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Effet du purisme - Forum des langues celtiques - Forum Babel
Effet du purisme

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Jeannotin
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Messageécrit le Monday 29 Sep 14, 22:32 Répondre en citant ce message   

Qu'on veuille tout d'abord m'excuser de puiser mon exemple dans un texte politique, mon propos est uniquement linguistique.

Voici une phrase relevée dans un communiqué :
Citation:
Kinnig a ra Ai'ta ! Treger un emvod kinnig ar strollad

Il m'a fallu lire la version française pour comprendre :
Citation:
Le collectif Ai'ta ! Treger propose une réunion afin de présenter le collectif


Le verbe kinnig a en breton le sens de proposer. Certains lui donnent celui de présenter afin d'éviter le mot prezanta, pourtant régulièrement attesté depuis 1499. La citation utilise deux fois ce même verbe, d'abord dans son sens véritable, puis dans celui que le purisme lui a maladroitement amalgamé. Le résultat est une phrase inintelligible : en croyant servir la langue bretonne, on la change en galimatias.

Je passe sur emvod qu'on aurait pu mieux dire reünion ou même daspun...
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Feintisti



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Messageécrit le Tuesday 30 Sep 14, 20:50 Répondre en citant ce message   

Pourquoi avoir choisi d'utiliser "proposer" pour remplacer "présenter" alors que les deux mots n'ont pas le même sens dans ce contexte ? Selon moi (mais je n'y connais rien en breton), c'est sans doute une erreur de traducteur, qui, ayant vu l'acception "présenter" du mot breton (ex. présenter à boire, présenter une idée, etc. c'est un peu "proposer"), a repris le mot sans se poser de question. Mon avis est que si le puriste veut vraiment éviter les emprunts (même anciens) au français, il doit trouver des mots qui ont un sens plus proche ("montrer" par exemple) ou faire des périphrases.

Le problème du purisme est que l'influence du français et de sa culture sur le breton n'est pas négligeable et si l'on essaye de s'en défaire, on arrive à une langue artificielle et une sorte d'idéal de breton plutôt imaginaire...
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Jeannotin
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Messageécrit le Tuesday 30 Sep 14, 22:17 Répondre en citant ce message   

Ce n'est malheureusement pas une erreur du traducteur, l'erreur est dans les meilleurs dictionnaires, bien que critiquée (pas systématiquement). Favereau donne ainsi :
Citation:
PRÉSENTER PREZANTañ, -iñ, appr. KINNIG, -añ... (surt. proposer)

Par contre, au milieu du XIXème siècle, le colonel Troude écrit :
Citation:
KINNIC, V. a. Offrir, vouer ;

Le sens approximatif de "présenter" n'était pas encore apparu, c'est bien une mode récente.

Je n'aurais rien contre une dose modéré de purisme, ce n'est pas un crime de généraliser des mots déjà très rependus dans l'usage populaire, comme disglavier au lieu de paraplu ou marh-dir au lieu de lokomotiv. Mais pour avoir une attitude aussi fine, il faut connaître la langue telle qu'elle est parlée... Les périphrases que tu évoques étaient bien en usage dans les standards ecclésiastiques, qui était une langue bien meilleure que celle qu'on lit actuellement puisqu'il fallait que les paroissiens comprissent le prêche.

Là où le purisme est le plus nuisible, c'est quand il élimine des distinctions qui font la finesse du breton. On dit normalement fest pour une fête profane et gouel pour une fête catholique (à l'exception du 14 juillet : Gouel ar Republik), mais le mot fest sent trop le français. On trouve ainsi gouel dans le nom breton d'évènements aussi peu sacrés que le Festival des Vieilles Charrues (Gouel an Erer Kozh). Non seulement la langue est appauvrie, laissant place à une confusion choquante, mais les puristes montrent ici leur ignorance : gouel provient du latin vigila : la veille. Ce mot n'est pas moins roman que l'innocent fest.


