Grammaire de la langue normande


GRAPHIES:

Le normand est une langue à tradition littéraire ancienne. En revanche celle-ci fut en sommeil pendant plus de 500 ans, perdant ainsi sa graphie d'origine. Aujourd'hui, de nombreuses graphies se font concurrence. Certaines, comme la graphie du cauchois, prennent la graphie française comme référence. D'autres tentent de revenir à la tradition graphique, ou encore essayent de décrire la phonologie de tel ou tel parler de manière très précise. Ainsi, on ne peut vraisemblablement pas parler d'une graphie normande, mais de plusieurs : de la graphie du Roman de Rou à la graphie Lechanteur, en passant par celles de l'anglo-normand, du guernesiais, du serquiais, etc ... Nous allons voir quelles sont les particularités, les atouts et les défauts de chacune d'elles, puis nous définirons la graphie que nous emploierons pour cette description de la langue normande.

I] Le Roman de Rou et la graphie anglo-normande:

L'une des plus anciennes graphies de la langue normande est sans doute celle de l'anglo-normand, entre autres employée par Wace dans son Roman de Rou, l'épopée nationale normande. Encore une fois, il n'existe pas réellement d'unité orthographique au sein de l'anglo-normand, mais on y retrouve quelques particularités graphiques communes que nous allons ici décrire.

- Tout d'abord, nous pouvons noter une forte utilisation de la lettre "k" correspondant à la graphie française "qu". On trouve notamment les mots ke (que) et kikunke (quiconque). Dans la graphie anglo-normande, cette lettre tend même à remplacer la lettre "c" (cf. kar (car)).

- Les diphtongues nasales du normand sont respectivement écrites aun et oun, comme dans kaunt (quand) et pound (pont).

- Le "u" des voyelles et diphtongues graphiées "doubles" (au, eu) est fréquemment remplacé par un "o". Ex : aovrir/auvrir/ouvrir ; ceost/çost/ceux ...

- On remarque aussi la graphie "oo" employée aux côtés de "ouo" et "eue", et qui a sans doute influencé la graphie anglaise "poor".

- La diphtongue "ey" issue de "es" s'écrit "ei", sauf devant un "ch" où elle reste "es". Ex : meime, beite, mais preschier.

- Enfin, une remarque orthographique qui distingue le vieux normand du vieux français : les terminaisons françaises -ons et -ez correspondent au Normand -om et -es.

II] La graphie cauchoise:

La graphie du cauchois est sans doute la graphie la plus francisée que le normand aie jamais connue. Elle connait un essor dès le 17è siècle. On la retrouve dans plusieurs textes campagnards ou même dans Le Coup d'œil purin, "journal" rouennais du 18è siècle. Il y a très peu de choses à dire sur cette graphie étant donné qu'elle est la même que celle du français actuel. En revanche, on peut y trouver quelques originalités qui font ressortir la prononciation de la langue.

- On retrouve notamment la diphtongue "yao" perdue en français et transcrite en Cauchois par "iau". Ex : biau, viaux, etc ...

- Le vieille diphtongue normande ne s'écrit plus "ei" mais "ai". Ex : vair (voir)

- Chaque voyelle nasale ã ne se retrouvant qu'en normand s'écrit "an". Ex : bian (bien) ; man (mon) ...

- La terminaison en "-er" des verbes s'orthographie en "-ai", due à une prononciation très ouverte. Ex : envyai (envoyer) ...

III] La graphie guernesiaise et jerriaise:

La graphie du guernesiais telle qu'on la connait actuellement est celle mise au point par Georges Métivier, un poète issu de ces terres au 19è siècle. Cette graphie est à l'origine de la graphie du jerriais, mais aussi de celle mise au point par Fernand Lechanteur. Cette graphie, tout comme celle du cauchois, est très francisée. Cela tient sans doute d'un désir de se rapprocher de la langue française afin de mieux se distinguer de la majorité anglaise. On retrouve tout de même dans cette graphie, un retour à la tradition normande, ainsi qu'une originalité qui la distingue du Français.

- Tout d'abord, le guernesiais (mais pas le jerriais) revient à la tradition normande du "k".

- La mouillure du "l" après occlusive, est transcrite par "ll" tout comme en catalan.

- La palatalisation du "qu" s'écrit "tch".

- La palatalisation du "gu" s'écrit "dg".

- La diphtongue "ao" est transcrite "au".

- L'ancienne diphtongue "ei" s'écrit simplement "é".

- Les vieilles diphtongues nasales s'écrivent en guernesiais : "àn" (aun) et "aon" (oun).

IV] La graphie de Liddicoat:

Cette graphie se démarque très fortement des autres car elle ne suit aucune tradition graphique. Elle fut mise au point au 19è siècle par Antony Liddicoat afin de transcrire le serquiais. Cette graphie a l'avantage certain de se détacher de toute autre langue afin de retranscrire le plus exactement possible les sons du normand. Mais une telle graphie reste cependant dénuée de toute identité par rapport à la langue qu'elle représente. Nous allons en décrire ici ses principaux traits.

- Les voyelles ou, eu, u, an, in, ai, et on se notent respectivement : u, ö, ü, ã, ê, ee, õ.

- Les semi-voyelles "y" et "w" s'écrivent de manière phonétique : "y" et "w".

- Chaque consonne finale se prononce. Ce qui donne des complications du genre : normã / normãd ...

- Le son "k" s'écrit uniquement par cette même lettre.

V] La graphie Lechanteur:

La graphie Lechanteur est sans doute la plus connue. Elle fut mise au point au début du siècle dernier par le linguiste Fernand Lechanteur et sert à représenter le normand continental. Malgré un désir de trouver un compromis entre tradition et prononciation du normand actuel, cette graphie reste une graphie très fortement francisée : elle pourrait retranscrire aussi bien du français que du normand.

- la consonne "tch" s'écrit "qu" devant "e" et "i".

- La consonne "k" s'écrit aussi "qu" devant "e" et "i".

- Les diphtongue aun et oun sont remises au goût du jour.

- Les diphtongues "ao" et "yao" s'écrivent respectivement "âo" et "iâo".

- La diphtongue "wo" s'écrit "ouo".

- Le "xh" s'écrit "h".

- Le "h" muet reste comme en français, alors que le vieux normand écrit éstoére à la place de histouère.

- La diphtongue "ey" (à certains endroits préservée) prend la forme française "ê". Ex : bête [bèytt].

- La terminaison du participe féminin s’écrit -aée, alors qu'elle se prononce aye ou èye ...

- Les diphtongues françaises "ie" et "ien" deviennent "yi" et "yin" en normand.

VI] Conclusion:

Le normand a donc connu de nombreuses graphies et en connait toujours autant aujourd'hui. Hélas, beaucoup des graphies modernes sont francisées à l'excès. Si bien, qu'elle ne sont plus à même de transcrire le français que le normand. De nos jours, le graphie Lechanteur est en quelque sorte la graphie de référence. Pourtant, cette graphie est encore loin d'être normande : elle suit la tendance actuelle à la francisation des langues d'oïl, et ainsi, n'est que la variante normande de la graphie française. Autrement dit, contrairement à la langue normande, la graphie normande est indiscutablement issue du français. Nous pourrions même aller jusqu'à cette question : La graphie normande n'est-elle pas le principal facteur de la francisation du normand ?







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