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[ TÉMOIGNAGE ] Mes souvenirs de 1989 (Timişoara) - Cultures & traditions - Forum Babel
[ TÉMOIGNAGE ] Mes souvenirs de 1989 (Timişoara)

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András
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Messageécrit le Saturday 02 Feb 08, 13:17 Répondre en citant ce message   

Lire également le témoignage de Piroska Mes souvenirs de 1956 (Budapest) - [ José ]

A la demande de Piroska, dont la relation d'octobre '56 à Budapest m'a rappelé décembre '89 à Timişoara, je me lance aussi dans la relation de mes souvenirs. Les commentaires relatifs à ce fil se trouvent ici.

Automne 1989

L'atmosphère est sombre et morne à Timişoara. Les coupures d'électricité ont déjà commencé. Chacun pense aux difficultés de chauffage qui l'attendent, comme aux rations alimentaires (50 g de mélange de beurre et de margarine, un demi-litre d'huile de tournesol, un kilo de sucre par mois et par personne) qui ne sont même pas assurées.

Comme tous les gens dans mon entourage, je ne regarde pas la télévision roumaine (deux heures d'émission par jour, rien que de la propagande), je n'écoute pas la radio roumaine, je ne lis pas les journaux roumains, mais on s'intéresse à la politique. On a la possibilité de regarder les télévisions yougoslave et hongroise, et d'écouter Radio Free Europe. On sait que l'Europe de l'Est est en ébullition : en Bulgarie, le chef du parti communiste est limogé, en Tchécoslovaquie se déroule la "révolution de velours", en Allemagne de l'Est des manifestations rassemblent des centaines de milliers de personnes, en Hongrie les communistes au pouvoir négocient le passage à la démocratie avec les partis d'opposition. On entend tout ça à Radio Free Europe et surtout on voit ce qui se passe grâce aux télévisions étrangères.

Nous sommes désespérés: chez nous, en Roumanie, rien ne bouge. Quel contraste avec le reste de l'Europe de l'Est ! En nous rencontrant entre amis et collègues, nous parlons de tout ça avec amertume. On répète un vieil adage sur le peuple roumain, selon lequel "Mămăliga nu face explozie" (La polenta n'explose pas). (C'est la nourriture de base traditionnelle du paysan roumain).

Novembre 1989

Le XIVe congrès du parti communiste commence. On ne sait pas encore qu'il sera le dernier. Dans l'air flotte comme un espoir qu'il se passera quelque chose à ce congrès, qu'il se trouvera, peut-être, au sommet, quelques communistes un peu plus courageux ou plus réalistes que les autres, qui feront une révolution de palais pour écarter Nicolae Ceauşescu, que tous considèrent comme la cause de tous les maux.

Je me rappelle qu'un jour, pendant une heure creuse entre deux cours, je suis dans la salle des profs et dans la salle à côté la télévision est allumée. On transmet en direct le discours-fleuve de Ceauşescu au congrès. C'est lui qui, comme d'habitude, présente l'interminable rapport du comité central. Dans cette salle il n'y a que deux ou trois personnes. On entend la déjà archi-connue langue de bois de Ceauşescu. Je me dis que rien ne changera dans ce pays. Bien entendu, rien de nouveau ne se passe à ce congrès.

Pourtant, l'atmosphère générale est changée. Pour la première fois, on n'a pas peur les uns des autres, chacun commente sans se gêner ce qui se passe en Europe de l'Est. On ne pense plus à la securitate, cette police politique présente partout. C'est une espèce de courage du désespoir quand on constate que, à part l'Albanie, la Roumanie est le seul pays d'Europe où rien ne change.

La télévision hongroise donne parfois des reportages sur László Tőkés, le pasteur protestant calviniste de Timişoara (devenu par la suite évêque* et aujourd'hui député indépendant au Parlement européen). Les paroissiens de l'église de ce pasteur appartiennent tous à la minorité hongroise (une partie des Hongrois de Roumanie sont les seuls à appartenir à ce culte). Nous apprenons avec beaucoup d'admiration que ce pasteur fait de la résistance au régime en s'indignant au sujet des droits bafoués de la minorité hongroise ou de la liberté religieuse foulée aux pieds. Nous entendons dire aussi qu'il est tracassé par la securitate et par la justice. A Radio Free Europe nous entendons dire qu'une décision du tribunal local l'oblige à évacuer son logement de fonction et à quitter la ville.