Dernière édition par Jeannotin le Tuesday 30 Sep 14, 22:32; édité 1 fois
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Breizhadig



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Messageécrit le Tuesday 30 Sep 14, 22:18 Répondre en citant ce message   

Kinnig, en tant que verbe, a plusieurs sens, il peut vouloir dire "offrir", "présenter" (qqchose devant quelqu'un), "proposer" ou "menacer". Et le problème des mots qui veulent tout dire, c'est que leur emploi est très complexe car il ne faut pas en abuser sous peine de donner un aspect confus ou imprécis et un goût fade au texte.

Pour ce qui est de "presantiñ", pour moi il a plus un sens "se présenter" dans le sens s'engager dans un concours ou dans une élection. Mais il peut aussi être compris au sens large et est, dans ce cas, préférable à "kinnig".

Le terme "emvod" ne me dérange pas, il est facilement compréhensible et correspond au terme "réunion" dans le sens "rassemblement de personnes".

Après, il ne faut pas tomber non plus dans le purisme inverse en voulant à tout prix mettre des termes français quand il existe aussi un terme breton logique (je précise logique pour souligner certaines créations ou emplois illogiques qui peuvent exister).

Mais au delà du problème lexical, c'est la tournure de la phrase que j'aurai totalement changé. Le français abuse des termes du genre "vous propose", "vous offre", "vous remercie pour", etc... Le breton ne s'encombre pas tant de ces choses et va directement au fait. C'est vrai que sous l'effet de la société actuelle la tendance est d'introduire des formules de courtoisie mais je trouve que ça vire à l'excès.

L'autre problème est l'utilisation de la forme active, alors que le breton est très friand des formes passives! Voilà comment j'aurai traduit la phrase:

Un emvod a vo dalc'het gant strollad Ai'ta! Bro-Dreger a-benn en em ziskouez d'an dud.
Mot à mot: Une réunion sera tenue par le collectif Ai'ta! Bro-Dreger afin de se présenter (aux gens).

"en em ziskouez da" (litt. se montrer à) est un terme tout à fait convenable pour dire "se présenter" et enlève toute ambiguité quand à son sens. De plus, c'est une tournure qui, je pense, peut être comprise par tous.

Après, il y aurait encore plein d'autres façons de traduire cette phrase...

Dans ce cas, le problème est double, on a une traduction qui montre une connaissance basique du vocabulaire, mais ce qui est plus grave est que ça montre, de par la syntaxe utilisée, que la langue qui a été enseignée est loin du breton de terrain. On peut être limité en vocabulaire, si on a une connaissance du fonctionnement syntaxique de la langue (ici l'utilisation préférée de la forme passive et l'usage limité des formules de courtoisie), ce qui s'apprend dès le début, on produira des phrases beaucoup plus crédibles. Pour ma part, si j'avais vu: Un emvod a vo kinniget gant Ai'ta! Bro-Dreger a-benn kinnig ar strollad, j'aurai relevé une répétition du mot "kinnig" mais la phrase ne m'aurait pas plus choqué que ça. Bon après, je sais que le breton de Basse Cornouaille abuse aussi des tournures passives, ce qui m'influence aussi mais dans ce cas, je pense que le passif était préférable.

En tout cas, le sujet est intéressant!
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Breizhadig



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Messageécrit le Tuesday 30 Sep 14, 22:19 Répondre en citant ce message   

Message croisé avec Jeannotin, je constate la même chose pour ce qui est "fest" et "gouel", c'est même étonnant que la confusion soit faite, et pourtant, elle est faite...
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Jeannotin
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Messageécrit le Tuesday 30 Sep 14, 22:56 Répondre en citant ce message   

J'étais aussi dérangé par la syntaxe, ton analyse est très juste : on insistera jamais assez sur l'importance de la voie passive.

Par contre, je maintiens qu'emvod ne sera pas compris. La première attestation date de 1931, dans le Grand dictionnaire français-breton : c'est très probablement une création personnelle de François Vallée. Ses néologismes n'ont jamais été socialisés et je doute qu'un locuteur naturel puisse comprendre celui-ci par l'analyse du mot. Outre que les bretonnants n'y sont pas habitué, puisque le breton n'est pas leur langue de scolarisation, le préfixe em- n'est plus productif et les mots où il apparait sont très peu nombreux. Quand bien même un lecteur décomposerait emvod correctement, il tomberait sur la racine de ce mot : bod, qui signifie rameau, ce qui est bien éloigné de l'idée de réunion.
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Breizhadig



