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Xavier Animateur
Inscrit le: 10 Nov 2004 Messages: 4087 Lieu: Μασσαλία, Prouvènço
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écrit le Saturday 22 Dec 07, 19:45 |
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L'étymologie de Crăciun (Noël), du latin creation- que l'on trouve sur certains dictionnaires roumains me laisse perplexe.
J'ai essayé de faire une petite recherche :
j'ai découvert cet article mais j'ai beaucoup de mal à comprendre !
http://www.crestinortodox.ro/Etimologia_cuvantului_Craciun_11170.html
Pour cet auteur, l'origine viendrait du latin calation- (appel, convocation du peuple, du verbe calo), que l'on retrouve dans les calendes (jour de la convocation)
Dernière édition par Xavier le Sunday 23 Dec 07, 0:04; édité 1 fois |
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Vasilica
Inscrit le: 01 May 2007 Messages: 83 Lieu: Bucarest
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András Animateur
Inscrit le: 20 Nov 2006 Messages: 1488 Lieu: Timişoara, Roumanie
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écrit le Saturday 22 Dec 07, 21:46 |
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Je transfère ici mon message de "Chants et traditions d'hiver en Roumanie":
Le seul dictionnaire étymologique du roumain, celui de Ciorănescu, après avoir longuement analysé diverses hypothèses, opte pour "creatio". Voici la traduction de l'article:
Origine très discutée. Le phonétisme de l'aroumain [Crăţun] indique un étymon latin, qui doit être creationem, au sens de "enfant", comme le sarde kriathone (Wagner 90), v. l'espagnol criazón, cf. esp. crio. Crăciun doit avoir signifié d'abord "l'enfant Jésus", ce qui explique aussi l'emploi de ce mot comme prénom et nom, et plus tard la personnification de la fête. L'étymon creationem a déjà été proposé mais au sens de "création" ou "naissance". (A. Densusianu [...]). Cette solution ne semble pas possible, étant la négation directe du dogme chrétien de l'Incarnation (né et non fait), et parce qu'elle laisse sans objet la personnification et sans explication le nom de personne Crăciun. Ce qu'on a opposé à l'étymon creationem (par Rosetti, [...]), c'est la perte inexplicable de -e et le résultat ea > ă à la place de ea en position atone > e, le résultat attendu étant *Creciune. Ces deux arguments sont insuffisants: la perte de -e est normale dans ce cas, cf. tăun (taon), păun (paon) et, par ailleurs, il y a les noms de personnes où le nominatif s'est confondu avec le vocatif: Bασίλιος > Vasile, Petrus > Petru et Petre, Γρηγόριος > Grigore, en opposition avec ’Iωαννης > Ioan. D'un autre côté, l'idée que l'hiatus e-a doit se réduire à a est fausse, se fondant sur de fausses analogies: videbat > vedea (voyait), et catella > căţea (chienne) est arrivé à ce résultat par un mécanisme que nous ne connaissons pas. L'hiatus e-a se réduit normalement à ă, comme le montre Rosetti [...], quand il obtient de Diana *zănă et d'ici zînă (fée). Par conséquent, nous pensons que le résultat creationem > Crăciun est phonétiquement normal et logique du point de vue sémantique, si on part du sens "enfant". Les autres étymons latins qu'on a proposés sont moins convaincants: (in)carnationem (Le Lexicon de Buda); crastinum (Hasdeu); Christi ieiunium (Schuchardt [...]; Christi natalia (Meyer); calationem "appel adressé au peuple par le prêtre, le premier jour de chaque mois" (P. Papahagi [...]). Le même mot apparaît dans plusieurs langues qui ont été en contact avec le roumain: cf. bulgare kračon, kračunek ([...]), serbe Kračun "nom de personne" ([...]), ruthène k(e)rčun, kračun, g(e)rečun, v. russe koročjun "une certaine période de l'année, non déterminée dans les textes", russe koročun "solstice d'hiver" et "mort". Cette étendue du mot a fait penser certains philologues à une possible origine slave ([...]), basée sur kratuku "court", ou sur kračati "faire des pas". Vasmer ajoute que la provenance du roumain n'est pas possible, car le mot apparaît en russe (chronique de Novgorod) dès 1143. L'argument semble insuffisant, car on sait que les Russes étaient en contact à l'époque avec des populations danubiennes; ce qui est sûr par contre, c'est que le russe n'a pas d'autres mots roumains aussi anciens, et qu'en général il en a très peu. Cependant, les étymons slaves propsés ne semblent pas possibles, kratuku parce que la dérivation serait impossible sous cette forme (Berneker) et kračati parce qu'il repose sur une simple consonnance, sans rapport sémantique visible. L'hypothèse de Rosetti, selon laquelle creationem "création" serait passé en slave en tant que terme ecclésiastique, ne supprime pas les difficultés, car il est impossible d'admettre, comme le fait l'auteur, que "la langue de l'église a également employé creatio" au lieu de Crăciun, pour les raisons dogmatiques sus-mentionnées. Enfin, le sens de "mort violente" ou de "mort dans la fleur de l'âge", propre au russe semble s'expliquer par le roumain crăciuni, verbe (verser du sang, tuer), à cause de la coutume de tuer le cochon avant Noël, cf. ţi-a venit Crăciunul [ton Noël est venu] "ton heure a sonné". [...] |
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Xavier Animateur
Inscrit le: 10 Nov 2004 Messages: 4087 Lieu: Μασσαλία, Prouvènço
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écrit le Sunday 23 Dec 07, 0:03 |
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Merci !
