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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Saturday 09 Sep 17, 8:48 |
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Le grec ancien κόσμος recouvrait essentiellement la notion d'ordre et, plus spécifiquement, de bon ordre. Homère en est le premier témoignage :
ἔντεα δέ σφιν καλὰ παρ᾽ αὐτοῖσι χθονὶ κέκλιτο εὖ κατὰ κόσμον τριστοιχί:
leurs belles armes étaient par terre étendues auprès d'eux en ordre parfait, sur trois rangs ; (IL. X, 471-3, trad. Bardollet)
leurs belles armes, près d'eux, sont posées sur le sol, bien en ordre, sur trois rangs (trad. Mazon)
Employé négativement, on perçoit déjà que cet ordre est « comme il faut, comme il sied » :
ὤρινάς μοι θυμὸν ἐνὶ στήθεσσι φίλοισιν εἰπὼν οὐ κατὰ κόσμον.
tes paroles sans correction dans ma poitrine m'ont ému le cœur. (OD. VIII, 178-9, trad. Bardollet)
tu m'as levé le cœur au plus profond de moi, avec tes mots de rustre ! (trad. Bérard !!)
On peut aussi noter :
ἀλλ᾽ ἄγε δὴ μετάβηθι καὶ ἵππου κόσμον ἄεισον δουρατέου
Eh bien, change d'épisode et chante l'ordonnance du cheval de bois (OD. VIII, 492-3, trad. Bardollet)
Mais poursuis ! et dis-nous l'histoire du cheval (trad. Bérard, qui athétise le vers 493)
Enfin, très vite, le passage de la mise en ordre à la parure que l'on retrouvera dans « J'ai mis de l'ordre à mes cheveux, un peu plus de noir sur mes yeux » (Dalida, Il venait d'avoir dix-huit ans) n'échappait pas à Homère :
αὐτὰρ ἐπεὶ δὴ πάντα περὶ χροῒ θήκατο κόσμον βῆ ῥ᾽ ἴμεν ἐκ θαλάμοιο,
Puis, quand elle eut mis en place sa parure entière, autour de son corps, elle se mit en marche, sortit de sa chambre, (IL. XIV, 187-8)
Enfin, quand elle a ainsi autour de son corps disposé toute sa parure, elle sort de sa chambre, (trad. Mazon)
Et la langue grecque a forgé l'adjectif dérivé κοσμητικός [kosmētikós] « apte à orner » (ἡ κοσμητικὴ τέχνη « l'art d'orner »), d'où le français cosmétique qui, dans mon enfance, était encore le nom des crèmes plaquant les cheveux.
En allemand, puis en français, le mot κόσμος est emprunté au grec par Humboldt en 1847 (Cosmos, [all. Kosmos 1845-1862] Essai d'une Description physique du monde) au sens de « L'univers, ou partie de l'univers, considéré comme un ensemble ordonné ».
La notion d'ordre convenable est clairement mise en évidence par l'emploi de κόσμος pour désigner en Crète des magistrats qui sont les équivalents des éphores de Sparte (Aristote, Politique, II, 1272a : τοῖς ἐν τῇ Κρήτῃ καλουμένοις κόσμοις), dont la première prérogative est le maintien de ce qu'on appellerait aujourd'hui l'ordre public. Ces cosmes étaient suffisamment prestigieux pour que leurs noms soient utilisés comme anthroponymes, ce fut en particulier de cas pour un médecin arabe du IIIe siècle qui, chrétien, fut décapité sous Dioclétien et fut canonisé sous le nom de Saint Côme, devenant ensuite le patron des médecins et chirurgiens. Comme pour tous les saints, Côme fut donné comme patron à de nombreux enfants, dont :
Cosme de Médicis (Cosimo de' Medici), fondateur de la célèbre dynastie florentine ;
Sir Cosmo Edmund Duff-Gordon, 5th Baronet, brillant épéiste et survivant ambigu au naufrage du Titanic …
Cosima Wagner, épouse du compositeur et gardienne de sa mémoire, qui fut avant Cosima Liszt puis Cosima von Bülow … |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Saturday 09 Sep 17, 16:39 |
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Passons à l'étymologie. Le sens clairement abstrait du mot rend raisonnable d'exclure un emprunt à une langue barbare et l'hypothèse eurindienne semble donc probable. Il faut supposer un suffixe -μος ou -σμος (Chantraine, Formation…, §§105-111) avec simplification d'un groupe consonantique. Chantraine (DELG, s.u. κόσμος) ne se prononce pas entre diverses propositions (dont un *κοδ-σμος rapproché de κεδνός « soigneux, sérieux, sage ») mais Lejeune (Phonétique historique du mycénien et du grec ancien, §134) soutient le choix *κόνσμος d'après un thème eurindien *ken-s- « situer en juste place » que l'on connaît par le latin cēnseō « exprimer un avis dans les formes prescrites » (Ernout-Meillet, DELL, s.u., la longue ē résultant d'une évolution phonétique secondaire) et par le védique śaṁsati « il récite » appliqué à la récitation rituelle des hymnes.