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Messageécrit le Wednesday 01 Oct 14, 13:38 Répondre en citant ce message   

Ce n'est pas parce qu'un mot ne sera pas compris qu'il ne doit pas être exclu d'une langue, sinon la langue n'évolue plus et dans le cas d'une langue minoritaire, elle ne se perdure que par des emprunts à la langue majoritaire. Je trouve ça un peu dangereux. Autant il faut être vigilent face aux créations illogiques et abusives qu'il ne faut pas non plus être fermé à la création de mots nouveaux sous prétexte qu'ils ne seront pas compris.

En ce qui concerne le terme "emvod", le préfixe "em-" est encore bien vivant dans des verbes réfléchis tel que "en em abituiñ", "en em ganniñ", "en em chaliñ", etc... Pour la création de mots nouveaux, le préfixe "em", de par la nuance qu'il apporte, est très utile. Le négliger serait une erreur à mon avis.

Pour ce qui est de la racine "bod", qui se trouve dans le verbe "bodañ / en em vodañ" (rassembler, se rassembler), elle est certes méconnue mais elle existe aussi. Le terme "bod" est un mot qui a plusieurs significations et signifie aussi "logis" ou "asile" (cf. le mirouer de la mort), il y a du avoir un glissement de sens pour former le verbe "bodañ" qui signifie "rassembler" (réunir en un lieu?) (que l'on trouve dans "ar c'henta miz mari", par exemple).

A partir de ça, je ne vois pas de souci à former le terme "emvod" pour parler de "réunion". Ce qui ne veut pas dire exclure l'utilisation d'un autre mot calqué sur le français, chacun est libre d'utiliser tel ou tel mot pour dire une chose.

Je pense que c'est une question de point de vue, pour ma part, le langage populaire n'est pas assez suffisant pour répondre aux besoins nouveaux d'une langue (peu importe la langue en question, c'est juste mathématique, un locuteur ne peut pas connaître TOUT le vocabulaire d'une langue), et bien que les emprunts soient préférables à des constructions lourdes et trop artificielles (bien que chaque création soit artificielle), il ne faut surtout pas mettre de côté la richesse historique lexicale de la langue. Le français a aussi cette volonté de chercher à privilégier les mots créés à partir de ce que l'on dispose déjà plutôt que de recourir systématiquement à des emprunts anglais, parfois c'est faisable, parfois pas. Mais si c'est faisable, autant privilégier la création à partir du matériel lexical qui est à notre disposition. Pour citer un exemple, le terme "ordinateur" ne serait pas compris par une personne qui serait née il y a 60 ans et coupée du français pendant tout ce temps. Et que dire des néologismes qui apparaissent chaque jour dans le New York Times, qui ne sont pas compris mais simplement déduits par le contexte, et dont certains (une infime quantité, certes), finissent par entrer dans le langage courant. Je pense que c'est une erreur de vouloir que tout le lexique d'une langue soit automatiquement compris par chaque locuteur, pour ma part, ça serait dépourvoir la langue de ce qui fait une langue vivante.
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Jeannotin
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Messageécrit le Wednesday 01 Oct 14, 20:28 Répondre en citant ce message   

Breizhadig a écrit:
le préfixe "em-" est encore bien vivant dans des verbes réfléchis

Je doute que grand monde fasse le lien entre le 'n om des verbes réfléchis et les trois mots d'usage courant qui présentent le préfixe em- : emzao (avantageux / à jour), emgann (combat), emgleo (entente). Dans bien des localités, ils n'ont plus la même prononciation et, à moins de se soucier d'étymologie, on ne peut retrouver leur origine commune.

Bod le rameau et bod l'asile sont deux mots différents bien qu'homonymes. D'après le Dictionnaire étymologique du breton, le verbe boda provient de bod le rameau. Cela est confirmé par le sens de germer que connaît aussi ce verbe. Je pense que le sens primitif était ramasser des branches, ou même mettre en gerbe puisque bojenn désigne aussi le gerbier.

Breizhadig a écrit:
que l'on trouve dans "ar c'henta miz mari"

Tiens, je ne connais pas ce texte, de quand date-t-il ?