Présenté ainsi (avec le sens de : enfant) cette origine me semble plus pertinente. |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Sunday 23 Dec 07, 12:46 |
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Sans me prononcer sur l'origine exacte du mot ni sur les questions de phonétique évoquées, certains arguments me laissent cependant perplexe.
S'il est vrai que le latin d'église emploie creātiō comme creātūra au sens de « créature » pour traduire le grec ktísma et si on peut admettre que le sens en ait glissé vers « enfant » selon le témoignage des langues romanes, je ne suis pas persuadé que ce terme ait pu être utilisé pour Jésus qui, selon la théologie, est incarné et non créé. Or l'évangélisation de la Roumanie est fort ancienne :
http://www3.europole.u-nancy.fr/francais/eu/eu/1_1_2_3_1.htm a écrit: | En Roumanie, le christianisme avait été implanté sous sa forme latine à l'époque de la colonisation romaine. Des communautés latines isolées ont subsisté dans le pays jusqu'au XIIIème siècle. C'est seulement à la fin du XIIIème siècle que les premières principautés roumaines indépendantes sont passées dans la mouvance de l'église orientale de Constantinople. |
Je serais étonné que cette église naissante ait laissé considérer Jésus comme un enfant ordinaire, une créature.
Il ne me semble pas non plus nécessaire qu'un substantif donné comme prénom ait d'abord été un nom de personne. Nous avons des prénoms comme Noël ou Pascal, sans parler des espagnols Asunción ou Trinidad, qui se réfèrent explicitement à des fêtes religieuses et qui, j'imagine, ont probablement été d'abord donnés quand la naissance coïncidait avec la fête.
Mais, surtout, je ne connais pas d'autre exemple de fête chrétienne qui ait été désignée simplement par un nom de Jésus. Il faudrait que Crăciun soit l'abbréviation d'un « fête de Crăciun » ou « naissance de Crăciun » qui ne semble pas attesté dans les dires d'András. Et même, je ne sache pas que les anglais abrègent jamais Christmas en Christ … |
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Xavier Animateur
Inscrit le: 10 Nov 2004 Messages: 4087 Lieu: Μασσαλία, Prouvènço
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écrit le Sunday 23 Dec 07, 13:19 |
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Je partage le point de vue d'Outis.
Ce serait intéressant d'en savoir plus sur l'histoire de l'église en Roumanie.
Mais si l'église utilisait au Moyen Âge le latin, je ne vois pas comment ce mot d'origine latine aurait pu se développer, sans que l'on sache le lien entre ce terme et le latin.
En relisant le texte d'Andras, je me demande si une origine païenne ne serait pas à privilégier, et dans ce cas elle pourrait très bien être slave. (voir l'origine païenne de Jul dans les langues scandinaves)
Je pense au terme russe employé ci-dessus :
koročun : solstice d'hiver, mort
Le jour de Noël a été placé le jour du solstice d'hiver : c'est le 25 décembre, selon le calendrier julien d'origine
Ce jour est celui de la renaissance du soleil : c'est la nuit la plus longue de l'année. La mort et la renaissance du soleil nouveau.
Cette origine slave pourrait alors être aussi à l'origine du hongrois karácsony
puisqu'on estime que le terme hongrois et le terme roumain ont la même origine.
Voici une autre piste :
http://www.gandirea.ro/craciun.php |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Sunday 23 Dec 07, 13:39 |
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Je pensais aussi à une origine païenne car il me paraissait bien léger de refuser de s'appuyer sur la coïncidence de Crăciun « Noël » et crăciuni « verser le sang ».
