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rejsl Animatrice
Inscrit le: 14 Nov 2007 Messages: 3672 Lieu: Massalia
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écrit le Thursday 02 Feb 12, 23:26 |
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באַלאַגאַנ, balagan en yiddish, балаган en russe, ukrainien,בָּלָגָן en hébreu moderne .
Voilà un mot voyageur. Certes, il ne figure pas dans les dictionnaires français, mais dans ma ville à Marseille, il y a un restaurant, le Balagan-restaurant, le terme inspire de nombreuses compagnies de théâtre, de cirque, compagnie Balagan à Pernes-les-Fontaines, Balagan Système dans la région Rhônes-Alpes, en Allemagne, un groupe musical Balagan, le Balagan Band , l'un et l'autre s'inspirant plus ou moins de la musique klezmer, à l'automne dernier s'est tenu à Marseille le Balagan festival , lui entièrement dédié à ces musiques juives ashkénazes.
Mais il existe aussi une revue BALAGAN, hébergée par l'université de Potsdam , revue qui s'intéresse au théâtre, cinéma de langue slave.
Quelle pagaille n'est-ce pas? C'est exactement cela! En yiddish באַלאַגאַנ , repris en hébreu בָּלָגָן, c'est le chaos, la foire, la pagaille. Par extension, le fiasco aussi.
Mais c'est aussi le théâtre ambulant, le cirque ambulant, ce qui explique que les deux sens réunis inspirent des artistes de tous pays ( ma liste est loin d'être complète...). Plus exactement, la baraque, le stand dressé sur tréteaux de bois pour le spectacle. Le terme a ensuite désigné la compagnie elle-même par métonymie.
En ukrainien,балаган c'est la baraque du théâtre ambulant et également la farce, le désordre. En bulgare,балаган, une chose pas sérieuse, en polonais balagan: désordre, voire désastre.
En russe, c'est la baraque de foire mais aussi une cabane d'été en bois, utilisée par les peuples nomades de Sibérie, particulièrement de la Kamtchatka. Le terme serait venu via les langues turques du persan bālāhānä où il désigne une sorte de véranda, d'étage supérieur en bois, une mezzanine.
En Israël, le linguiste Paul Wexler, université de Tel Aviv, se demande si en fait le terme ne serait pas entré directement du persan en yiddish, sachant que certaines communautés juives d'Asie Centrale ( Ouzbékistan par exemple) parlaient un dialecte tadjik et furent en contact étroit, au cours de l'histoire, avec les yiddishophones. La raison de cette interrogation: le yiddish garde les deux acceptions de ce mot: baraque de bois, véranda ou mézzanine d'une part, chaos, foire de l'autre. Dernière acception qui serait peut-être due à l'influence des langues slaves.
Dernière édition par rejsl le Friday 03 Feb 12, 0:18; édité 1 fois |
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rejsl Animatrice
Inscrit le: 14 Nov 2007 Messages: 3672 Lieu: Massalia
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écrit le Thursday 02 Feb 12, 23:53 |
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En russe, l'expression политический балаган = polititshesky balagan désigne une farce politique.
РЕФЕРЕНДУМ ИЛИ ПОЛИТИЧЕСКИЙ БАЛАГАН = Referendum ili polititshesky balagan = Référendum ou la farce politique. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11198 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Friday 03 Feb 12, 6:56 |
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Très intéressant ! Et d'autant plus que l'ancêtre persan de ce mot, à savoir ce بالاخانه bālāẖāna (avec un petit trait sous le h, aussi transcrit moins savamment par kh), "chambre à l'étage supérieur", désigne aussi le balcon ... et pourrait bien être l'ancêtre du mot balcon lui-même, plutôt que le francique *balco « poutre » affirmé sans le moindre doute par le TLF... et par tout le monde.
Pour Ali Nourai (et ses sources), bālāẖāna est non seulement, via l'italien, l'étymon de balcon mais aussi celui de barbacane. (On verra que le TLF retient cette hypothèse comme plausible). Et tout ce beau monde est, par l'élément bālā-(= "en haut, supérieur"), issu du thème eurindien *bʰergʰ-, “hauteur fortifiée”. (Voir le MDJ bourg).