Ta comparaison avec l'anglais ou le français n'est pas valide. Les bretonnants n'ont pas été scolarisé dans leur langue maternelle et nous ne disposons pas d'une presse quotidienne lue par tous les locuteurs. Avant 1914, le breton était à son apogée : tout le monde le parlait, le lisait dans le Courrier du Finistère, apprenait à l'écrire au catéchisme ; pourtant les innovations techniques apparues à cette époque ne portent qu'un nom français bretonnisé. Le régulateur et la rasette, inconnus sur les charrues plus anciennes, s'appellent tout simplement ar regulater et ar razetenn. Le génie du breton est dans ces emprunts bretonnisés, que ce soit phonétiquement ou grammaticalement. Il est aussi dans la création de noms de machine en -erez, à partir de verbes déjà courant : mederez (moissonneuse). Il donne, enfin, le meilleur de lui-même dans des néologismes populaires et imagés, tels marh-dir (locomotive, litt. étalon d'acier). Ces derniers ont tendance à tomber en désuétude, mais cette créativité n'est pas tout à fait mort. Voici un enregistrement où un informateur en invente un, en direct :

http://brezhoneg-digor.blogspot.fr/2014/02/ar-goulou-lost-deus-bro-saos.html

Évidemment, dans les faits, chacun est libre d'utiliser emvod ou reünion. Seulement, quand on emploie des mots que le peuple n'a jamais utilisé et qu'il n'aurait pas compris, on ne doit pas faire croire aux Bas-Bretons que c'est là leur langue ou celle de leurs ancêtres.
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Breizhadig



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Messageécrit le Wednesday 01 Oct 14, 23:43 Répondre en citant ce message   

Citation:
Évidemment, dans les faits, chacun est libre d'utiliser emvod ou reünion. Seulement, quand on emploie des mots que le peuple n'a jamais utilisé et qu'il n'aurait pas compris, on ne doit pas faire croire aux Bas-Bretons que c'est là leur langue ou celle de leurs ancêtres.

Déjà il faut clarifier ce qu'on entend par "le peuple", on ne peut exclure des locuteurs de breton sous prétexte qu'ils n'ont pas de lien générationnel avec le breton. Alors certes, ceux qui ont "fait" le breton "écrit" sont en grande partie des gens qui n'ont pas ce lien générationnel et qui ont écarté les locuteurs populaires. C'est une grave erreur et c'est en partie à cause de ça qu'il existe aujourd'hui un fossé entre deux tendances, celle qui se veut traditionaliste en ne reconnaissant que le breton parlé par les anciens et refuse tout apport autre, et celle qui ignore le breton des anciens et qui fait évoluer la langue dans une "bulle" hermétique. Pour ma part, je considère que ces deux tendances sont autant dans le faux, l'une comme l'autre, car trop puristes, chacune à sa façon.

La principale erreur de ces deux tendances est de faire grandir encore plus ce fossé alors qu'une attitude médiane, consistant à reconnaître la nécessité d'avoir ce breton traditionnel comme base tout en étant ouvert à des apports visant à enrichir la langue (peu importe d'où ils viennent), permettrait de recréer un lien linguistique générationnel. Les anciens que je côtoie ne sont pas de farouches opposants à ce breton écrit, les opposants sont en général des personnes plus jeunes qui, par réaction à cette hégémonie d'un breton si éloigné, adoptent l'extrême opposé. Non, au contraire, ce sont des gens humbles sur leur connaissance de la langue qui sont ouvert aux nouveautés, désireux de savoir comment on dit tel ou tel mot s'ils ne le connaissent pas, certes critiques sur les créations trop barbares et sur les phrases dont la syntaxe n'est pas naturelle, mais ce sont des personnes qui sont désireuses d'en savoir davantage et n'ont pas cette notion de "peuple locuteur", aucun d'eux ne dira détenir le vrai breton, ils parlent leur breton, point. Ce que je constate c'est plutôt de l'incompréhension que du rejet, au contraire, ce breton écrit intrigue et amuse, et des fois il inspire quand même du regret de par son éloignement.