Nous savons fort peu de choses de la religion daco-thrace et encore moins de ses rituels mais nous avons ailleurs de nombreux exemples de superposition d'une fête chrétienne à une fête païenne (avec conservation de certains rituels) et on peut très bien penser que les clercs aient choisi de garder le nom tout en lui donnant artificieusement une interprétation par le latin creationem : « Vous voyez, c'est le même mot ! vous étiez déjà chrétiens sans le savoir ! ». |
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Vasilica
Inscrit le: 01 May 2007 Messages: 83 Lieu: Bucarest
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écrit le Sunday 23 Dec 07, 13:46 |
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Outis a écrit: | Nous savons fort peu de choses de la religion daco-thrace et encore moins de ses rituels . |
les daces vénéraient Zalmoxis:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Daces |
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Cerise
Inscrit le: 21 Jun 2007 Messages: 157 Lieu: Auch,France
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écrit le Sunday 23 Dec 07, 17:28 |
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Une chose très curieuse et intéressante est que les Roumains disent" Moş Crăciun" . Le mot moş, est un mot d'origine dace qui signifie vieillard, donc dans ce contexte le "Père Noël". |
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Piroska
Inscrit le: 13 Sep 2005 Messages: 1067 Lieu: Basse-Marche (France)
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écrit le Sunday 13 Jan 08, 11:08 |
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Les hungarologues qui font dériver le mot Karácsony (Noël en hongrois) d'un mot slave d'origine païenne se référant au solstice d'hiver ont-ils raison ?
Les thèses de Ciorănescu sont-elles imbattables ?
Je n'aime pas contester les opinions des gens plus qualifiés que moi, mais je fais quelques réflexions concernant les diverses hypothèses.
1. Aux doutes de Ciorănescu, d'Outis et de Xavier concernant le sens "création" rapporté au Christ comme contredisant le dogme chrétien :
Si le sens "création" tenait debout comme désignation de Noël — et a priori je ne le contesterais pas —, il ne s'agirait évidemment pas de l'enfant Jésus personnellement comme créature, mais de l'événement de l'Incarnation, qui est une "nouvelle création" pour l'orthodoxie chrétienne, car elle rend possible la "nouvelle créature" par l'union de l'homme à Dieu à cause, justement, de l'union de Dieu à l'Homme dans la Personne du Christ-Dieu incarné, ce qui est parfaitement orthodoxe au point de vue théologique.
Ainsi par exemple, une hymne orthodoxe appelle la Vierge "prémice de la nouvelle création", car elle est la première personne humaine étroitement unie au Créateur, et on trouve chez saint Paul ce même sens:
2Co 5,17 : Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature.
Ga 6,15 : Car ce n’est rien que d’être circoncis ou incirconcis; ce qui est quelque chose, c’est d’être une nouvelle créature.
2. Concernant l'origine immédiate du hongrois "Karácsony" :
Ciorănescu mentionne le bulgare "kračon", ce qui me paraît le plus proche du hongrois Karácsony.
En effet, le hongrois a ajouté une voyelle à tous les mots d'emprunt anciens commençant par une accumulation de consonnes (kr, sk, pr, pl etc.) pour en faciliter la prononciation, les langues finno-ougriennes, contrairement aux langues eurindiennes, ne supportant pas plus d'une consonne à l'initiale. (Les Finlandais appellent la France "Ranska" pour cette raison, par exemple.)
De plus, les premiers peuples chrétiens avec lesquels les Hongrois avaient établi des contacts étaient très probablement les Bulgares.
Maintenant, le problème se réduit en effet à une question d'ordre chronologique.
Ou bien les Roumains ont un mot latin pour désigner Noël parce qu'ils étaient orthodoxes avant les autres peuples de la région, et ont créé leur propre terme chrétien,
ou bien ils ont pris, avec le christianisme, aux Slaves le mot d'origine païenne mais déjà christianisé.
Je n'en sais rien, mais j'aurais, sans en tirer des conclusions, deux remarques à faire à ce sujet :
1. Il me semble que dans la langue roumaine la plupart des termes chrétiens sont d'origine slave
2. Il me semble aussi qu'il existe en Roumanie une tendance à prouver l'origine latine du peuple coûte que coûte en latinisant souvent de force leur vocabulaire. |
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András Animateur
Inscrit le: 20 Nov 2006 Messages: 1488 Lieu: Timişoara, Roumanie
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écrit le Sunday 13 Jan 08, 12:08 |
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Je ne suis pas très compétent dans la question, mais à ce que j'ai trouvé comme informations, la christianisation de la population daco-romaine remonte au IVe siècle, les Bulgares se sont établis en Bulgarie au VIIe siècle et les Slaves en général (y compris les Bulgares slavisés) ont été christianisés aux IXe et Xe siècles. Par conséquent, le mot "crăciun" pouvait très bien être adopté par les Slaves.