* en Transylvanie le calvinisme de l'Église Reformée est épiscopal.
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András
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Messageécrit le Sunday 03 Feb 08, 12:34 Répondre en citant ce message   

15 décembre 1989

Comme tous les matins, je prends le tramway pour aller à mon lycée. Il passe juste à côté du temple protestant où se trouve aussi le logement du pasteur. Par une vitre du tram, je vois un groupe de personnes rassemblées devant le lieu de culte. Je me demande ce qui peut bien se passer. Au lycée j'en parle avec des collègues. Ils m'apprennent que ce jour-là le pasteur doit être évacué de force. Quand je rentre, je constate que le groupe devant le temple s'est agrandi.

16 décembre

C'est samedi, le dernier jour du trimestre scolaire. Je vais à mon lycée. Le groupe devant le temple est encore plus important que la veille. Je reste au lycée toute la journée, parce que l'après-midi il y conseil de clôture du trimestre. Deux de mes collègues et moi, on décide de rentrer à pied pour voir de plus près ce qui se passe.

Il est cinq heures et demie, six heures environ. Quand nous passons devant le temple, la foule est telle, que nous devons descendre sur la chaussée. Tout le trottoir est occupé par des gens. A une dizaine de mètres nous remarquons une femme que nous connaissons bien de vue: c'est un officier de la securitate chargée de s'occuper de notre établissement. Nous nous disons que cette fois il se passera quelque chose, mais quoi? On ne peut pas le savoir.

Le soir même, je sors avec mon chien. Je me dirige vers le temple pour voir ce qui se passe. Je m'arrête à un coin de rue avant celui où se trouve le temple. La foule est de plus en plus dense, elle bloque la voie des trams, qui sont arrêtés. Je fais demi-tour et je rentre.

Dimanche 17 décembre, dans la matinée

Le matin je sors de nouveau avec mon chien. Le quartier du temple m'attire irrésistiblement. Il est à peu près dix heures. Jamais je n'avais vu un spectacle comme celui qui s'offre à mes yeux: toutes les vitrines des magasins de la rue, qui est très commerçante, sont brisées. Depuis le pont qui enjambe la rivière qui traverse la ville, je vois un tuyau de sapeurs-pompiers dans l'eau.

Dans la rue il y a beaucoup de gens, énormément de gens pour un dimanche. Tout le monde regarde les vitrines mais personne ne parle. Les employés des magasins ramassent les éclats de verre.

A part la foule de badauds silencieux, je vois beaucoup d'individus armés et en uniforme. Ce sont des agents de police ou des soldats (des appelés) des troupes du ministère de l'intérieur (ils avaient les mêmes fonctions que les C.R.S. en France). La rue du temple protestant est bloquée par deux bus. En rentrant chez moi, je rencontre, non loin du centre-ville, un collègue qui me raconte ce qui s'est passé la veille. Il y a eu une grande manifestation et les forces de l'ordre se sont affrontées avec les manifestants. Le tuyau de pompiers provenait d'un canon à eau attaqué par les manifestants.

(J'ai appris plus tard la chronologie des événements. Un groupe de paroissiens protestants était resté devant le temple en allumant des bougies et en priant, du matin du 15 jusqu'au soir du 16, pour empêcher l'évacuation du pasteur. Des passants se sont ralliés à eux, des gens de toutes confessions et de toutes les ethnies de Timişoara. L'après-midi du 16, le maire communiste est venu et a essayé de calmer la foule. Le pasteur a fait de même, en demandant aux gens de se disperser, mais en vain. A un moment, quelqu'un est monté sur le toit d'un tram bloqué par la foule qui débordait sur la chaussée et s'est mis a crier "A bas Ceauşescu!", "A bas le communisme!". La foule a repris les slogans. Les forces de l'ordre sont venues et des pompiers avec des canons à eau, pour disperser les manifestants, ce qui n'a pu être fait que plusieurs heures après, au prix d'affrontements et de centaines d'arrestations. Voilà que "la polenta a explosé" quand même).


Dernière édition par András le Tuesday 11 Nov 14, 9:52; édité 3 fois
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András
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Messageécrit le Tuesday 05 Feb 08, 0:46 Répondre en citant ce message   

17 décembre, après-midi

Comme j'ai très peu dormi la nuit d'avant, j'essaye de faire la sieste. Je m'assoupis à peine, que vers quatre heures et demie, cinq heures, je suis réveillé par des crépitements de rafales d'armes automatiques. J'en conclus que les manifestations ont repris et que cette fois c'est beaucoup plus sérieux.

