Abrivado

 

 

            On traduit généralement abrivado par arrivée. En effet c’est l’arrivée des taureaux dans un village - ou  même en ville - entourés par des gardians à cheval, généralement à l’occasion de la fête votive locale. Toutefois Monsieur Maillan, manadier bien connu, nous précise que la traduction correcte du mot est accélération. Abrivar signifie s’élancer. Pour comprendre cela il faut faire l’historique de l’abrivado.

            Dans le temps, les biòus (taureaux de Camargue) étaient traditionnellement conduits des prés de Camargue jusqu’aux arènes où avait lieu la course. Les gardians effectuent le trajet plan-planet, c’est-à-dire au pas : il s’agit de ne fatiguer ni les taureaux ni les chevaux. Un gardian se place en tête du cortège, les taureaux suivent, l’un derrière l’autre. Un gardian ferme la marche.

            La tradition veut que, lorsque les taureaux arrivent au village, les jeunes s’efforcent de les faire échapper avant leur entrée dans l’arène, jeu qui n’est pas du goût des manadiers puisqu’ils ne sont pas payés si la course ne peut avoir lieu. Toutefois, ce qui arrive le plus souvent, c’est que les gardians finissent par rattraper les taureaux , quitte à ce que le spectacle prévu pour l’après-midi commence avec un peu de retard. D’ailleurs si les gardians ne réussissent pas à récupérer les taureaux échappés, les jeunes viennent à la rescousse : eux aussi tiennent à ce que la course ait lieu.

            L’intérêt du manadier est que l’abrivado se déroule le plus efficacement possible, non seulement cela lui évite de perdre du temps mais cela réduit également les risques de voir des taureaux ou des chevaux se blesser dans des poursuites périlleuses. D’où ce mouvement d’accélération à l’entrée du village.  Abrivo ! lance le manadier dès l’arrivée au village. 

Dessin Eddie Pons

 

            Alors les gardians éperonnent leurs chevaux de manière à traverser le village à vive allure. Dans le même temps chevaux et taureaux forment un groupe compact. Les chevaux forment un  barrage de chair, c’est-à-dire que les gardians les font mettre côte à côte pour que les jeunes ne puissent pas les attraper et les faire s’échapper.

            Avec les possibilités modernes de transport, les taureaux destinés aux courses camarguaises sont désormais véhiculés en char. Cela aurait normalement dû conduire à la disparition des abrivados. Or celles-ci existent encore et s’étendent même dans tout le pays. Mais elles n’ont plus lieu avec les taureaux de la course car les manadiers ne veulent pas risquer d’abîmer ces derniers : soit qu’ils se désapèsent (s’abîment les sabots) sur le bitume, soit qu’ils se cassent une patte en tombant. D’ailleurs taureaux pour les abrivados et taureaux  pour les courses sont nettement séparés dans l’esprit de tous les manadiers d’une certaine importance. Monsieur Maillan précise : " Pour les abrivados, il faut des bêtes pas très combatives, peu agressives... en fait, les qualités d'un taureau d'abrivado font les défauts des cocardiers. " Certes les cocardiers sont réservés aux courses à la cocarde, c’est-à-dire aux courses avec raseteurs qui n’ont lieu que dans des arènes d’une certaine importance, mais même s’il s’agit d’une fête dans un village reculé, les manadiers établiront une distinction entre taureaux d’abrivado et taureaux pour la course. Il existe par ailleurs des manadiers - le terme entrepreneurs d’abrivado conviendrait mieux - qui se font une spécialité des abrivados : ils achètent les "mauvais taureaux" à un confrère centré sur l’activité plus prestigieuse qu’est la course à la cocarde, et les entraînent dans l’élevage pour en faire des taureaux d’abrivado.

            Ainsi l’abrivado n’est plus fonctionnelle, au sens des sciences sociales, elle est devenue un spectacle autonome, sans lien avec la course camarguaise. D’ailleurs souvent les taureaux ne sont plus conduits jusqu’aux arènes mais de char à char : le manadier place un char à chaque bout du parcours, et les taureaux, lâchés du premier sont amenés jusqu’au second par les gardians à cheval.

            Toutefois certains éléments de la coutume subsistent puisque les jeunes cherchent toujours à faire échapper les taureaux. Et dans de nombreux villages le vocabulaire ancien s’est maintenu :  Avise, le biòu,.. agante-le,... arape-lui la couette,...tiens-lui bien les bannes... le biòu a escapé.. ” Ce qui se traduit par : Attention, le taureau... attrape-le... attrape-lui la queue... tiens-lui les cornes... le taureau a échappé.

            Retenons toutefois que bien qu’elles aient perdu une grande partie de leur sens originel, les abrivados restent une des rares manifestations de la culture camarguaise durant la Féria.

 

                        Larges extraits de l’article de Malorie Capelle et  Magali Grenier

 

Source : La Féria de Nîmes, tome 1, éd. AL2, 1994. Sous la direction de R Domergue. 

 

 

 

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