Buidheag
Inscrit le: 13 Jun 2016 Messages: 94 Lieu: Dùn Èideann
|
écrit le Tuesday 28 Feb 17, 14:56 |
|
|
Ce phénomène porte probablement un nom en linguistique, mais je ne suis pas assez calé pour le connaître. Je remercie par avance ceux qui voudront bien éclairer ma lanterne.
Je veux parler de la disparition du « ne » en français au profit du « pas ». En français parlé, on dit souvent « je crois pas » ou « je sais pas » au lieu de « je ne crois pas ». Le « pas » est un renforcement de la négation (comme le « point », plus formel, ou le « plus » qui introduit une nuance).
Je faisais remarquer ce point de grammaire à un ami gael, car on observe le même phénomène en gaélique écossais. Alors que l’irlandais continue d’utiliser la négation « ní/níl », le gaélique écossais utilise « cha/chan », hérité de l’ancien irlandais « ní con », a rapprocher du latin « non quod » apparemment.
À ma surprise, il m’a répondu que comme en français, le ní irlandais n’avait pas complètement disparu puisqu’on le trouve encore à l’impératif :
Na bi diùid : ne sois pas timide
Du coup, j’ai consulté MacBain, qui dit que c’est une alternance vocalique de l’indo-Européen :
<na>, not, ne, Ir., O.Ir. [na] : used with the imperative mood solely. It is an ablaut and independent form of the neg. prefix [in](see [ion-], [an-]), an ablaut of I.E. [nê], Lat. [nê], Gr. @G[nc-]; shorter from Lat. [ne@u-], Got. [ni], Eng. [not] (ne-á-wiht]), etc.; further I.E. [n@.-], Gr. @G[a@'n-], Lat. [in-], Eng. [un-], Gaelic [an-]. See [nach], which is connected herewith as Gr. @G[ou@'k], @G[ou@']; the W. is [nac], [nag], with imperative, Br. [na].
Est ce que cela signifie en effet que le « na » écossais correspond au « ne » français ?
Si oui, ça voudrait dire que mon ami a raison, non ? |
|
Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
|
écrit le Tuesday 28 Feb 17, 22:24 |
|
|
On appelle ça le cycle de Jespersen : dans de nombreuses langues du monde, la négation a d'abord été indiquée par un mot placé devant le verbe, puis un deuxième mot placé après le verbe est venu la renforcer, avant que le premier mot ne disparaissent. En ancien français, le ne hérité du latin suffisait d'abord à la négation. On a ensuite ajouté après le verbe le plus petit élément quantifiant l'action décrite par le verbe : je ne marche pas, je ne vois point, je n'entends note. Le français moderne s'est restreint à pas, qui suffit à exprimer la négation pour le français moderne oral.
Toutes les langues indo-européennes, dont les langues celtiques, connaissent un mot de négation apparenté au ne français, qui descend d'une racine IE *ne. Seul le grec ou(k) et l'arménien oč' font exception ; d'après Xavier Delamarre, l'étymon indo-européen de ce mot est *h₂oi̯u kʷid "jamais de la vie". Cela suggère que le grec et l'arménien sont arrivé à la dernière étape du cycle de Jespersen avant d'être documentés par écrit, tandis que pour le français, nous avons des attestations de tous les stades de ce cycle.
Le breton en est à-peu-près au même stade que le français dans le cycle de Jespersen. Le vieux breton se contentait de ne devant le verbe pour la négation, puis le mot ket qui signifiait originellement "don" est venu renforcer la négation, placé après le verbe. Le breton du Centre-Bretagne élide généralement le ne, mais la mutation adoucissante de la consonne initiale demeure : gomprenan ket "je ne comprends pas" (< infinitif kompren). Le ne existe surtout, sous une forme élidée, devant les verbes courants qui commencent par une voyelle : n'é ket "ce n'est pas", n'ouzon ket "je ne sais pas", n'in ket "je n'irai pas"... |
|