Sur le moment je n'ose pas aller dehors, mais vers sept heures, après la tombée de la nuit, je ne tiens plus en place. Avec ma femme et une amie, on sort. Il fait étonnamment chaud pour décembre, de 15 à 17 °C. Plus on approche du centre-ville, plus les rafales s'intensifient. La situation nous semble très absurde: en apparence tout est normal, les gens vont et viennent comme d'habitude dans les rues, mais des coups de feu et des rafales d'armes automatiques constituent une toile de fond sonore inhabituelle.

Nous abordons deux personnes pour leur demander ce qui se passe. Elles nous disent qu'au centre des militaires tirent sur les manifestants. On n'arrive pas à les croire mais elles nous affirment qu'il y a déjà des centaines de morts. L'une des personnes nous dit même avoir vu un militaire tirer à bout portant sur la tête d'un manifestant. On s'approche le plus près possible du centre-ville et on s'arrête à un coin de rue. Soudain, des gens courent vers nous à toutes jambes. On n'ose plus continuer, on fait demi-tour et on rentre.

Cette nuit-là je mets très longtemps à m'endormir. Les coups de feu et les rafales sont incessants. Le ciel est sillonné de balles traçantes. Finalement, je m'endors.

(Plus tard on apprendra que le nombre des victimes a été augmenté par les rumeurs qui avaient commencé, comme on peut le voir, tout de suite, faute d'informations crédibles. Paris Match arrivera à parler de 60 000 morts rien qu'à Timişoara. En réalité il y a eu 92 morts jusqu'au 25 décembre et plus de 300 blessés. De toutes façons, la répression a été violente. Il y a eu des manifestations en plusieurs endroits de la ville, prolongées tard dans la nuit.)

18 et 19 décembre

A l'aube je suis réveillé par le bruit d'un orage. C'est incroyable: un véritable orage d'été, avec des éclairs et des tonnerres, à la mi-décembre ! Il pleut à verse. Soudain, tout s'arrête et le ciel s'éclaircit comme en plein été.

Je sors. La ville a un aspect terrifiant. Au centre-ville, plusieurs magasins brûlés. Devant la cathédrale orthodoxe, du sang achève de se diluer dans une flaque d'eau de pluie. Les militaires sont partout. Il y a de tout : armée, troupes du ministère de l'intérieur, agents de police, militaires à l'aspect bizarre: d'une trentaine ou une quarantaine d'années, en combinaison kaki, sans indication de grade sur les épaulettes. Il y a aussi des civils armés de mitraillettes ; je me dis que ce doit être des agents de la securitate. Ils bloquent plusieurs rues et ne laissent passer personne. Mais il n'y a pas de cadavres dans les rues. (On apprendra plus tard qu'ils ont été vite ramassés et emportés à la morgue de l'hôpital le plus grand de la ville. De là, une quarantaine de cadavres ont été transportés le lendemain par un camion frigorifique normalement utilisé pour la viande, à Bucarest, où ils ont été incinérés (à Timişoara il n'y a pas de crématoire), et leurs cendres ont été jetés dans les égouts. C'était fait à l'ordre d'Elena Ceauşescu (assez stupide pour croire qu'elle pouvait effacer les traces comme ça), en l'absence de son mari, qui a été assez inconscient pour aller faire une visite en Iran juste ce jour-là.)

Le soir, je ressors. Un blindé passe près de moi. Deux soldats sont juchés dessus ; ils dirigent leurs armes vers le haut, en scrutant les fenêtres des immeubles. Tout de suite des images de reportages de putschs en Amérique latine me reviennent. Je me demande ce qui nous attend.

Ce soir-là, j'entends sur Radio Budapest et sur Radio Free Europe les premières informations sur ce qui se passe à Timişoara. L'angoisse cède un peu, puisque le monde entier connaît la réalité, c'est donc impossible pour le régime d'agir en cachette. Et puis si le reste de la Roumanie sait, il y aura peut-être des soulèvements dans les autres villes et surtout à Bucarest. (En effet, ce n'est pas courant qu'une révolution éclate en province et pas dans la capitale.)

Le premier document véridique transmis par Radio Free Europe est une cassette enregistrée par un touriste allemand qui était à Timişoara le 17 décembre. Il était présent quand la foule a attaqué le siège du comité départemental du parti communiste. A ce moment-là, on n'avait pas encore tiré sur les manifestants, mais on devinait que le touriste était bouleversé. Je pense qu'il a transmis son émotion à tout le monde.

Plus tard nous entendons un autre document, encore plus bouleversant. C'est un enregistrement en plein massacre, le soir du 17. On entend des coups de feu, des cris d'hommes, de femmes et d'enfants, et surtout un homme qui jure et qui crie "Allez, tire ! Tue-moi !".