Citation:
Ta comparaison avec l'anglais ou le français n'est pas valide. Les bretonnants n'ont pas été scolarisé dans leur langue maternelle et nous ne disposons pas d'une presse quotidienne lue par tous les locuteurs.

Elle est on ne peut plus valide, si on tient compte de mon point de vue que j'ai expliqué précédemment. J'ai pris l'exemple de la presse mais il fallait voir au delà de cet exemple pour saisir l'idée principale: une langue ne peut continuer à vivre que si elle répond aux attentes de l'ensemble de ses locuteurs et créée des mots en fonction de ces besoins. Et chaque locuteur a toute légitimité quant aux mots qu'il peut être amener à créer ou à adopter, c'est l'utilisation ou non de ce mot par les autres locuteurs qui décidera du sort de ce mot. Priver le breton d'un apport linguistique universitaire tout comme le priver d'un apport linguistique populaire, c'est priver le breton d'une partie de sa richesse.

Pour en revenir au mot "emvod", un mot qui serait apparu en 1931, dont on n'a pas d'attestation avant mais qui semble quand même formé à partir d'une certaine logique (un mot ne naît pas tout seul), qui est un mot facile à prononcer et à retenir, qui est entré dans le langage quotidien d'une partie des locuteurs, a toute légitimité en tant que mot breton et ne doit pas être méprisé sous prétexte que ce n'est pas un mot issu du breton populaire. Le breton appartient à tout le monde, il n'y a pas de sous-locuteurs.

Le lien que tu donnes est très intéressant et ce genre de néologismes mériterait un article dans un journal. On peut déplorer que la presse en langue bretonne soit si éloignée du breton populaire, mais si personne qui parle ce breton n'écrit dedans, c'est pas étonnant. Il m'est arrivé d'écrire pour l'hebdomadaire Ya!, mon texte n'a pas été déformé. Chacun d'entre nous peut proposer des articles à n'importe quel journal, la présence du breton populaire dans la presse dépend avant tout de ses locuteurs.

Bref, le breton a trop souffert d'attitudes négatives, qu'elles soient externes comme internes. Je pense que la meilleure attitude à adopter est de proposer plutôt que de dénoncer. C'est en intéressant d'autres personnes, en particulier les nouveaux locuteurs, qu'on arrivera à retrouver une proximité avec le breton populaire.
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Jeannotin
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Messageécrit le Thursday 02 Oct 14, 18:31 Répondre en citant ce message   

Je ne rejette nullement notre tradition savante, littéraire, écrite. J'entends par là le travail des ecclésiastiques qui écrivaient en breton ou celui de poètes comme Olivier Souvestre, François-Marie Luzel ou Jean-Pierre Calloc'h. C'étaient des locuteurs natifs qui écrivaient des œuvres, certes savantes, mais que le peuple pouvait lire et lisait. Ce qu'ont fait Vallée ou Roparz Hemon était tout aussi coupé du breton populaire que du breton savant, et ils se trouvent que nous savons ce que pensaient certains bretonnants de leurs contemporains :
Citation:
J'ai expédié aujourd'hui même, 6 juin 1903, ce petit traité d'apiculture à Saint-Brieuc, à un personnage nommé Vallée, auquel on a dit d'adresser tous les travaux faits en breton de Léon, de Tréguer et de Cornouaille. Il paraît que ce monsieur est un celtisant émérite, il faut qu'il le soit s'il arrive à se débrouiller dans tous ces jargons écrits ! Je les comprends aussi, ces trois idiomes, quand ils sont parlés, mais en écrits je suis obligé de me torturer l'intellect pour deviner ce que les auteurs ont voulu écrire. Car d'abord, les mots bretons qu'ils écrivent sont orthographiés d'une telle façon qu'il est impossible de les prononcer en vrai breton, et ensuite ils écrivent une foule de mots qui ressemblent plutôt au chinois et à l'arabe qu'au breton, et dont nous autres Bretons bretonnants n'en avons jamais entendu parler. Mais ces écrivains, qui se disent celtisants, prennent peut-être ces mots barbares dans les différents idiomes celtiques, qui sont très nombreux, puisqu'ils considèrent comme peuples celtiques non seulement les Bretons mais aussi les Basques, les Irlandais et Écossais, dont les dialectes cependant diffèrent autant entre eux que le russe et le français.
Ce qu'écrit Jean-Marie Déguignet est clair, les falsificateurs du breton ne peuvent pas prétendre que si les bretonnants ne disent mot c'est qu'ils consentent. Pour alors, les effets étaient moins graves que de nos jours car ils y avaient beaucoup plus d’œuvres de qualité. Présentement, la plupart des locuteurs nés Après-Guerre sont coupés de l'écrit, persuadés que leur langue est impossible à transcrire ou à lire. D'après mes observations personnelles, seule Brud nevez a encore un petit lectorat paysan, mais ce n'est pas non plus le Pérou.