Par ailleurs, c'est vrai que la plupart des termes religieux roumains sont d'origine slave, parce que la langue de l'église était le slavon. C'est surtout le cas des termes de spécialité, mais les termes utilisés par les fidèles sont plutôt d'origine latine:
Dumnezeu (Dieu), cruce (croix), înger (ange), creştin (chrétien), a cumineca (< *comminicare < communcare) (donner la communion), părinte ("père" – l'appellation des prêtres), Paşte (Pâques), a boteza (< batizare < baptizare) (baptiser), etc.
C'est vrai aussi qu'il y a des nationalistes roumains qui veulent minimiser les influences autres que latines sur la langue roumaine, alors que l'importance de l'élément latin n'est plus à démontrer. |
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Xavier Animateur
Inscrit le: 10 Nov 2004 Messages: 4087 Lieu: Μασσαλία, Prouvènço
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écrit le Sunday 13 Jan 08, 12:13 |
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Je partage l'opinion de Piroska.
Ce qui me gêne dans la démonstration de Ciorănescu, c'est qu'il rejette l'origine slave, parce qu'il n'arrive pas à trouver une étymologie slave au mot russe koročun. Puisque le slave n'a pas d'étymologie a priori pertinente, alors le slave a emprunté au roumain (ce qui serait un cas selon lui très exceptionnel).
Et ce qui serait encore plus exceptionnel, c'est qu'un sens chrétien ait été emprunté par le russe pour lui donner un sens païen !
A mon avis, c'est le contraire qui s'est passé. Le slave avec un sens païen a donné le nom au roumain. On a ensuite, à la fois latinisé et christianisé l'origine du mot, avec certainement une influence de l'église (infuence qui peut être inconsciente).
Piroska, peux-tu nous dire ce que présente un dictionnaire d'étymologie du hongrois ? |
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Cerise
Inscrit le: 21 Jun 2007 Messages: 157 Lieu: Auch,France
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écrit le Sunday 13 Jan 08, 15:48 |
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András a écrit: | Je ne suis pas très compétent dans la question, mais à ce que j'ai trouvé comme informations, la christianisation de la population daco-romaine remonte au IVe siècle, les Bulgares se sont établis en Bulgarie au VIIe siècle et les Slaves en général (y compris les Bulgares slavisés) ont été christianisés aux IXe et Xe siècles. Par conséquent, le mot "crăciun" pouvait très bien être adopté par les Slaves. |
Alors l' hypothèse de Ciorănescu peut être tout a fait véridique. |
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Piroska
Inscrit le: 13 Sep 2005 Messages: 1067 Lieu: Basse-Marche (France)
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écrit le Sunday 13 Jan 08, 20:50 |
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Xavier a écrit: | Piroska, peux-tu nous dire ce que présente un dictionnaire d'étymologie du hongrois ? |
Malheureusement, je ne dispose pas de dictionnaire étymologique du hongrois; mon dictionnaire hongrois unilingue mentionne simplement à l'article "karácsony" que le mot est d'origine slave. |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Monday 14 Jan 08, 1:24 |
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Via Lexilogos on peut atteindre le Kritisch-etymologisches Wörterbuch der magyarischen Sprache de Gregor Dankovszky (Preßburg, 1833) scanné par Google.
Pour chaque mot hongrois, il donne l'étymologie entre parenthèse, suivie de la traduction en latin puis en allemand (j'ajouterai le français pour ceux qui ne connaissent aucune des trois langues).
p. 532
Karátson (krátsun, val. sl.) Festum nativitatis Christi, die Weihnachten [Fête de la nativité du Christ, Noël]. Inde [De là] :
Karátson-hava, December, der December [Décembre].
La liste des abbréviations est p. 12, on n'y trouve pas sl. mais, comme celle-ci est très fréquente dans le dictionnaire, je pense qu'elle équivaut peut-être à slav. qui, lui, y est. Donc :
val. valachice, wallachisch [valaque]
slav. slavice apud Pannonios Slavos, slovakisch bei den Slawen in Pannonien [slovaque chez les Slaves de Pannonie]
En conclusion, ce cher Gregor considère que le nom hongrois de Noël vient d'un krátsun qui est valaque et slovaque. Si ça peut aider … |
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