Pendant ces deux jours, on entend toujours des coups de feu. Ils sont plus rares, mais c'est un signe qu'il y a des manifestations qui continuent.

(La première vidéo des événements date du 18 décembre. On y voit des transporteurs blindés de troupes qui passent devant la cathédrale orthodoxe du centre-ville, en tirant à la mitrailleuse sur un groupe de manifestants se tenant avec des bougies allumées sur les marches de la cathédrale.)
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András
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Messageécrit le Tuesday 05 Feb 08, 18:19 Répondre en citant ce message   

20 décembre

En sortant vers midi, je constate avec surprise qu'il n'y a plus de militaires dans les rues. Qu'est-ce qui a pu bien se passer ? Moi et ma femme nous entendons dire qu'au centre-ville, devant l'Opéra, il y a un meeting. On y va tous les deux après-midi. En effet, une foule de quelques milliers de personnes s'y presse. Des gens, encore inconnus pour nous, parlent depuis le balcon de l'Opéra. On apprend à cette occasion qu'une délégation de manifestants négocie avec le premier ministre venu exprès pour ça de Bucarest, au siège du comité départemental du parti, sous la pression de la foule massée devant le bâtiment. On apprend également qu'on a fondé un nouveau parti politique, le Front démocratique roumain (il disparaîtra quelque temps après). On lit aussi une liste de revendications des manifestants, qui vont de la démission immédiate de Ceauşescu à la libération des manifestants arrêtés (ce qui sera obtenu le jour même), en passant par la demande d'élections libres et la démocratisation du pays. Les discours sont ponctués par des slogans criés par la foule, parmi lesquels "A bas Ceauşescu !", "A bas le savetier !" (le même Ceauşescu, dont la dernière occupation honnête avait été celle d'apprenti cordonnier), "A bas le communisme !", "Liberté !", "Élections libres !". C'est la première fois que je vois le drapeau national troué au milieu, à la place de l'emblème communiste du pays, qui me rappelle tout de suite le drapeau hongrois en 1956. Il y a aussi des portraits des Ceauşescu retouchés en vampires sanguinaires. Je suis éberlué, je n'en crois pas mes yeux. Je n'aurais jamais cru que j'assisterais à un tel rassemblement en Roumanie.

Nous restons un moment, puis nous partons, pour revenir le soir même, chez une amie qui habite justement place de l'Opéra. Le meeting continue toujours. On chante, on crie des slogans, on tient des discours. On prie pour les victimes. Nous regardons tantôt par la fenêtre, tantôt l'écran de la télévision, par laquelle nous apprenons que Ceauşescu est revenu d'Iran. Nous le voyons en compagnie de sa femme Elena, du premier ministre et de quelques autres notables décréter d'un ton obséquieux l'état d'urgence sur le territoire du département de Timiş, le nôtre. Maintenant la question c'est comment le pouvoir essaiera de s'en sortir. Tout est possible. Nous pensons surtout que Ceauşescu donnera à l'armée l'ordre de raser Timişoara. C'est un risque réel, mais le fait que l'armée se soit retirée de la ville nous donne aussi l'espoir qu'elle, ou du moins la garnison de Timişoara, est neutre, voire du côté des manifestants.

La présence militaire dans la ville est surtout sonore. On entend constamment un haut-parleur, installé dans la cour du commandement de la garnison, qui se trouve non loin de l'Opéra, transmettre en boucle le décret qui établit l'état d'urgence. La seule autre présence militaire est représentée par quelques officiers qui viennent au balcon de l'Opéra pour dire qu'ils se sont ralliés à la révolution.

(On apprendra plus tard que le matin du 20 décembre les ouvriers sont allés à leurs usines, où on ne travaillait plus depuis deux jours. Ils s'y sont rassemblés, ont pris des drapeaux et des portraits des Ceauşescu, dont il y avait un grand nombre dans tous les établissements, pour les occasions officielles, ont adapté ces matériaux de propagande, puis ils sont partis en colonnes fournies vers le centre-ville. Une partie de celles-ci s'est arrêtée devant le siège du comité départemental du parti, une autre a continué vers l'Opéra. L'armée était encore dans les rues, mais n'est pas intervenue. Au contraire, il y a eu des scènes de fraternisation. Puis les troupes se sont retirées dans les casernes. Des gens s'étaient mis spontanément à la tête des colonnes. Ceux qui sont restés au comité départemental ont commencé des négociations avec les autorités, les autres ont pénétré dans le bâtiment de l'Opéra et sont montés à son balcon. Ce sont eux qui ont formé le Front démocratique roumain.

