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Helene
Inscrit le: 11 Nov 2004 Messages: 2846 Lieu: Athènes, Grèce
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écrit le Monday 25 Jul 05, 8:43 |
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amaurose
- du grec αμαύρωση, mot formé de αμαυρώνω noircir, obscurcir.
L'amaurose est une perte totale de la vue. |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Wednesday 26 Dec 07, 9:55 |
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Il semble que Wikipédia s'avance un peu en affirmant :
Citation: | L'amaurose est la perte complète de la vue, sans altération des milieux de l'œil. |
Le TLF est un peu plus nuancé :
Citation: | Diminution de l'acuité visuelle, sans altération oculaire apparente. |
Et Doctissimo plus précis :
Citation: | Affaiblissement ou perte de la vue dû à une atteinte du nerf optique ou des centres nerveux, mais sans lésion de l'oeil lui-même. |
En fait, une recherche effectuée sur les sites médicaux montre que le terme est d'emploi assez rare et n'est guère utilisé que qualifié :
- amaurose fugace : Cécité monoculaire transitoire, totale ou partielle, due une ischémie rétinienne (c'est-à-dire à l'obstruction de l'artère rétinienne par un caillot) ;
- amaurose de Leber : Maladie familiale grave des yeux, qui est responsable d'une cécité ou d'une malvoyance dès la naissance (déficience d'un gène intervenant dans la synthèse du pigment visuel) ;
etc.
Il s'agit donc aujourd'hui d'un terme assez technique mais cela n'a pas toujours été le cas, le mot ayant une certaine ancienneté dans le vocabulaire médical français.
Il apparaît à la Renaissance sous la forme amaphrose (1590) où la consonantisation de la diphtongue trahit clairement un emprunt à la médecine byzantine. On trouve encore amafrose (1611) mais, dès Furetière (1690), le mot est restitué à l'évolution régulière du grec ancien au français sous la forme amaurose.
Les termes indiqués par Hélène, αμαύρωση [amávrosi] « amaurose, obscurcissement » et αμαυρώνω [amavróno] « matir, ternir, offusquer, obscurcir » (par exemple, αμαυρώνει τη φήμη του [amavróni ti fími tou] « il ternit sa réputation ») sont du grec moderne et n'existaient pas en grec ancien.
La forme de base ancienne est l'adjectif amaurós avec un sens, soit passif « difficile à voir, indistinct » comme Homère l'emploie pour les ombres des morts (Odyssée, 4,824), soit actif « qui ne voit pas, qui tâtonne » comme Sophocle l'emploie pour qualifier les mains d'Œdipe aveugle (Œdipe à Colone, 1639).
Les principaux dérivés anciens sont le dénominatif amauróō « rendre sombre, trouble, affaiblir, détruire », le nom d'action amaúrōsis « affaiblissement », de la vue (Hippocrate) ou de l'esprit (Aristote), et le nom de résultat amaúrōma « obscurcissement du soleil ».
Mais, dès Pindare (Pythiques, 12,24) on trouve pour le verbe la forme abrégée mauróō « détruire » et, nettement plus tard, la forme maũros « sombre » de l'adjectif qui conduira aussi bien au grec moderne μαυρός [mavrós] « noir » qu'à l'ethnonyme Maũroi « de Mauritanie, Maures ».
Quant à l'étymologie, elle est aussi obscure que le sens lui-même. Compte tenu du sémantisme négatif que présente le mot, on pourrait penser à un a- privatif mais l'existence (qui est peut-être plus ancienne que nos témoignages ne l'indiquent) des formes abrégées conduit à rejeter cette hypothèse et, d'ailleurs, on ne connait aucun correspondant d'un éventuel *maur- qui conduirait à préciser son sens …
Le nom et adjectif français maure (anciennement more, du latin maurus, emprunt au grec) a longtemps servi à désigner les populations arabo-berbères d'Afrique du Nord ainsi que les Sarrasins qui dominèrent l'Espagne. Il a pris aussi parfois le sens général de « nègre » comme en témoigne un proverbe cité par Littré :
À laver la tête d'un Maure on perd son temps et sa lessive.