On a aussi tenté d'y rattacher le nom de Cassandre, l'héroïne troyenne, mais phonétique comme sémantique ne sont pas claires et c'est un autre sujet … |
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dawance
Inscrit le: 06 Nov 2007 Messages: 1895 Lieu: Ardenne (belge)
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écrit le Saturday 09 Sep 17, 17:56 |
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Je voudrais savoir si, du point de vue sémantique, il y aune correspondance avec le nl 't is in orde, que les Bruxellois traduisent abusivement par c'est en ordre.
Exemples: mes amis flamands le disent pour une affaire terminée et qui tourne rond. En somme, l'équivalent de all 's OK.
Ce qui est plus surprenant pour les Wallons est cet emploi après un excellent dîner. Comme je le perçois, 't is in orde aurait alors le sens de :"C'est exécuté selon les règles de la bienséance", notion proprement culturelle, et qu'il vaut mieux connaître pour un étranger...
Simple question. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11193 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 10 Sep 17, 0:08 |
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Outis a écrit: | Passons à l'étymologie. Le sens clairement abstrait du mot rend raisonnable d'exclure un emprunt à une langue barbare et l'hypothèse eurindienne semble donc probable. |
Pour information, dans son ouvrage Du sémitique en grec, que j'ai souvent cité, Michel Masson consacre une douzaine de pages à kosmos. C'est l'un des mots sur lesquels il s'attarde le plus. Je ne saurais le résumer ici et me garderai bien de prendre parti.
Pour les seuls arabisants, je dirai seulement que, d'après l'auteur, kosmos et la racine arabe قسم qsm auraient la même origine sémitique.
Connaissant bien Michel Masson, je me porte garant du sérieux de sa recherche et de son travail. Ce n'est pas un amateur, lui.
Mais bon, les langues sémitiques faisant partie des langues "barbares" (au sens du grec ancien, bien sûr), place ici à la probable hypothèse eurindienne. |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Sunday 10 Sep 17, 1:33 |
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Bah, je ne veux pas pinailler, j'étais sûr que je ne pouvais plus publier quoi que ce soit dans le domaine de l'étymologie sans que tu me contredises, mais je signalerai simplement ce passage d'un compte-rendu de lecture de l'ouvrage en question (je n'ai plus le temps de lire de nouveaux livres !) :
… un théorème qui fonctionnera tout au long de l'ouvrage, à savoir : « moins on trouve de distortion sémantique et formelle entre le mot grec et son étymon supposé, plus l'hypothèse de l'emprunt est recevable » à condition de restreindre « le champ de la recherche au domaine des realia liés au commerce » (p. 41). (c'est moi qui souligne)
Je n'en aurais pas dit plus … |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11193 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 10 Sep 17, 8:39 |
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Moi, oui. La citation est fautive, tronquée et, à mon avis, volontairement trompeuse et malhonnête. Voici le texte de Michel Masson tel que l'ai sous les yeux :
"... plus l'hypothèse de l'emprunt est recevable. Si l'on restreint le champ de la recherche au domaine des realia liés au commerce, le problème de la proximité sémantique est résolu par la nature même du corpus retenu : il s'agit de termes très techniques comme myrrhe, encens, sésame, etc., dont le sens est facile à cerner et pour lesquels l'équivalence d'une langue à l'autre ne pose guère de problèmes. En revanche, la définition de la proximité formelle se révèle plus difficile à établir." (C'est moi qui souligne).
Pour ceux qui ont le temps de lire, ils trouveront ICI la longue réponse de Michel Masson à l'auteur du compte-(mal)rendu.
En fait à deux auteurs, car il y a eu deux compte-rendus.
Il est question de kosmos dans le deuxième, p. 14. |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Sunday 10 Sep 17, 9:35 |
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Il ne nous reste plus donc qu'à attendre de la science de Michel Masson, via Papou, quelques éclaircissements sur cette éventuelle racine arabe qsm et son origine sémitique … |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11193 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 10 Sep 17, 9:56 |
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J'ai donné une information. J'ai bien dit plus haut que je ne résumerai pas et ne vais pas non plus recopier cette douzaine de pages.
Une information supplémentaire : ce que Masson dit de kosmos dans ce livre est un extrait de l'article paru dans Semitica & Classica / Vol. 5 / 2012 (Ed. Brepols) sous le titre KOSMOS /QSM : Retour sur "Black Athena" de Martin Bernal.
Ceux de nos lecteurs que ce sujet intéresse vraiment sauront aller à l'une ou l'autre source et y mettre le prix.