Le meeting de la place de l'Opéra continuera toute la nuit du 20 au 21, toute la journée du 21, toute la nuit suivante et jusqu'au soir du 22. Timişoara était donc déjà libre le 20 décembre, alors que le reste du pays, y compris la capitale, ne bougeait pas.)
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András
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Messageécrit le Wednesday 06 Feb 08, 22:37 Répondre en citant ce message   

21 décembre

Le matin je retourne place de l'Opéra pour assister un moment au meeting. De retour chez moi, je regarde la transmission en direct d'un meeting qui se déroule à Bucarest. Ceauşescu parle depuis son balcon habituel. Il promet une augmentation de 100 lei du salaire des ouvriers. A un moment, il fait un geste bizarre et s'arrête de parler. Quelqu'un le tire à l'intérieur du bâtiment. Juste à ce moment-là, l'image disparaît pour quelques secondes. Quand elle réapparaît, on voit la foule qui brandit des drapeaux rouges du parti, ainsi que des transparents avec des slogans pro-régime. Puis l'émission se termine brutalement. On se rend compte qu'il se passe quelque chose à Bucarest. C'était notre espoir, que le meeting que Bucarest annonçait depuis la veille se retourne contre Ceauşescu. C'est en effet ce qui est arrivé. Là, on commence à être sûrs que ça va réussir.

22 décembre

Le matin je marche jusqu'à la sortie nord-ouest de la ville. Grâce au trafic presque inexistant, j'entends les slogans criés sur la place de l'Opéra. Et pourtant, c'est à une dizaine de kilomètres de là où je suis. C'est impressionnant.

A midi, je retourne avec ma femme place de l'Opéra, chez notre amie. Pratiquement tout le centre-ville est occupé (enregistrements II, III et IV), de la place de l'Opéra (au premier plan de l'image), à la cathédrale (au dernier plan). Plus de cent mille personnes sont là (Timişoara compte à peu près 400 000 habitants), y compris des journalistes étrangers. Le matin du 22 ils ont pu franchir la frontière yougoslavo-roumaine (à une soixantaine de kilomètres de la ville) et arriver à Timişoara. On se dit que là, c'est gagné. Il fait très beau: le ciel est clair, le soleil splendide, il fait même chaud.

On va chez des voisins de notre amie. C'est un couple de danseurs de l'Opéra. Le jeune homme vient de rentrer. Il avait été arrêté le 16 décembre. Il porte encore les traces des coups qu'il a reçus à la police. A tout hasard, on allume le poste de télévision. Il n'y a pas d'émission, mais on laisse le poste allumé. Miracle! L'émission reprend. Dans le studio il y a un groupe de manifestants de Bucarest, parmi lesquels on reconnaît des personnalités connues: un acteur célèbre, un poète dissident qui avait été jusque-là assigné à résidence, un réalisateur de cinéma. L'atmosphère est extraordinaire.

A un moment, la télévision annonce que les Ceauşescu se sont enfuis en hélicoptère depuis le toit du bâtiment du comité central du parti. Quand la foule de la place de l'Opéra l'apprend, elle pousse un énorme cri de joie. Là, on sait que c'est sûrement gagné. Il ne m'arrive jamais de m'exalter, mais à ce moment-là je suis pris par un enthousiasme que je n'ai jamais connu de ma vie. On ouvre une bouteille de whisky et on trinque à la révolution, à la liberté. Je dis à ma femme: "Écoute, maintenant tout sera possible. On sera libres, on aura la démocratie, on pourra voyager. Tu pourras enfin voir la France, comme tu le voulais tellement." C'est drôle, elle n'est pas gaie. Elle est la seule parmi nous à ne pas se réjouir. Elle me répond: "Tu sais, moi je n'y crois pas. Ça va pas changer vraiment. Les gens resteront les mêmes." (Comme il s'est avéré plus tard, tous les deux on avait partiellement raison.) Peu m'importe ce qu'elle dit. Moi je reste dans le même état euphorique.

En rentrant chez nous, on voit des choses inimaginables. Toutes les rues sont pleines de gens, tout le monde crie son enthousiasme. Des voitures arborant des drapeaux troués au milieu roulent en klaxonnant. Les gens rient, se serrent la main. On distribue un tract intitulé "La tyrannie est tombée !".
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András
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Messageécrit le Thursday 07 Feb 08, 19:50 Répondre en citant ce message   

Du soir du 22 décembre au 24 décembre

Le soir on est chez nous. La nuit est tombée. Soudain, on entend de nouveau des coups de feu et des rafales, et on voit des balles traçantes sillonner le ciel. L'inquiétude revient. On se dit que le pouvoir ne cède pas. Par la télévision on apprend que la même chose se passe à Bucarest. Le bâtiment de la télévision est attaqué, l'armée combat ceux qui sont immédiatement appelés "terroristes".