(inutile d'essayer d'expliquer à quelqu'un quelque chose qui est hors de sa portée)
Un proverbe aussi désolant que pertinent comme le savent, hélas, tous les enseignants ! |
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Helene
Inscrit le: 11 Nov 2004 Messages: 2846 Lieu: Athènes, Grèce
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écrit le Wednesday 26 Dec 07, 13:53 |
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En grec ancien on retrouve la forme αμαύρωσις aujourd’hui αμαύρωση (formé du α privatif + μαρ.) probablement issu du verbe μαρμαίρω briller, luire d’après le dictionnaire Stamatakos. |
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Xavier Animateur
Inscrit le: 10 Nov 2004 Messages: 4087 Lieu: Μασσαλία, Prouvènço
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écrit le Wednesday 26 Dec 07, 15:27 |
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Est-ce qu'il n'y aurait pas deux origines distinctes ?
Le Maure (habitant de la Maurétanie) n'est peut-être pas dérivé du grec et ce mot aurait été confondu avec amaurós pour former le grec μαυρός (noir) ? |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Wednesday 26 Dec 07, 16:25 |
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@ Hélène :
Encore faudrait-il en apporter au moins un début de démonstration car ni Pokorny (lemma mer-2, p. 734 et lemma mau-ro-, p. 701), ni Frisk (I, p. 88 ), ni Chantraine (I, p. 71) ne font la moindre allusion à une telle possibilité.
Il faut dire que la difficulté phonétique est de taille ! Pour supposer que amaurós soit issu de la racine *mer- « briller » il faut poser une extension *-u- sur un degré zéro *mr-w- > *marw-, suivi d'une métathèse qui donnerait maur-.
Or le traitement du groupe intervocalique rw est bien connu en grec et ne souffre aucune exception :
Il y a chute du w, suivi éventuellement selon les dialectes d'un allongement de la voyelle brève précédente (Lejeune, § 159, p. 158).
Par exemple, après a, *φάρϝος [phárwos] (nt.) « tissu », myc. plur. pa-we-a₂ = *pʰarweha (< *bʰr-w-es-a), hom. φᾶρος, att. φάρος.
Aussi, jusqu'à publication d'une telle démonstration, il vaut mieux s'en tenir à l'avis de Chantraine :
Citation: | Il n'est pas surprenant qu'un terme de ce genre, pris en mauvaise part et de sens assez mal défini, ne possède pas d'étymologie. |
@ Xavier :
C'est fort peu probable. On suit assez bien l'histoire de ces mots. Les latins Maurētānia et Maurītānia (qui désignaient plutôt l'actuel Maroc) sont des dérivés de Maurus qui est un emprunt au grec. Il y a parallélisme sémantique simple entre Noirs, Nègres et Maures. De plus, ainsi que je l'ai signalé, on trouve des formes sans a- en grec dès le début du Ve siècle (Pindare). |
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Xavier Animateur
Inscrit le: 10 Nov 2004 Messages: 4087 Lieu: Μασσαλία, Prouvènço
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écrit le Thursday 27 Dec 07, 15:46 |
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Comment peut-on expliquer la perte de ce a- ?
pour expliquer l'évolution αμαυρός > μαῦρος
Je ne vois pas d'autres exemples ou le a- initial s'est perdu |
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Helene
Inscrit le: 11 Nov 2004 Messages: 2846 Lieu: Athènes, Grèce
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écrit le Thursday 27 Dec 07, 16:29 |
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Il n’est pas perdu le α on le retrouve dans le verbe αμαυρώνω (noircir) et dans αμαυρός (obsur) qui sont des termes qui se disent tous les jours.
Quant au message de Outis j’avais répondu que le dictionnaire Stamatakos voit un rapport avec μαρμαίρω. Enfin la forme αμαύρωσις date de la période hellénistique. |
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Mercurius
Inscrit le: 02 Dec 2008 Messages: 100
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écrit le Sunday 21 Dec 08, 21:07 |
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Voici un passage du néoplatonicien PORPHYRE qui "éclaire" (si je puis dire!) notre lanterne:
"Par exemple, comme la lumière qui se trouve dans nos yeux est semblable à celle par laquelle nous voyons les (objets) éclairés, s'il (Homère) parle de la cécité, il dit: "Il le priva (alaôsen) de son oeil (Od. 1, 69)", lorsqu'il indique le fait d'ôter la faculté de voir.
