Totjorn bordonejava
Le premier achat des familles est généralement celui du fer à repasser. Mais cela n’empêche pas, par mesure d’économie, de se servir des vieux fers qu’il faut chauffer sur la plaque du fourneau. Certains achètent des postes radio à galène, comme Monsieur le curé Barral. Etienne Marioge se souvient des soirées passées chez lui avec ses amis : « On cherchait avec un fil, sur la galène. Totjorn bordonejava », ça bourdonnait toujours. « Monsieur Barral nous disait : Vous verrez, un jour il y aura des images. On y croyait pas trop. »
A partir de la fin des années 50 la population s’équipe peu à peu en « télévisions », machines à laver, « frigidaires » et autres appareils. Les critiques ne se font pas attendre : les machines à laver escagassent (abîment) le linge, la télévision empêche les enfants de faire leurs devoirs, avec le mixeur on ne fait pas de la purée mais de la colle, la soupe n’a pas le même goût que celle passée au moulin à légumes.
Les premiers propriétaires de postes de télévision sont « le Château », puis le café, pour des raisons professionnelles, et des pélos comme Aimé Martin ou Etienne Bouet. Mais d’autres, bien moins riches, en achètent également, en particulier Fernando. C’est un ouvrier maçon, immigré italien de surcroît, et père de famille nombreuse ! Autant dire qu’il est situé au bas de l’échelle sociale villageoise. Le commérage se déchaîne : « Avec cinq enfants, il aura payé son poste grâce aux allocations familiales ! » En fait, n’étant pas propriétaire, Fernando n’a pas le souci d’économiser pour acheter des terres ! Il peut dégavailler, gaspiller. En toute rigueur, il faut ajouter qu’il est très habile et améliore ses fins de mois en effectuant divers travaux de bricolage pour les gens. Mais si Fernando achète, parmi les premiers, une télévision, c’est peut-être aussi pour le plaisir de « dire merde à tout le monde ».
Source : R. Domergue, Des Platanes, on les entendait cascailler, éd.RD, p. 77
(Etude de la vie quotidienne dans un village du pays de Nîmes, Gard)
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