Voir le sujet précédent :: Voir le sujet suivant |
Auteur |
Message |
Charles Animateur
Inscrit le: 14 Nov 2004 Messages: 2522 Lieu: Düſſeldorf
|
écrit le Wednesday 30 Oct 13, 13:14 |
|
|
En compilant ma base de dictionnaires d'argot du XIXe siècle je me rend compte avec amusement des efforts de certains lexicographes pour dire sans le dire l'ineffable... Ils parlent d'argot, mais leurs explications sont parfois très éloignées de la langue du peuple et le terme argotique nous est plus familier que l'explication livrée au lecteur. Le recours au latin et au grec est souvent leur seule issue !
Quelques exemples:
Ce que les Hébreux appellent hesich raglaw, les Anglais to shite, les Espagnols cagar, les Flamands schyten, les Italiens cacare, et les Grecs χέζειν. (lemme Aller aux affaires, A. Delvau, éd. de 1889)
Prostibulum (divers termes désignant un bordel)
Le peditum de Catulle, ou plutôt son leve petitum, — dans l’argot facétieux des faubouriens qui ignorent que Savinien Lapointe a publié sous ce titre un recueil de poésies fort estimables. (Voix d'en bas, flatulence en langage standard)
Dans le domaine du tabou on trouve outre les déjections, flatulences et relations intimes de tout poil les menstrues, affectant régulièrement la moitié de la population mais impossible à évoquer directement. |
|
|
|
|
rejsl Animatrice
Inscrit le: 14 Nov 2007 Messages: 3664 Lieu: Massalia
|
écrit le Wednesday 30 Oct 13, 13:36 |
|
|
La barrière linguistique entre les classes sociales était au 19ème encore moins perméable qu'aujourd'hui, ces lexicographes s'adressaient à un public bourgeois et lettré et avaient bien du mal à expliquer tous ces mots sans heurter la bienséance d'alors. Et aujourd'hui, ce serait presque le contraire : la langue dite soutenue, en tout cas celle utilisée à l'époque semble barbare, anachronique à bien des gens, cependant que beaucoup de mots d'argot sont entrés dans l'usage.
C'est, je pense, ce qui provoque notre amusement. Tout compte fait, c'est le langage ampoulé d'alors qui nous semble bizarre et mériterait pour beaucoup d'être expliqué. |
|
|
|
|
Charles Animateur
Inscrit le: 14 Nov 2004 Messages: 2522 Lieu: Düſſeldorf
|
écrit le Wednesday 30 Oct 13, 14:05 |
|
|
Exactement, pour expliquer certains des aspects les plus courant de la vie de tous les jours les lexicographes se voient obligés de recourir à des métaphores et images renvoyant à une connaissance soutenue de l'antiquité.
Qui utiliserait de nos jours Cythère pour expliquer un terme d'argot ?
Par ailleurs, si un lecteur est calé en php et sql j'aurais besoin d'aide pour rendre le site plus navigable ! |
|
|
|
|
embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3862 Lieu: Paris
|
écrit le Wednesday 30 Oct 13, 14:48 |
|
|
Charles a écrit: | Ce que les Hébreux appellent hesich raglaw, les Anglais to shite, les Espagnols cagar, les Flamands schyten, les Italiens cacare, et les Grecs χέζειν. (lemme Aller aux affaires, A. Delvau, éd. de 1889) |
Delvau se plante d'ailleurs pour l'anglais, c'est to shit (mais il y a des formes dialectales ou anciennes "to shite").
Cela dit, je crois qu'il n'y a nulle contorsion ou gêne de la part de Delvau, mais un simple amusement élégant à parler de la chose d'une manière détournée, pour le plaisir des lecteurs. Cela n'empêche nullement le même livre d'avoir plusieurs entrées à "chier", preuve que le mot ne lui fait pas peur et n'est pas tabou.
Du reste, on se tromperait en pensant que le XIXe siècle est toujours pudique. Sous le couvert d'une certaine érudition, tout est permis.
|
|
|
|
|
rejsl Animatrice
Inscrit le: 14 Nov 2007 Messages: 3664 Lieu: Massalia
|
écrit le Wednesday 30 Oct 13, 16:07 |
|
|
Citation: | Sous le couvert d'une certaine érudition, tout est permis |
Cette phrase résume bien la question: ce qui compte au 19ème, c'est bien cette frontière qui sépare le populo du bourgeois, l'ignorant du lettré.