Pendant longtemps on ne peut pas s'endormir. Je vois les balles traçantes par la fenêtre, j'entends les rafales et en même temps un haut-parleur de l'armée qui appelle les "terroristes" à se rendre. Et ça va continuer comme ça jour et nuit, jusqu'au 25 décembre, après l'exécution des Ceauşescu.

La situation est plus qu'absurde : les gens vaquent à leurs occupations dans les rues, mais en même temps des rafales et des coups de feu se succèdent sans arrêt. Je sors, moi aussi, mais j'évite les artères importantes. Je ne vois jamais des gens tomber près de moi. J'entends seulement des coups de feu et des rafales. Je m'y habitue assez vite.

Depuis le 20 décembre, il n'y a plus d'autorités à Timişoara. Pourtant, la vie continue : les magasins ouvrent, on peut y acheter ce qu'on y trouvait avant, c'est-à-dire pas grand-chose. Dans les rues il y a maintenant les soldats de l'armée et des jeunes civils qui forment des barrages pour contrôler l'identité des gens, afin de trouver des "terroristes". Une véritable psychose s'installe dans la ville à cause de ces "terroristes" qu'on combat mais qu'on ne voit pas. Dans les immeubles, le nôtre aussi, on organise des gardes, surtout la nuit, parce qu'on dit que les "terroristes" montent sur les toits d'où ils tirent sur tout ce qui bouge. Moi aussi je prends mon tour de garde plusieurs fois, la nuit, chaque fois pour deux heures.

On n'a pas d'informations officielles, seule la rumeur circule. On entend dire qu'ici ou là untel ou untel a été tué, qu'on a trouvé des individus avec des armes cachées, qu'on en a vu tirer sur les gens, mais rien de concret.

On entend dire qu'on a creusé dans le cimetière des pauvres et qu'on y a trouvé des victimes des événements du 17 au 19 décembre.

Trois amies de ma femme restent chez nous dans la journée. Elles sont tellement nerveuses, que ce n'est pas la situation mais leur nervosité que je ne supporte plus. C'est à cause des tirs qu'on entend sans cesse et de la situation bizarre qui règne dans la ville. On apprend par la télévision qu'à Bucarest et dans d'autres villes c'est pareil.

(Nous voilà arrivés à l'histoire du charnier. Le fait est que les familles des victimes ont commencé à chercher leurs morts, d'abord dans les morgues des hôpitaux, mais ils n'y étaient pas, et pour cause : rappelez-vous l'histoire des cadavres transportés à Bucarest et incinérés. On a pensé qu'on les avait enterrés en secret dans une fosse commune. C'est pourquoi on les a cherchés dans le cimetière des pauvres. Les cadavres qu'on y a déterrés n'avaient rien à faire avec les événements. Certains avaient été autopsiés et grossièrement recousus. Mais comme il n'y avait pas d'autorités et pas d'informations, ce sont les rumeurs qui ont pris la place de celles-ci, et la rumeur dominante était que c'étaient des victimes des événements. Les journalistes ont diffusé les images, ont publié les "informations" auxquelles ils avaient eu accès et des spéculations. Est-ce que c'était de la manipulation ? Je n'en sais rien. Qui voulait manipuler et dans quel sens ? Je ne sais pas non plus. Je penche vers l'hypothèse que c'étaient simplement des informations non-vérifiées, parce que non-vérifiables et utilisées pour vendre du papier. Je me rappelle avoir vu un Paris Match avec, en couverture, l'image de la place de l'Opéra et un titre qui parlait de 60 000 morts rien qu'à Timişoara. Comme "sérieux" on ne fait pas mieux.)
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Messageécrit le Friday 08 Feb 08, 20:11 Répondre en citant ce message   

25 décembre

C'est Noël. Pour la première fois qu'on pourrait célébrer librement cette fête, elle n'est présente que timidement à la télévision. En ville, les gens n'osent pas tellement sortir et n'ont pas vraiment envie de faire la fête.

On apprend toujours par la télévision que le couple Ceauşescu a été jugé et exécuté. On les a toujours haïs, on a maintes fois souhaité leur mort, mais cette fois on a un sentiment de gêne : on n'est pas sûr qu'il faille les tuer si vite et surtout dans ces conditions-là. On accepte quand même l'explication donnée à ce procès sommaire, selon laquelle les "terroristes" ne veulent pas arrêter de se battre tant que les Ceauşescu sont en vie. En effet, après l'annonce de l'exécution, les tirs cessent.

