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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11235 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 13 Jun 10, 11:59 |
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J'ai même eu la surprise aujourd'hui, en parcourant chez Andras Rajki (Arabic Etymological Dictionary) la centaine de mots arabes d'origine grecque, de trouver dans le lot la racine Z-W-G, زوج bien connue des arabophones et arabisants, qui exprime les notions de paire, d'époux, de mariage, etc. Pour l'auteur, l'étymon de cette racine est le grec ζυγόν (zugon). |
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R_Camus
Inscrit le: 19 Apr 2010 Messages: 230
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écrit le Sunday 13 Jun 10, 15:29 |
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Pour le slave *jьgo (Note)(bulg., russe etc. иго igo et tutti quanti. d'où ижица izhica "petit joug", nom de la lettre Ѵ ѵ en russe d'avant la réforme de 1918) et le lien avec i.e. *jew- "lier", voir Dictionnaire étymologique des langues slaves (Dir. Trubachëv, vol. 8, 1981)
Vous y trouverez les principaux réflexes des langues slaves, des développements originaux et une bibliographie (pardon, elle est tronquée). C'est en russe, mais qui est intéressé peut quand même parcourir des yeux, et éventuellement demander des précisions sur telle ou telle forme.
Pour la racine verbale *jew- (je note ainsi faute de disposer aisément des "i" et "u" souscrits marquant les glides), on peut naturellement consulter le Lexikon der indogermanischen Verben [=L.I.V.] de Rix (je dois posséder ses deux éditions, si on en a besoin).
PS. En relisant plus attentivement le fil. Attention I-e. *jeug serait, d'après Trubachëv et al., suffixé: *jew+G.
Le L.I.V. est d'accord avec cela, et cite, en regard de la racine d'aoriste "?*jéw-/ju-", le védique yuvâná- ("festhaltend" = "qui maintient") et la 3sg. yuváti "hält fest, verbindet" = "il tient, attache". Et aussi le lituanien jáuju, jáuti "vermischen" = "mélanger" (Rix, op. cit., p. 314)
J'ignore ce qu'est ce suffixe *g.
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note: les étymologues insistent pour utiliser la lettre ь (appelée "petit yer") dans les reconstructions slaves communes. Il équivaut à un "i" (ou une voyelle antérieure proche) ultra bref. |
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dubsar

Inscrit le: 07 May 2007 Messages: 448 Lieu: Altkirch (F68)
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écrit le Sunday 13 Jun 10, 16:00 |
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On admet généralement que l’hébreu zug, paire, couple et l’arabe zawwaja, marier sont des emprunt au grec.
Mais cette racine est très diffusée, non seulement en sémitique mais en afro-asiatique (au moinq sémitique et berbère) :
hébreu : zug, paire
araméen : ziwweg : joindre, accoupler
zōgā, paire, couple
syriaque : zawwe, idem
arabe : zawwaǧa, unir, joindre, marier
zāǧa, exciter l’un contre l’autre, mettre aux prises
formes métathétiques en arabe : ǧōz, paire, ǧawwaz, se marier
ge’ez :zoga, zawaga, être égal
tigrina : zäwäǧä, former un couple
zäwg, couple, paire
amharique : zäwwäǧä, former un groupe
zog, allié
Et :
Berbère : zug, copuler
Il semble donc possible que la forme afro-asiatique soit – au moins – une forme simplement homonyne. Je pense qu’avant de conclure il faudrait revoir la racine indo-européenne au niveau
de sa première consonne : z- en grec, y- en sanscrit : dy- ou autre chose ?
de la deuxième consonne qui pourrait être une des « laryngales » benvenostiennes
et de sa troisième qui serait le –w
le –g étant alors une augmentation
Ce qui finalement différentie totalement les deux racines i-e et a-a. |
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R_Camus
Inscrit le: 19 Apr 2010 Messages: 230
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écrit le Sunday 13 Jun 10, 16:00 |
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D'autre part, sans me replonger dans mes sources étymologiques, un étonnement:
il est piquant que "joug" et ses avatars, marquant la liaison, l'absence de liberté, l'entrave, soit si proche de jouer, jocari etc. qui, au contraire, implique précisément du jeu, une possibilité d'ajustement imparfait, une absence de solidarisation.
Comme si dans la fabrique de formes et sens par associations "libres" qu'est l'activité de langage, il se créait parfois spontanément de l'énantiosémie (= sens opposés pour une même forme).
