, prix ».








Les grandes familles de mots

par Jean-Claude Rolland

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