Maintenant, il faudrait voir à ne pas laisser la question de dawance sans réponse... |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Sunday 10 Sep 17, 10:21 |
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La réponse n'est ni simple, ni rapide. Surtout, elle dépend de la conception que l'on a de la nature de la nature (cf. Edgar Morin, La méthode, t. I). Déclarer qu'est « en ordre » quelque chose qui s'est heureusement achevé porte la marque d'une certaine idéologie qui considère l'Univers comme conçu, créé et achevé.
Tout est parfait et on est un bon garçon (ou fille) dès qu'on a rangé sa chambre …
Sur ces choses, une fois adulte, chacun est libre. |
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dawance
Inscrit le: 06 Nov 2007 Messages: 1895 Lieu: Ardenne (belge)
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écrit le Sunday 10 Sep 17, 10:24 |
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Outis a écrit: | Le grec ancien κόσμος recouvrait essentiellement la notion d'ordre et, plus spécifiquement, de bon ordre. … | Dans mes souvenirs d'anciennes lectures, me revient le mot logos, qui est, au sens d'Héraclite, un synonyme de cosmos, si je ne m'abuse. (logos a un sens très différent chez d'autres auteurs, notamment chez Heidegger).
De Kostas Axelos, traducteur français (Wikipediaà) :
Citation: | «Le logos est chez Héraclite ce qui constitue, éclaire et exprime l'ordre et le cours du monde. Il ne peut être saisi que si nous entrons en dialogue avec lui. Il fonde le discours et le dialogue, et anime la dialectique ». |
Un autre mot-clé apparenté sémantiquement :
Citation: | La Phusis (φύσις, traduit ordinairement par « nature ») est un concept philosophique, considéré comme l'un des tout premiers de la pensée grecque. Pour les Présocratiques, le concept originaire désigne, tout ce qui est et advient, la nature, mais non pas au sens moderne, ni même l'ensemble des choses physiques, mais élargie à la dimension la plus large possible : la totalité de ce qui est (l'étant) ou se produit (les événements ...). Un équivalent moderne pourrait être la totalité des phénomènes. |
Encore plus abstrait (abstraction, qui me dépasse, je l'avoue) : Citation: | On doit à Héraclite la formule où le « Logos » est dit de façon lapidaire (dans le fragment 50) : « hèn panta » ou « Un-Tout » ou encore « l'Un unissant Tout ».
Cet « Un-Tout » n'est pas à concevoir comme la résultante d'une unité par agrégation du multiple, par rattachement ou accouplement mais, selon l'expression de Guillaume Badoual comme une« unité concertante » qui va constituer la « Dimension » dans laquelle toutes choses « avec leur adverse » vont pouvoir apparaître dans leur lumière propre | Je n'aurais pas vu le « Un-Tout » comme ça, mais bien comme un rattachement. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11193 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 10 Sep 17, 10:41 |
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Je crois que tu as oublié un autre mot-clé, Chaos, qui est à Kosmos ce que le latin immundus est à mundus. (Masson, Du sémitique en grec, p. 190). |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Sunday 10 Sep 17, 11:19 |
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Il ne faudrait pas confondre le grec χάος [kháos] avec le français chaos. Le premier n'est qu'une béance primordiale alors que le second porte la marque du plus grand désordre.
Mais, surtout, nous entrons ici dans un débat qui est plus philosophique que linguistique et qui me paraît hors-sujet. J'ai ouvert ce fil pour comprendre comment le cosmonaute était apparenté aux cosmétiques, rien d'autre …
… pour les interprétations de la devise ordo ab chao, on se reportera, selon ses goûts, aux littératures ou pseudo-littératures spécialisées ! |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11193 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 10 Sep 17, 11:24 |
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Outis a écrit: | Il ne faudrait pas confondre le grec χάος [kháos] avec le français chaos. Le premier n'est qu'une béance primordiale alors que le second porte la marque du plus grand désordre. |
Le lien est étymologique. Tout le monde sur Babel sait bien que le sens des mots ne cesse d'évoluer au fil des siècles. On ne sait pas grand chose mais on sait au moins ça ! |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Sunday 10 Sep 17, 14:02 |
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Non ! Le lien entre χάος et chaos n'est nullement étymologique mais du ressort de l'histoire des mots, une discipline que tu ignores avec trop de superbe. Ma mise en garde ne visait que ta phrase « Chaos, qui est à Kosmos ce que le latin immundus est à mundus » que je considère, donnée sans aucune justification, comme aussi douteuse que hors sujet … |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11193 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 10 Sep 17, 15:32 |
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Au moins pour les ignorants de mon acabit, tu aurais dû commencer ton post initial par "J'ai mis les deux mots en titre mais il ne faudrait pas confondre le grec κόσμος [kósmos] avec le français cosmos" etc.
Il va falloir peser ses mots, dorénavant... |
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