Alors que le terme "paronymes" désigne des formes de sens et de forme proches, il n'existe pas de terme, à ma connaissance, pour des formes proches de sens opposé. Disons: quasi-énantiosémie.
@ dubsar : j'avais aussi pensé à l'hébreu zug (de cette série des mots en consonne + /u/ + consonne qui fait sourire les locuteurs bilingues de ma connaissance), mais le -g- est, en terrain indo-européen, une pièce rapportée (cf. mon message et l'article du Dict. ét. des langues sl.).
Quels sont les arguments pour l'emprunt au grec?
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Pourquoi postuler une laryngale? j'ai peine à reconstruire le raisonnement. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11235 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 13 Jun 10, 17:09 |
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Entre le sémitique et l'indo-européen, il pourrait bien sûr s'agir d'un cas d'homonymie mais il pourrait aussi, rêvons un peu, s'agir d'une de ces vieilles racines - il y en a quelques-unes - communes aux deux groupes de langues, voire à plus, et qui remontent à la nuit des temps. Il n'y aurait rien d'étonnant à ce qu'une racine exprimant des notions aussi fondamentales et universelles que couple et d'accouplement soit du nombre ... |
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dubsar

Inscrit le: 07 May 2007 Messages: 448 Lieu: Altkirch (F68)
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écrit le Sunday 13 Jun 10, 17:29 |
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Je ne suis pas un bon indo-européaniste mais je pense qu'on pourrait décomposer joug-zugos, etc, en *Z-Hx-W + élargissement en -g, le *Z représentant une première consonne, le Hx une "laryngale" vocalisée en -e- et le W une troisième consonne.
Dans l'afro-asiatique; les 3 consonnes sont radicales Z-W-G.
C'est ce qui différencie ces deux racines, le nostratique ou l'eurasiatique perdent alors là une belle comparaison. |
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R_Camus
Inscrit le: 19 Apr 2010 Messages: 230
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écrit le Sunday 13 Jun 10, 17:36 |
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Citation: | *Z-Hx-W (...) le *Z représentant une première consonne, le Hx une "laryngale" vocalisée en -e- et le W une troisième consonne. |
hmm, cela me gêne, j'ai besoin, en i.e., de racines faites sur le schéma CVC ("V" variant suivant les règles dites d'apophonie). La vocalisation me paraît mal passer dans ce cadre! Outis a-t-il suivi les développements récents sur le gabarit de la racine i.-e.? CVC me semble admis assez largement, mais qui sait? |
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dubsar

Inscrit le: 07 May 2007 Messages: 448 Lieu: Altkirch (F68)
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écrit le Sunday 13 Jun 10, 18:19 |
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En cherchant un peu j'ai trouvé tout cela :
Proto-IE : *yug-; *yeug- (Gr zd-)
hittite : juga- n./c. 'Joch?' (Tischler 448-449)
tokharien : A, B yuk- : conquérir surpasser
vieil Indien : yunákti, yuñjati joindre, atteler
yóga- , l’acte de joindre
yoktár- m. celui qui joint,
yóktra- n. instrument pour joindre;
yugá- n. équipe, accouplement
yugala- n. paire couple
avestique : yaoǰ-, yuǰ- `anspannen, anschirren; womit vertraut machen, eine Sache teilhaftig machen'
yaōxǝđra- n. `kriegerische Anspannung, Unternehmung, Angriff'
arménien : luc, joug
grec : zdügó-n n. ( zdügó-s m.) joug
zdêu̯gos n. attelage, paire
zdéu̯gnǖmi, -ǘō, aor. zdêu̯ksai̯, pass. zdügē̂nai̯, pf. pass. ézdeu̯gmai̯, ézdeukha : atteler, réunir
slave : *jь́go, gen. *jь́žese; *jь́go, gen. -a , joug; *õbьžā ce qu’un homme laboure avec un cheval
vieux russe et slavon : . иго , igo (ζυγόν)
serbe : ижеса , ijetsa
bulgare : и́го, igo
slovène : igȏ, igȇsa, ižе̑sа,
tchèque : jho,
polonais : igo, et aussi jugо
polabe : . jеigü.
lituanien : jùngti (-ia, -ē) mettre sous le joug, atteler
jùnga-s, joug
letton : jûgt (-dzu) atteler,
jûgs joug
gothique : jukuzi f. (jō) joug ; juk n. (a) paire
vieux Norois : eyk-r m. bête de trait; ok n. joug
norvégien : ok; öyk , bête de trait
suédois : ok; ök idem
danois : ɔg; ög idemp
vieil anglais : gycer; geoc idem
anglais : yoke, idem
vieux Saxon : juk-
moyen hollandais : joc, juc
hollandais : juk n.
