Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3511 Lieu: Nissa
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écrit le Thursday 21 Feb 19, 12:08 |
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Le sésame, petite graine oléagineuse utilisée comme aromate du Proche-Orient comme à l'Extrême-Orient, peut faire l'objet d'une interrogation instructive sur l'origine de son nom.
Le début est simple :
français sésame < latin sesamum/sisamum < grec σήσαμον [sēsamon]
(les deux vocalismes du latin s'expliquant par les dates différentes de l'emprunt, le ē grec s'étant progressivement fermé jusqu'à i)
Puis arrive madame E. Masson (Rech. sur les plus anc. empr. sémit. en gr., Paris, 1967, p. 57) qui y reconnaît un emprunt sémitique et est citée par Chantraine (DELG) comme par le TLF : Chantraine a écrit: | akkad. šamaššammu(m), ougar. ššmn, phénic. ššmn, hébr. šumšom à date tardive. | Il ajoute que le mot a été emprunté également par le hittite šam(m)am(m)a, šapšama.
Le TLF précise la date du mot hébreu, c'est un mot mishnaïque, donc plus ou moins vers le début de notre ère à une époque où il subissait une influence de l'araméen. Il ajoute enfin l'arabe simsim.
Fort bien. Mais une chose me turlupine. Comme Chantraine le précise en début d'article, le mot est attesté en mycénien par le pluriel neutre sa-sa-ma.
Il s'agit de la tablette MY Ge 602 découverte en 1954 à Mycènes (Argolide) dans la Maison des Sphinx et qui fournit une liste d'aromates et d'épices (une photo de la tablette est visible ICI bien que peu lisible). En voici la 3e ligne : Palmer, p. 271 a écrit: | pe-ke-u ku-mi-no DM 0/0/0/? [ma-ra]-tu-wo DM 0/0/1 sa-sa-ma DM 0/0/0/2 sa-pi-de 6 |
Citation: | anthroponyme ; κύμινον (cumin) ; μάραθϝον (fenouil) ; σάσαμα (sésame) ; boîtes ? (σαρπίς ?) | (le signe DM note une mesure pour matières sèches)
Ceci fournit une certaine antiquité au terme grec : XIIIe siècle avant notre ère !!!
Dans la liste de madame Masson, seul le témoignage akkadien pourrait se prévaloir d'une telle antiquité, et encore faudrait-il en connaître la date car cette langue est longtemps (jusqu'au début de notre ère pour le dialecte babylonien) restée utilisée comme langue savante au Proche-Orient.
Je serais donc curieux de savoir si cette dame a une bonne expertise en archéologie sémitique ou si elle s'est contentée comme d'autres de compulser des dictionnaires …
Enfin, dernière étrangeté, c'est Chadwick qui voit dans sa-sa-ma un pluriel neutre. Est-ce sous l'influence de l'alphabétique σήσαμον ? Car, après tout, ce pourrait fort bien être un féminin singulier, sur la même ligne κύμινον (cumin) et μάραθϝον sont des singuliers. |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3864 Lieu: Paris
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11169 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Friday 22 Feb 19, 4:58 |
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Donc, finalement, avec le nom désignant le sésame comme avec divers noms désignant des épices, nous nous trouvons en présence d'un terme qui a beaucoup voyagé d'une langue à l'autre, d'abord au Moyen-Orient, semble-t-il, puis un peu partout ailleurs dans le vaste monde. Si bien qu'on ne saura sans doute jamais où et quand cette épice fut ainsi baptisée.
Car le phonème sam, ou sim, ou sum, répété pour lui donner plus de poids comme c'est le cas de nombreux mots qui seraient autrement trop brefs, est probablement l'un des plus faciles à prononcer. Je serais prêt à parier qu'il existe un samsam, simsim, sumsum ou semsem dans une bonne moitié des langues encore actuellement parlées, mais, bien sûr, chaque fois avec un sens différent. Un même sens à des milliers de kilomètres de distance serait un très, très gros hasard.
L'arabe classique n'échappe pas à ce constat : sous la racine smsm on trouve des mots signifiant renard, loup, courir (en parlant du renard), fourmi rouge, alerte, dispos, vif, sésame et graine de coriandre. Je pense que le nom du renard, à l'odeur caractéristique, est d'origine sémitique, à juger par une parentèle en sm porteuse des sèmes odeur (plutôt la mauvaise que la bonne) ou renifler. Pour tous les autres sens, je ne saurais dire. Et je veux bien croire que le terme désignant le sésame est probablement un emprunt. Mais rien ne prouve qu'il soit un beau jour sorti du chapeau d'un mycénien. Simplement, pour le moment, on ne remonte (peut-être) pas plus haut.
Outis a écrit: | Ceci fournit une certaine antiquité au terme grec : XIIIe siècle avant notre ère !!!
Dans la liste de madame Masson, seul le témoignage akkadien pourrait se prévaloir d'une telle antiquité
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Non, pas seulement l'akkadien, l'ougaritique aussi : L'ougaritique est une langue chamito-sémitique éteinte de type cananéen, appartenant au groupe nord-ouest des langues sémitiques, parlée dans la ville d'Ougarit à l'âge du bronze récent ( XV e – XII e siècles av. J.-C. ). (Wikipedia)
Apparemment, ce mot entre dans ce que Chantraine appelle la « catégorie 1, mots réellement d'origine sémitique ». Je ne sais pas si Emilia Masson avait des compétences en archéologie sémitique mais si Chantraine est aussi affirmatif pour ce mot, je suppose qu'il s'est entouré d'un maximum de précautions. À quoi bon consulter Chantraine si on se met à douter de tout ce qu'il affirme ?! Mais pardon, j’oubliais que toi seul étais autorisé à le faire, et en multipliant les points d’exclamation...
Cela dit, je veux bien croire que l'homonymie ait pu encore frapper, qu'elle ait pu une fois de plus induire en erreur des étymologistes de bonne foi mais insuffisamment informés ou prudents. Il suffit de se souvenir – ce n’est pas bien loin – de l’exemple de herse dans hirpex.
Un de ces jours on découvrira une attestation de ce mot en sumérien... ce qui ne prouvera rien car celui qui démêlera l'akkadien du sumérien n'est pas encore né. Mais bon... |
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