J'avoue ne pas reconnaître les gens de mon pays dans la description pleine de bienveillance que tu fais des bretonnants de ton entourage. À-peu-près tous ceux que je connais se vantent de leur agressivité à l'égard les néo-locuteurs qui manquent de modestie. Après, notre vécu est peut-être différent. Un Vannetais m'a dit, avec une franchise qui l'honore, qu'il trouvait les gens du Poher méchants et fermés d'esprit. Il peut y avoir une différence de tempérament, mais j'y vois plutôt un maintien plus ferme du conformisme assez admirable de l'ancienne société rurale.

Breizhadig a écrit:
"emvod" (...) est entré dans le langage quotidien d'une partie des locuteurs
Tu connais des bretonnants qui utilisent ce mot ? Des enregistrements où ils le font ?
Breizhadig a écrit:
il n'y a pas de sous-locuteurs
Pour moi, il y a les locuteurs natifs et les apprenants. Ces derniers doivent travailler pour apprendre la langue, tenter de la maîtriser aussi bien que les natifs, ils n'ont pas à la changer. Ton analyse sur le besoin part d'une louable volonté de réalisme, mais elle manque son but car plus personne n'a besoin du breton. Ce besoin s'est évanoui avec l'agriculture archaïque qui le portait.
Breizhadig a écrit:
si personne qui parle ce breton n'écrit dedans, c'est pas étonnant
Mais les derniers bretonnants n'ont pas étés habitués à écrire leur langue. L'école n'enseignait pas le breton, l’Église l'avait abandonné de peur que le catholicisme ne disparaisse avec lui, les gwalarnistes s'étaient enfui en Irlande. Seul le chanoine Falc'hun a tenté quelque chose avec son concours de rédactions destiné aux enfants. Mais depuis que le breton ne subsiste plus que dans l'intimité, on ne pense pas à l'écrire.
Breizhadig a écrit:
Il m'est arrivé d'écrire pour l'hebdomadaire Ya!, mon texte n'a pas été déformé
Ça, c'est intéressant. Tu écris dans quelle langue exactement ? C'était purement le breton de ton village, avec tous ses traits locaux, ou bien du breton standard avec quelques touches dialectales ? Je pose là une question factuelle sans arrière-pensée aucune, ton travail est parfaitement légitime, quelque soit l'option que tu ais choisi.
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Breizhadig



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Messageécrit le Thursday 02 Oct 14, 19:45 Répondre en citant ce message   

Je pense que, malgré le fait qu'on rejette tous les deux ce breton "artificiel" à différents degrés (ma priorité va surtout à la syntaxe et à l'accentuation, chez moi le vocabulaire passe bien après), on a une approche radicalement différente. A partir de ça, on pourrait débattre pendant des années, ça ne changerait rien car nos avis reposent sur la perception des locuteurs. Pour moi, toute personne qui parle breton est un locuteur et tout locuteur est un apprenant (qu'il soit locuteur natif ou pas), il y a parmi ces locuteurs des gens qui sont proches du breton populaire et d'autres qui sont proche du breton universitaire, la connaissance de tous est nécessaire pour faire avancer le breton. L'esprit critique de chacun est là pour savoir prendre ce qui est bon chez les autres et laisser le reste de côté.

Le breton a beaucoup souffert de cette artificialisation de la langue orchestrée par des pseudo linguistes et aujourd'hui on en paye les conséquences, mais ce n'est pas en adoptant la même attitude qu'on pourra faire changer les choses, au contraire, c'est faire monter les uns contre les autres et nuire à la langue.