(Aujourd'hui encore on ne connaît pas la vérité sur ces événements. Il n'y a que des suppositions. Le fait est qu'à la suite de la fuite des Ceauşescu ce fut le chaos à Bucarest. Plusieurs groupements ont essayé de prendre le pouvoir. Les confrontations pouvaient être entre fidèles de l'ancien régime et révolutionnaires, mais aussi entre groupes révolutionnaires rivaux. On a aussi avancé l'hypothèse que ceux qui ont pris le pouvoir finalement auraient provoqué les affrontements, parce qu'ils auraient eu besoin d'une victoire militaire. Des ordres contradictoires étaient transmis par l'intermédiaire de la télévision. L'armée et des civils qui avaient reçu des armes tiraient sur tout ce qui leur paraissait suspect, dont des gens innocents. Des unités militaires se sont battues l'une contre l'autre, alors qu'en principe elles étaient déjà dans le même camp. Après la fuite des Ceauşescu il y a eu plus de victimes qu'avant. Plus tard il y a eu des condamnations de commandants de l'armée, de la police et de la securitate, mais aucune condamnation pour terrorisme, c'est-à-dire pour avoir tué des civils après le 22 décembre.)


Dernière édition par András le Tuesday 11 Nov 14, 10:09; édité 1 fois
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Messageécrit le Saturday 09 Feb 08, 18:50 Répondre en citant ce message   

26 décembre

Enfin on sort sans peur et on va au centre-ville. Il fait toujours beau. Devant l'Opéra, il y a deux chars. On a commencé à ramasser les débris des jours précédents. La ville est pratiquement investie par des journalistes étrangers. On tombe sur une équipe de la BBC et on leur dit quelques mots. (Plus tard on nous a envoyé une photo coupée d'un journal israélien avec la scène de cette mini-interview.) On rencontre aussi deux journalistes de l'AFP. On est très excités, on a une très grande envie de parler et on est très heureux de pouvoir parler français avec de vrais Français. Il y a si longtemps qu'on n'en a pas eu l'occasion! On les invite chez nous et on leur dit tout ce qui nous passe par la tête. Bien sûr, on répond aussi à leurs questions. Ils sont très intrigués par les images de ce qu'on appelle "le charnier de Timişoara" (voir plus haut le sous-titre Du soir du 22 décembre au 24 décembre). Je les conduis au cimetière. Il n'y a rien à voir, parce que les cadavres ont été ré-enterrés. On va au cimetière voisin, où on tombe sur un enterrement. Comme le cercueil n'est pas fermé, on voit que le jeune homme décédé a reçu une balle entre les yeux. Il a été tué entre le 22 et le 25 décembre alors qu'il restait tranquille chez lui.

Le lendemain, ma femme s'en va avec les journalistes à Bucarest pour leur servir d'interprète. Moi aussi, je me présente au plus grand hôtel de la ville, qui est rempli de journalistes. J'y fais la connaissance d'une équipe de journalistes de la télévision catalane et je leur sers d'interprète (en français). (Comme j'ai refusé qu'ils me payent, ils m'ont envoyé plus tard l'œuvre de Baudelaire dans la Pléïade.)

Bien sûr, tous les journalistes veulent savoir ce qui s'est passé. Je raconte aux miens tout ce que je sais et les accompagne en divers endroits: hôpitaux, cimetières, autorités locales. Celles-ci sont formées de gens qui s'étaient mis à la tête des manifestants le 20 décembre. Toute autre autorité a disparu. Mais les informations sont très peu fiables : on ne peut savoir presque rien de précis. On parle de 3 à 4000 morts, il y a des individus qu'on a arrêtés, soupçonnés d'être des "terroristes", mais on ne sait pas combien, on ne peut pas les rencontrer.

L'atmosphère est tout de même très gaie. Les gens sont soulagés, pleins d'espoir. On pense que désormais tout sera possible : la démocratie, la liberté, le bien-être, tout ce qu'on n'avait pas avant. On est contents des nouvelles autorités établies à Bucarest ; on croit que, enfin, à la tête du pays il y a des gens bien.