Mais il dit: "elle le priva (amerse) d'oeil (Od.8, 64)", lorsqu'il exprime ce qui est ténébreux et privé de la faculté de rayonner.
Et le fantôme privé de la faculté de rayonner, il l'appelle AMAURON (Od. 4, 824). Car c'est aussi par la présence de la lueur que l'on s'aperçoit qu'un oeil voit ce qui se voit.
Selon Platon également, le trouble de la vue est double; soit dû à l'obscurité, soit dû à l'excès de lumière semblable.
Voilà pourquoi, ne pas luire (MAIREIN) ou briller (MARMAIREIN) à cause de l'obscurité, Homère le dit AMERDEIN ou AMAURON, tandis que etc...
(...) D'autre part, si MERDEIN est (l'équivalent de) MAIREIN, et que AMERDEIN signifie "ne pas briller", alors SMERDALEON qualifierait le fait de briller très fort, le "très fort" (ZA) étant inclus dedans etc."
(Porphyre, Quaestionum Homericarum ... H. SCHRADER p.294. SODANO p.46) |
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Patrick
Inscrit le: 03 Apr 2007 Messages: 598 Lieu: Βέλγιο: Βαλλωνία
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écrit le Saturday 28 Mar 09, 21:59 |
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Comme plusieurs l'ont rappelé, les mots dérivés grecs ont tous un rapport avec l'obscurcissement.
Le Maure est donc "foncé" par définition pour les Grecs et peut sans doute désigner aussi bien les "basanés" que les "Noirs", je suppose. En grec moderne le vin rouge est aussi "le vin foncé" (to mavro).
(cf. La Mauritanie, à partir du grec ; le Niger et le Nigeria à partir de niger en latin qui est proprement "noir"). |
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Athanasius
Inscrit le: 23 Feb 2009 Messages: 242 Lieu: Dinant
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écrit le Saturday 28 Mar 09, 23:54 |
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L'étymologie donnée par Porphyre pour α-μαυρος, «non brillant» (α privatif et μαιρειν, «briller»), que le dictionnaire Stamatakos a visiblement reprise, devrait vraiment être étudiée dans le contexte où Homère a employé le mot. Plusieurs intervenants y ont déjà fait allusion, mais il est absolument troublant!
En effet, Homère s'en sert à deux reprises pour qualifier le «simulacre», l'«image», ειδωλον, qui s'adresse à Pénélope endormie (Odyssée, IV, 824 et 835). S'il s'agit bien d'un «fantôme qui ne brille pas», d'une «apparition sombre», pourquoi le même phénomène, quelques vers plus loin (v. 841), est-il défini comme un «songe brillant», un «rêve clair» (εναργες ονειρον)?! Le poète avait-il la mémoire à ce point courte?...
La réponse se trouve peut-être dans la distinction que faisaient les Anciens entre «voir» et «entendre», je veux dire dans un contexte philosophique (la distinction dans le sens profane est évidente). En effet, le mot ειδωλον désigne quelque chose qui se voit (*ειδειν, «voir»), tandis que le mot ονειρον est invariablement associé, par les Anciens, à ειρειν, «dire» (ον ειρον, «disant ce qui EST», c'est-à-dire «disant la vérité»).
En conclusion, ce que voyait Pénélope n'était pas aussi évident que ce qu'elle entendait. |
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Athanasius
Inscrit le: 23 Feb 2009 Messages: 242 Lieu: Dinant
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écrit le Thursday 02 Apr 09, 10:48 |
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On peut encore ajouter que Démocrite et son école «atomiste» se sont beaucoup penchés sur ce passage d'Homère où il est question de l'«image obscure». |
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Xavier Animateur
Inscrit le: 10 Nov 2004 Messages: 4087 Lieu: Μασσαλία, Prouvènço
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