Resquille

 

 

            Nous avons demandé aux anciens ce qu’il en était de la resquille, de leur temps, c’est-à-dire dans les années 50-60, époque des premières férias. A lire leurs réponses, les arènes étaient le lieu de prédiction des feinteurs. On a même l’impression que tous les garçons ont fait cela, et même quelques filles pas dégonflées ! Le plus simple moyen d’entrer en fraude dans les arènes, en tout cas le plus cité était l’escalade des grilles, bien que quelques interviewés se souviennent d’y avoir laissé une partie de leur pantalon. 

            « Même Casas [le directeur des arènes] s’est fait les grilles ! » Faire les grilles ! Expression récurrentge, retrouvée dans nombre de témoignages.  « Hé oui, comme tous les petits nîmois, je faisais les grilles ! C'est notre tradition, on a ça dans la peau ! » nous déclare un interviewé qui précise : « La resquille aux arènes, c'était une institution. Même avec de l'argent, on cherchait à resquiller. Juste pour le sport ! » Car il s'agit généralement d'un sport, où chacun choisit sa discipline. A côté de ceux (le plus grand nombre) qui racontent être passés par dessus les grilles, d'autres prétendent l'avoir fait par dessous !... ou, en tout cas, avoir vu des personnes s'introduire ainsi dans les arènes, ce qui est difficile à imagine. D'autres affirment encore s'être glissés entre les grilles. Un de ceux-là nous explique qu'avec ses amis ils attendaient que, la nuit venue, les rues soient désertes, pour ne pas être vus en train de dessouder les grilles des arènes ! Un deuxième nous dit qu'ils écartaient les barreaux à l'aide d'un cric ! Réalité ou affabulation ? Une chose semble certaine, c'est qu'à l'époque, quelques grilles du secteur compris entre le Palais de justice et le Cheval Blanc étaient un peu plus écartées, et qu'il suffisait de ne "pas être trop épais" pour se glisser entre les barreaux ou entre pierres et barreau du bord

            Mais il n’y a pas que les grilles proposées à l’imagination des resquilleurs ! Un interviewé parle d’un réseau souterrain qui, via les égouts, mènerait à des bouches d’évacuation de l’eau situées au niveau de la piste des arènes. Toutefois les détails de l’accès ne sont pas fournis. Pour vous consoler voici quelques astuces que nos informateurs nous ont dévoilées. Peut-être certaines sont-elles encore valables aujourd’hui ? A vous de les essayer, la maison décline toute responsabilités à l’égard des utilisateurs. D’abord la superposition des tickets, évoquée par plusieurs personnes. Il suffit de présenter à l’entrée trois ou quatre tickets superposés, dont un (soigneusement dissimulé dans le paquet) a déjà été utilisé. « Le contrôleur les compte vite fait, il déchire du côté des talons sans chercher à comprendre, et sans problème on fait passer le collègue à l’oeil. » A une époque, il était bien connu que l’on pouvait entrer dans les arènes en se glissant au sein d’une peña, mais la limitation du nombre de peña et la surveillance renforcée ont rendu cette stratégie très aléatoire. Plus malin, mais peu accessible aux adultes, voici ce qu’André faisait étant gamin, lorsqu’il se faufilait pour passer sans billet : « Si un contrôleur me repérait, je me mettais à courir en hurlant PAPA, PAPA, et s’il m’attrapait j’expliquais que mon père m’avait perdu dans la foule. »

            Une fois dedans, la resquille pouvait continuer en direction des numérotées. « Tu prenais des billets pour en haut et tu te retrouvais en bas ! » Les jours où les numérotées ne sont pas très remplies, cette resquille est sans risque, tant le service d’ordre se trouve débordé par le flot, massif et vigoureux, des feinteurs qui s’écoule vers le bas. D’ailleurs René Chavanieu, grand ancien de l’Union Taurine et célèbre dans tout le Midi de la France pour son franc parler, nous explique qu’au fond la direction doit être bien contente de cet état de fait puisque il faut mieux pour assurer l’ambiance que les rangs du bas soient bien remplis. Et quand la cuvette est pleine ? Intervient alors le complément nécessaire à la théorie de la dégringolade, celle de l’esquichage. « Tu sais, petit, de la place, il y en a toujours ! La matière humaine a la propriété d’être très compressible. »

            Notre interlocuteur, visiblement inspiré par le sujet, propose même une approche de la resquille que les professionnel du marketing devraient méditer : « Si j’étais directeur j’organiserai la resquille ! Je mettrais au service d’ordre des pépés à la retraite. Comprends ! Un jeune qui n’a pas envie d’aller aux arènes parce que ça l’intéresse pas, s’il voit à l’entrée un vieux qui peut pas beaucoup marcher et qui gueule fort, ça lui donne envie de feinter. Alors il se débrouille pour rentrer, il s’installe et regarde. Qui sait ! Ca peut lui plaire. Et trois ans, quatre ans après, il revient avec bobonne, et là il paye deux places. » Cette façon de voir, comme d’autres du même personnage, n’a pas dû séduire Simon Casas, car les grilles ont été changées pour d’autres, plus hautes, à l’époque où Jean Bousquet était maire et lui-même directeur des arènes.

 

            Légère adaptation de l’article de Mathieu Trémolet.

 

Source : La Féria de Nîmes, tome 2, éd. AL2, 1996. Sous la direction de R Domergue

NB : Depuis 2003 un service d'ordre musclé rend très périlleuse la "dégringolade".

 

 

 

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