Quant à l'élément ẖāna (= "habitation"), il est emprunté par le français sous la forme khan ou kan (khan 2 dans le TLF), "caravansérail", à ne pas confondre avec son homonyme “khan (titre honorifique)”, du mongol kagan, “prince, souverain”. (khan 1 dans le TLF)
Il y a du monde au balagan ! |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3875 Lieu: Paris
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écrit le Friday 03 Feb 12, 10:25 |
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Papou JC a écrit: | Très intéressant ! Et d'autant plus que l'ancêtre persan de ce mot, à savoir ce بالاخانه bālāẖāna (avec un petit trait sous le h, aussi transcrit moins savamment par kh), "chambre à l'étage supérieur", désigne aussi le balcon ... et pourrait bien être l'ancêtre du mot balcon lui-même, plutôt que le francique *balco « poutre » affirmé sans le moindre doute par le TLF... et par tout le monde. |
Intéressant, stimulant, troublant et ... assez douteux quand même. L'étymologie traditionnelle (cf. MDJ Balcon) a pour elle à mon avis suffisamment de garants sérieux parmi les étymologistes italiens, français, allemands et anglais modernes pour qu'une idée d'Ali Nourai, reprise de sources anciennes ou peu accréditées et fondée sur un rapprochement de forme et de sens actuels soit étudiée avec beaucoup de circonspection. Mais il est certainement intéressant de constater que le mot bālāẖāna a une aire d'utilisation très vaste, qui pourrait naturellement se prêter aux échanges linguistiques avec les voyageurs européens.
Voici quelques sources anciennes qui mentionnaient cette étymologie :
Supplement to the glossary of Indian terms, Henry Miers Elliot
Dictionnaire allemand de Heyse,
Vieux Chambers.
Mais les dictionnaires plus modernes réfutent en général cette hypothèse, comme le dictionnaire étymologique d'Oxford qui dit que la transformation phonétique pour passer de bālāẖāna à balcone n'est pas satisfaisante.
Cela dit, on peut avoir une origine mixte, sous plusieurs influences.
En tout cas, merci d'avoir signalé cette hypothèse.
Pour ce qui est du mot russe балаган, il vient bien, via le turc, de bālāẖāna, comme l'a parfaitement expliqué rejsl. Il y a des considérations intéressantes sur les allées et venues de sens entre russe, yiddish et autres langues sur cette page. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11198 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Friday 03 Feb 12, 12:27 |
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Merci !
J'ai bien lu cette page... et j'en conclus que le fameux francique *balko lui-même est probablement issu de notre bālāẖāna persan, par un cheminement qui va de l'Iran aux pays germaniques en passant par le Turkestan, la Russie et la Pologne. |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3875 Lieu: Paris
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écrit le Friday 03 Feb 12, 13:08 |
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Attention quand même. La page en question rassemble des interventions de gens qui ne sont pas plus (ou moins) spécialistes que toi et moi et est à prendre avec des réserves. Il y a d'ailleurs des interventions de sens contraires.
Je m'en tiens à l'hypothèse traditionnelle qui rattache le francique à une racine indo-européenne bhelg à laquelle ressortiraient peut-être aussi le latin fulcrum et le grec phalanx. |
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gilou
Inscrit le: 02 Jan 2007 Messages: 1528 Lieu: Paris et Rambouillet
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écrit le Friday 03 Feb 12, 13:56 |
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Papou JC a écrit: | avec un petit trait sous le h, aussi transcrit moins savamment par kh | Juste une remarque, si c'est du persan, il n'y a aucune raison de transcrire ça avec h et un petit trait sous le h, sauf si ce qu'on fait est dans un contexte de langues sémitiques (dont le persan ne fait pas partie), qui est à peu près le seul cadre ou l'on emploie cette transcription. Je suppose que l'ouvrage d'Ali Nourai est dans ce contexte de langues sémitiques.
Le symbole de l'API, x, ou bien la transcription employant kh (souvent utilisée par les linguistes anglophones, avec son pendant sonore, gh) est plus courante pour le persan. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11198 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Friday 03 Feb 12, 15:43 |
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Tu as raison, Nourai utilise le x. Marchons pour le x : bālāxāna donc. |
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Xavier Animateur
Inscrit le: 10 Nov 2004 Messages: 4087 Lieu: Μασσαλία, Prouvènço
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écrit le Wednesday 18 Sep 19, 15:54 |
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Lu dans la presse en ligne aujourd'hui, à propos des élections législatives en Israël : aucune majorité ne semble être possible.
Comme lors de l'élection précédente, les scores définitifs seront déterminants et un mot hébreu revient en boucle pour décrire la situation: "balagan" (joyeux bordel).