moyen bas germanique : juk, jul
vieux haut germanique : joh (8.Jh.) joug, quantité labourable en une journée avec une paire de bœufs
moyen haut germanique : joch st. n. 'joch'; jiuch, jūch, juoch st. n., f. joug
allemand : Joch n.idem
latin : iūgera, -um, -ibus (/-īs) n. « champs d’une matinée » (environ 2500 m²);
iūmentum (VxLat iouxmenta) bête attelée
iungō, -ere, iūnxī, iūnctum atteler, lier
iūgis, -e permanent, continu
iugum, -ī n. `joug
celtique:
vieux cornique : ieu,
breton : eio, geo joug
gaulois : Veriugodumnus
Finalement le -G a l'air bien attaché à sa racine qui serait peut-être YWG. Il n'y a plus alors que la première lettre qui se différencie de la racine a-a. |
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dawance
Inscrit le: 06 Nov 2007 Messages: 1897 Lieu: Ardenne (belge)
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écrit le Sunday 13 Jun 10, 18:34 |
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R_Camus a écrit: | il est piquant que "joug" et ses avatars, marquant la liaison, l'absence de liberté, l'entrave, soit si proche de jouer, jocari etc. qui, au contraire, implique précisément du jeu, une possibilité d'ajustement imparfait, une absence de solidarisation. | S'il est bien vrai que le joug de bœufs (voir photo ici http://servimg.marche.fr/photo/big/49/14/17/17144941_1.jpg) est à la fois un lien et une entrave, il n'en est pas de même du yoga, qui est le "lien entre l'âme et le corps", réalisé surtout par des exercices respiratoires et qui est une libération. C'est du moins ce que j'ai ressenti quand j'en ai fait pendant trois ans. |
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R_Camus
Inscrit le: 19 Apr 2010 Messages: 230
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écrit le Sunday 13 Jun 10, 18:37 |
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Citation: | Finalement le -G a l'air bien attaché à sa racine qui serait peut-être YWG. Il n'y a plus alors que la première lettre qui se différencie de la racine a-a. |
euh, le mot "lettre" doit être un lapsus calami !
Quid des formes indiennes citées par le LIV ? Et du balte ?
On a quand même l'avis convergeant de deux très grands indo-européanistes contre ce que vous avancez.
Allez, une troisième source: j'ai moins confiance en Ivanov et Gamkrelidze, mais en tout cas ils sont érudits, et eux aussi séparent l'occlusive et notent:
*jeu-k'.
Et Köbler aussi estime que le -G n'appartient pas à la racine !
Il existe apparemment un consensus dans les ouvrages de référence.
Malheureusement pour moi, je ne peux parler de plain pied avec ces auteurs, je ne connais pas la littérature (= les démonstrations). Dans ces cas-là, obligé de faire confiance...
PS. Non, et cette forme que vous citez, "Proto-IE: *yug-; *yeug- ", elle est très étrange. personne n'utiliserait "y" ici ! Quelle est votre source ?
@ dawance : rrhâ, votre message est superbe !
On quitte les lois phonétiques qui, seules (c'est mon avis contra Haudry, excusez du peu), fondent la reconstruction de l'indo-européen, mais on retrouve peut être l'activité de langage et sa plasticité.
Je m'en vais réfléchir sur le lien comme libération...
Dernière édition par R_Camus le Sunday 13 Jun 10, 19:03; édité 6 fois |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11235 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 13 Jun 10, 19:33 |
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Citation: | Il n'y a plus alors que la première lettre qui se différencie de la racine a-a. |
Question naïve : Si le Y a pu évoluer vers Z en grec, pourquoi pas aussi en afro-asiatique ? |
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R_Camus
Inscrit le: 19 Apr 2010 Messages: 230
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écrit le Sunday 13 Jun 10, 19:37 |
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JC, cher adepte de Ruhlen (?), puisque tous les ouvrages de référence excluent le G de la racine, la charge de la preuve est du côté de celui qui pose une filiation :-) |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11235 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 13 Jun 10, 19:50 |
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Les racines arabes dites "trilittères" sont parfois des "bilittères" avec une extension. Si bien que le G sémitique pourrait bien lui aussi être une pièce rapportée ...