Tout est permis mais à l'intérieur d'un certain cadre, à condition de respecter certaines règles du jeu: l'érudition, les bons mots, une certaine forme d'humour, l'élégance de l'expression en font partie. Tout ce qui permet de distinguer entre celui qui emploie naturellement le langage populaire et argotique parce que c'est celui correspondant à son milieu social et celui qui s'en amuse, qui le glose , qui éventuellement goûte de loin le plaisir de s'encanailler un moment. |
|
|
|
|
Charles Animateur
Inscrit le: 14 Nov 2004 Messages: 2522 Lieu: Düſſeldorf
|
écrit le Sunday 17 Nov 13, 14:58 |
|
|
L'érudition a du beau, mais je me suis demandé un certain temps ce qu'étaient ces "nates" que Delvau évoque régulièrement. Les lemmes étaient finalement plus utiles que les définitions pour le comprendre (il s'agit des fesses en latin). |
|
|
|
|
rejsl Animatrice
Inscrit le: 14 Nov 2007 Messages: 3664 Lieu: Massalia
|
écrit le Monday 18 Nov 13, 11:42 |
|
|
C'est aussi qu'au 19ème, le latin marquait la frontière entre ceux qui avaient eu accès aux études classiques qu'il fallait avoir suivi dans les milieux aristocratiques et bourgeois et les autres.
C'est nettement moins le cas de nos jours. |
|
|
|
|
embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3862 Lieu: Paris
|
écrit le Monday 18 Nov 13, 13:57 |
|
|
Charles a écrit: | L'érudition a du beau, mais je me suis demandé un certain temps ce qu'étaient ces "nates" que Delvau évoque régulièrement. Les lemmes étaient finalement plus utiles que les définitions pour le comprendre (il s'agit des fesses en latin). |
Delvau donne quand même des pistes claires quand il écrit :
Citation: | Deux sœurs : s. f. pl. Les nates de Martial, — dans l’argot des faubouriens. |
Bizarrement, ce terme latin nates a longtemps été utilisé en anatomie aux tubercules quadrijumeaux pour désigner les collicules supérieurs ou antérieurs qui s'opposaient aux testes, les collicules inférieurs. On trouve beaucoup d'ouvrages dénonçant le ridicule de ces termes sexuellement connotés appliqués à un organe aussi noble que le cerveau !
Le terme nates est aussi employé, au sens propre cette fois-ci, chez Freud, si j'en crois ce livre.
Citation: | Le rôle des nates dans le masochisme est lui aussi, mis à part son évident fondement dans le réel, facile à comprendre. Les nates sont la partie du corps privilégiée, du point de vue érogène, dans la phase sadique-anale, comme la mamelle dans la phase orale, le pénis dans la phase génitale. |
On appréciera l'humour d'une traduction qui place côte à côte les nates et le fondement ! En allemand, c'était seulement "Auch die Rolle der Nates im Masochismus ist, abgesehen von der offenkundigen Realbegründung, leicht zu verstehen. " |
|
|
|
|
José Animateur
Inscrit le: 16 Oct 2006 Messages: 10945 Lieu: Lyon
|
écrit le Monday 18 Nov 13, 14:06 |
|
|
Charles a écrit: | L'érudition a du beau, mais je me suis demandé un certain temps ce qu'étaient ces "nates" que Delvau évoque régulièrement. Les lemmes étaient finalement plus utiles que les définitions pour le comprendre (il s'agit des fesses en latin). |
On a en italien
- natica = fesse
- naticuto = fessu
mots assez rares
Et en français :
- natice / nasse
(zoologie) mollusque gastropode marin dont la coquille ressemble à celle de l'escargot
rapport à sa forme |
|
|
|
|
embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3862 Lieu: Paris
|
écrit le Monday 18 Nov 13, 14:15 |
|
|
Comme le rappelle le TLFi, fesse a évincé l'a. fr. nache, nage attesté du xiie au xvies. (T.-L., Gdf.) du lat. vulg. *natica, class. natis, plur. nates « fesses ».
Godefroy donne de nombreuses variantes nache, naiche, nace, nage, naige, natege, etc. et des exemples :
|
|
|
|
|
Charles Animateur
Inscrit le: 14 Nov 2004 Messages: 2522 Lieu: Düſſeldorf
|
écrit le Wednesday 27 Nov 13, 18:44 |
|
|
En intégrant le dictionnaire de Delvau à ma base de données je suis finalement en train d'apprendre du latin... de latrines. On trouve ces latinismes pour tout ce qui est lié, de près ou de loin, au produit de la digestion : alvum deponere, stercus, podex, nates... |
|
|
|
|
|