(site de L'Express)
balagan : באלגן |
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Charles Animateur
Inscrit le: 14 Nov 2004 Messages: 2526 Lieu: Düſſeldorf
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écrit le Wednesday 18 Sep 19, 20:18 |
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En russe балаган viendrait du farsi بالاخانه (chambre à l'étage, balcon) et désigne des bâtiments temporaires pour le cirque ou le théâtre (XVIIIe-XIXe s.). Le terme reste associé à quelquechose de guignolesque. |
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Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 896 Lieu: Pays de Loire
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écrit le Wednesday 18 Sep 19, 21:41 |
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Pas nécessairement ; ainsi dans ce passage d'Anna Karénine (II,21) (c'est moi qui traduis) :
Временная конюшня, балаган из досок, была построена подле самого гипподрома, и туда вчера должна была быть приведена его лошадь.
"Une écurie provisoire, baraque en planches, avait été édifiée tout à côté de l’hippodrome, et son cheval avait dû y être amené la veille."
Vronski a des défauts, mais il n'eût pas accepté de jouer le guignol. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11198 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 19 Sep 19, 5:57 |
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À relire ce fil depuis le post initial - qui disait presque tout - je crois qu'il faut retenir pour ce MDJ le sens général de "construction temporaire en planches et poteaux, tréteaux". D'où ensuite des dérivations sémantiques vers "baraque, théâtre ambulant > cirque > clowns", etc. Sans oublier le sens qu'il a en persan, à savoir très exactement celui donné par Rejsl, de "véranda, étage supérieur en bois, mezzanine".
Quant au rapport avec le proto-germanique *balkon (fr. balcon), je pense aujourd'hui qu'il s'agit probablement d'une coïncidence fondée sur une paronymie doublée d'une parasynonymie, la différence qu'il y a entre des planches et des poutres. |
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rejsl Animatrice
Inscrit le: 14 Nov 2007 Messages: 3672 Lieu: Massalia
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écrit le Thursday 19 Sep 19, 10:25 |
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@xavier
Le mot " balagan " n'est pas entré dans les langues européennes ( ici le français) via l'hébreu qui ne connaissait pas ce mot mais par le yiddish.
Si tu veux l'écrire en lettres hébraïques, il faut reprendre le modèle que j'ai donné dans le titre de ce mot du jour , en y mettant les voyelles :
באַלאַגאַו . |
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Xavier Animateur
Inscrit le: 10 Nov 2004 Messages: 4087 Lieu: Μασσαλία, Prouvènço
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écrit le Thursday 19 Sep 19, 10:45 |
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J'ai oublié de préciser que j'avais pris ce mot dans un dictionnaire hébreu.
Le problème de l'hébreu, c'est que les recherches ne donnent pas le même résultat si on place ou non les voyelles.
Avec les voyelles en hébreu : בָּאלָגָן
(milog.co.il/)
Le mot est-il usuel en hébreu ? Je suppose puisque l'article que j'ai mentionné emploie ce mot pour désigner la politique israélienne.
L'hébreu l'a certainement emprunté au yiddish ? |
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rejsl Animatrice
Inscrit le: 14 Nov 2007 Messages: 3672 Lieu: Massalia
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écrit le Thursday 19 Sep 19, 14:59 |
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Mais je l'avais expliqué plus haut, au début de ce fil.
Ce mot existe à présent en hébreu moderne , emprunté au yiddish. Il n'y a pas de " balagan " en hébreu biblique !
C'est à travers le yiddish qu'il est venu dans les différentes langues qui l'emploient au sens de " désordre, panique, foire".
Il n'y a aucune raison de le citer en hébreu ! Le mot existe aujourd'hui en hébreu moderne , parce que des yiddishophones l'ont employé dans le nouvel État israélien aprés la seconde guerre mondiale. Et bien sûr, avec le même sens qu'en yiddish.
Le yiddish n'est pas de l'hébreu même s'il s'écrit avec les caractères hébraïques et là, il n'y a aucun problème d'orthographe , puisque les voyelles sont présentes.
באַלאַגאַן
Les trois voyelles prononcées A sont marquées par un passekh alef correspondant au son A.
Si cela avait été un mot issu de l'hébreu classique, même en yiddish on n'aurait pas écrit les voyelles.
Ce n'est pas un mot hébraïque , on l'écrit avec les voyelles.
C'est étrange d'aller chercher ce mot dans un Dictionnaire hébreu ...pourquoi ? Pourquoi pas alors dans un Dictionnaire hongrois ? |
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