Je n'ai aucune preuve, bien entendu, je fais comme tout le monde, je m'étonne de ce G ...
Je ne suis pas sûr qu'Andras Rajki soit bien avisé de faire dériver la sémitique ZWG du grec, mais il faut bien reconnaître que le rapprochement est tentant ... |
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R_Camus
Inscrit le: 19 Apr 2010 Messages: 230
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écrit le Sunday 13 Jun 10, 19:58 |
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Citation: | Les racines arabes dites "trilittères" sont parfois des "bilittères" avec une extension. |
oui, c'est vrai, mais en l'occurrence, le rapprochement paraît un peu forcé.
Pour le nostratique, il faudrait trouver la requête qui va bien dans la base du regretté Starostine:
http://starling.rinet.ru/cgi-bin/main.cgi?root=config
(j'ai essayé, mais rien trouvé, j'espère qu'on aura la main plus heureuse que moi)
PS. Je comprends après coup que Andras Rajki = http://www.freeweb.hu/etymological/AEDweb.htm
(je l'ai souvent utilisé pour mon compte sans savoir qui était l'auteur!) |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Monday 21 Jun 10, 11:16 |
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préambule : en l'absence de caractères résolvant le problème de façon admise par tous, je note indifféremment i ou y (resp. u ou w) les semi-voyelles de l'eurindien, même quand le mode de réalisation n'est pas évident : *ieu-, *iew-, *yeu- et *yew- sont pour moi la même racine car ses réalisations sont essentiellement contextuelles.
Oui, le nom du joug et de ses innombrables dérivés est bien issu d'un thème *ieu-g- où *ieu- est la racine et *-g- un suffixe. La théorie de la racine dans les langues eurindiennes, due à Émile Benveniste, est exposée dans le chapitre IX, « Esquisse d'une théorie de la racine », pp. 147-173, de son ouvrage Origines de la formation des noms en indo-européen (Maisonneuve).
Ces quelques pages, très denses, ne se bornent pas à affirmer une forme *CěC où ě est la voyelle thématique e/o/Ø, mais, avec démonstrations, traitent de la distinction entre suffixe et élargissement, du jeu des alternances et de l'infixe nasal. Autant que je sache, elles n'ont pas encore été mises en doute.
Pour ce qui est du joug, la racine *ieu- est bien attestée par des formes sanskrites (et déjà védiques) :
- un présent athématique yauti « il lie, unit, harnache, attache »
- un présent thématique yuvati, un parfait yuyuve, un participe yuta-, etc.
à quoi on peut ajouter des formes lituaniennes :
- jáuti « mélanger, emmêler »
- jáutis « taureau, bœuf » (< attelage : comparer avec le latin iouxmentum > jument)
Le suffixe *-g- ne se laisse pas interpréter et, autant que je sache, on ignore même si son rôle est sémantique, aspectuel ou autre. C'est un suffixe banal qui forme de nombreux thèmes à partir de diverses racines.
Le thème I *ieu-g- (degré e de la racine, degré zéro du suffixe) est attesté en grec dans le futur ζεύξω (< *yeu-g-s-) et en sanskrit aussi dans le futur yokṣyati (< *yeu-g-sya-).
Le thème II *iu-eg- (degré zéro de la racine, degré e du suffixe) n'est pas attesté sous sa forme simple mais sert de base en sanskrit au présent infixé en nasale :
yunakti (< *yu-n-eg-ti) « il lie » / yuñjanti (< *yu-n-g-onti) « ils lient »
Le présent latin, au singulier iungō, est reformé sur le pluriel iungunt et le présent nasal grec ζεύγνυμι est une formation secondaire, analogique d'autres présents en -nu- (infixe nasal et suffixe -u-).
Ces formations concourrent à soutenir la forme *yeu-g- du thème et affaiblissent beaucoup l'hypothèse d'une laryngale initiale *Hyeug- qui a été formulée pour expliquer l'évolution phonétique *i- > z- du grec (cf. Helmut Rix, Historische Grammatik des Griechischen, 60,70). Par souci de rigueur, Beekes pose *(H)ieu-g- mais il n'a pas l'air d'y croire. Je n'y crois pas non plus ; le traitement du yod initial en grec est un tout autre problème car il donne des fois z-, des fois h- sans qu'on en sache vraiment la cause et en dire plus ici serait hors sujet (bonne analyse chez Michel Lejeune dans Phonétique historique du mycénien et du grec ancien, §§ 166-169). |
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