(Plus tard j'ai connu d'autres journalistes français, dont le directeur du bureau de l'AFP à Belgrade, que j'ai accompagné en mars '90 à Târgu-Mureş, le lendemain de troubles interethniques qui y avaient eu lieu, et à Sibiu, au procès de Nicu Ceauşescu, le fils de Nicolae. A Târgu-Mureş, j'ai travaillé aussi avec un grand reporter de l'Express.)
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András
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Messageécrit le Sunday 10 Feb 08, 23:10 Répondre en citant ce message   

Après le 26 décembre

A côté de l'euphorie de la liberté, des doutes commencent à apparaître.

Le 12 janvier on voit toujours en direct à la télévision un meeting à Bucarest, où la foule demande la peine de mort pour les "terroristes", pour les officiers de la securitate, peine de mort qui avait été abolie juste après l'exécution des Ceauşescu. Iliescu, qui est déjà à ce moment-là le chef provisoire de l'État, promet de rétablir la peine de mort et d'interdire le parti communiste. Quelques heures après, on revient sur cette décision. Nous nous rendons compte que quelque chose ne va pas. Nous saurons plus tard que, dans les coulisses, il y a une lutte acharnée pour le pouvoir.

Les choses commencent à devenir floues, vaseuses, on ne sait pas ce qui se passe au sommet. Mais l'espoir continue, la vie reprend, les institutions politiques provisoires s'organisent, on annonce la formation de divers partis (qui seront très nombreux plus tard, mais leur nombre diminuera beaucoup par la suite), les partis historiques, c'est-à-dire ceux qui existaient avant la seconde guerre mondiale, réapparaissent; ce sont les partis national libéral, national paysan et social-démocrate. Mais le pouvoir est aux mains d'un mouvement qui s'appelle le Front de salut national, qui se charge au début de la direction provisoire du pays mais qui devient par la suite un parti politique, décidé à se présenter aux élections qui sont fixées pour le 30 mai 1990.

Il y a beaucoup de choses nouvelles qui nous émerveillent : les étrangers qui s'intéressent à nous et auxquels on peut parler sans aucune contrainte, les journaux qui sont devenus libres. Mais il y a aussi des phénomènes inquiétants : on constate qu'il y a des forces qui essaient de créer une atmosphère de méfiance à l'égard des partis démocratiques réapparus ou qui se constituent, et qu'il y a une tendance à accepter surtout le Front de salut national comme unique et dernier recours. Mais la liberté de la parole, de la presse et d'association est acquise.

Les vacances scolaires durent un peu plus longtemps que d'habitude, et quand les cours reprennent, j'y vais avec beaucoup d'enthousiasme. Je me dis que tout est à reprendre à zéro. Dans la classe dont je suis le prof principal, je commence par demander à mes élèves de garder un moment de silence à la mémoire des victimes et je continue par leur demander pardon pour tous les mensonges idéologiques que je leur ai dits sous l'ancien régime. (On vivait dans une schizophrénie totale. Tout le monde pensait une chose et en disait une autre. Mais les profs étaient obligés d'éduquer les jeunes dans l'esprit de la morale communiste.) La vie scolaire change quelque peu : il est urgent d'écarter certaines disciplines, trop marquées idéologiquement et de les remplacer par d'autres. Le fou rire me prend parfois quand je me demande ce que vont devenir les professeurs de ce qu'on appelait socialisme scientifique : que vont-ils enseigner désormais et comment ? (Ils se sont bien débrouillés finalement : ils sont devenus profs de sciences sociales : psychologie, économie, philosophie.) Je me dis aussi qu'il va falloir changer presque tous les manuels. Moi, je suis content de pouvoir enfin enseigner le français comme je veux, sans contrainte, sans restriction.

Dans les usines, dans tous les établissements, y compris dans mon lycée, on fait des élections, on élit les directeurs, des gens compromis avec l'ancien régime sont simplement écartés de leurs postes par la base (plus tard on reviendra sur ces libertés). On commence à organiser des syndicats libres. Il y a une certaine anarchie, une crise générale de l'autorité. Au lycée on n'impose plus rien aux profs, il n'y a plus d'inspections, plus de paperasses à faire, mais ça fonctionne quand même. En même temps les gens sont très passionnés. On discute tout le temps politique avec beaucoup de passion. Des groupes opposés se forment de sympathisants de telle ou telle force politique. Un clivage apparaît surtout entre les adeptes du Front de salut national, parti formé par des représentants de la seconde ligne de l'ancien appareil communiste qui ont pris le pouvoir, et les partisans des partis démocratiques. Ces derniers sont en majorité à Timişoara, où les gens sont convaincus d'avoir déclenché la révolution, mais en minorité dans les régions du pays où il ne s'est rien passé.
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Charles
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Messageécrit le Thursday 04 Sep 08, 8:08 Répondre en citant ce message   

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