Tout ça pour dire qu'il y a du bon et du mauvais partout, que tout n'est pas tout blanc ou tout noir, il y a du bon partout, encore faut-il l'accepter.

Je considère que mon point de vue a été exprimé assez clairement tout au long de ces messages pour ne pas en rajouter davantage.

En ce qui concerne la publication en breton, j'écris en peurunvan (bien que je sois pas satisfait de tout, je n'ai pas appris à écrire autrement) mais la syntaxe est celle du breton local que j'ai dans l'oreille, avec une adaptation à l'écrit car on ne parle pas comme on écrit (sinon il y aurait des "kwa" tous les 2 ou 3 mots! mort de rire)

Mais je pense qu'on pourrait aller plus loin et proposer des articles uniquement basés sur les témoignages oraux du breton, avec une transcription à côté, à l'image de la banque sonore des dialectes bretons. Je pense que c'est en multipliant les initiatives de ce genre qu'on réussira justement à redonner une visibilité à ces bretons locaux. J'ai justement investi il y a peu dans un enregistreur car avoir les choses dans son oreille c'est bien, mais pour les transmettre, c'est pas suffisant.
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Jeannotin
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Messageécrit le Thursday 02 Oct 14, 20:07 Répondre en citant ce message   

Oui, je pense que tous les arguments dans l'un et l'autre sens on été exposé, au-delà nous nous répéterions. C'est au lecteur intelligent à se faire une opinion, nous avons fourni suffisamment d'éléments pour cela.

Par syntaxe du breton local, tu entends quelque chose de spécifiquement bas-cornouaillais ou simplement la bonne syntaxe bretonne de partout ? Pourrais-tu donner une exemple ? Sinon c'est vrai que c'est dur de marquer les prononciations locales dans un peurunvan qui est justement fait pour les gommer.

D'accord sans réserve aucune sur les enregistrements !

Sinon, tu ne ma pas toujours dit ce qu'était ton Ar c'hentañ miz Mari.


Dernière édition par Jeannotin le Sunday 16 Nov 14, 21:54; édité 2 fois
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Messageécrit le Thursday 02 Oct 14, 20:48 Répondre en citant ce message   

Oops, je pensais l'avoir fait mais hier soir j'ai passé pas mal de temps à retravailler mon message et j'ai effacé le passage où j'en parlais.

En fait, je ne connaissais pas non plus ce texte, je l'ai vu en cherchant dans le dictionnaire historique du breton le mot "bodañ", c'est un texte publié en 1868 je l'ai trouvé ici: http://br.m.wikisource.org/wiki/Restr:Dizanv_-_Ar_c%E2%80%99henta_Miz_Mari,_1868.djvu

Pour la syntaxe, si tu veux des exemples, je te conseille de jeter un oeil à la méthode Selaou Selaou, bien que je l'ai chez moi, c'est surtout auprès de son auteure que j'ai eu le breton dans les oreilles.
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Jeannotin
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Messageécrit le Thursday 02 Oct 14, 22:29 Répondre en citant ce message   

Mersi braz doh ! Wikisource ne l'a pas présenté de manière très évidente mais je vais y jeter un coup d’œil.

Je viens de me rendre compte que j'avais justement à porté de main un recueil de poèmes en bas-cornouaillais : Geriou ha soniou de Daniel Trellu. Comme j'ai connu l'auteur enfant, alors qu'il vivait dans mon village, j'ai toujours du mal à me souvenir qu'il n'était pas originaire du Poher.
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Jeannotin
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Messageécrit le Sunday 16 Nov 14, 22:13 Répondre en citant ce message   

Pour une attestation plus récente et indubitablement populaire du verbe boda :
brezhoneg-digor.blogspot.fr/2007/10/paotr-job-mestr-taw-war-dachenn.html

Citation:
Marivonig ha Julie,
Catherine ha Louise
Ha n'ouzoun ket ped-hini,
Bodet toud en-dro d'un daolig ront,
(Marivonette et Julie, / Catherine et Louise/ Et je ne sais combien [d'autres], / Toutes assemblées autour d'une petite table ronde,)
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