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Les Arabes et l'arabe - Forum arabe, berbère, hébreu - Forum Babel
Les Arabes et l'arabe
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Lwahranya



Inscrit le: 15 Jun 2010
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Lieu: Neverland

Messageécrit le Thursday 24 Jun 10, 13:30 Répondre en citant ce message   

@ José

La langue arabe peut servir encore longtemps, en complémentarité avec les autres langues du pays. J'adore écouter cette langue magnifique dans la bouche de Tayem Hassan, cet acteur syrien qui a joué le rôle du prince Al Mansour de Cordoue. Mais je zappe quand je vois l'acteur algérien qui joue le colonel Amirouche (un combattant berbérophone de la guerre d'Algérie) dire son texte en arabe standard. C'est juste anachronique et méprisant pour les langues locales.
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Luc de Provence



Inscrit le: 11 Jul 2007
Messages: 682
Lieu: Marseille

Messageécrit le Thursday 24 Jun 10, 16:12 Répondre en citant ce message   

Ce que dit Wahraniyya me fait penser à un film égyptien que j'ai vu il y a quelques années, un film en noir et blanc des années 50 : un homme d'humble condition se retrouve au paradis après sa mort et cherche son chemin vers la lumière et s'interroge en arabe égyptien. Voilà que surgit son ange gardien qui vient à son secours et s'adresse à lui, très majestueux, en arabe classique : " Kuntu fi intitharika ! ".
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Shanfara



Inscrit le: 12 Feb 2009
Messages: 32

Messageécrit le Thursday 24 Jun 10, 20:40 Répondre en citant ce message   

Je m'aperçois que je suis tombé dans une discussion très idéologique. Si on peut tomber rapidement d'accord sur le fait que le monde arabe n'existe pas dans les limites d'aujourd'hui, pour moi il s'arrête au Sinaï, je ne voudrais pas non plus cautionner des positions qui ne sont pas les miennes. L'arabophonie doit rester une valeur positive, elle permet des échanges d'idées, de cultures, financiers. Le fait qu'elle pose problème d au Maroc et en Algérie ne vient pas, à mon humble avis, de la distance entre ces dialectes et l'arabe littéraire mais bien plutôt le fait de décisions politiques et de contextes géopolitiques. Ces deux pays ne regardent pas vers l'Afrique, ni vers le M-O mais plutôt vers l'Europe et la France en particulier. Ils ont pour cela des raisons qui s'entendent mais j'avoue ne pas toutes les comprendre.
Pour moi le principal moyen à ce que ces peuples se réapproprient leurs identités, est la démocratisation totale de ces espaces politiques or malheureusement la langue arabe y est aussi l'instrument de l'oppression. Jusqu'à quand??? Alors que dès son origine elle était langue de libération (il n'y a qu'à regarder mon pseudo).
Je comprends les revendications des berbéristes (sans connotation péjorative) en exigeant une autre langue, une autre appellation de leur ensemble géographique. Mon point de vue est qu'ils auraient plus de succès en exigeant tout ça dans la langue du dad comme l'a fait Abu Al Qasim Al Shabbi. La langue arabe est avant tout un langue qui va vers l'autre. Privilégier ici un dialecte,ici une langue berbère est pour moi une grave erreur. ce n'est pas en instituant le chaoui ou le chleuh en langues d'enseignement que l'on verra ces pays sortir de leurs marasmes. Ces langues ont droit au respect et à la reconnaissance mais dans un monde d'ouverture il faut une langue ouverte, bien que ce soit aussi la langue de l'ennemi, l'arabe moderne s'y prête totalement.


Dernière édition par Shanfara le Friday 25 Jun 10, 0:19; édité 1 fois
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Lwahranya



Inscrit le: 15 Jun 2010
Messages: 129
Lieu: Neverland

Messageécrit le Thursday 24 Jun 10, 22:55 Répondre en citant ce message   

@ Shanfara
L'arabe peut servir dans beaucoup de domaines encore, je le répète. Elle sera toujours enseignée dans les écoles et c'est normal. Seulement, il me semble que les langues d'instruction doivent être les langues locales, pas pour des raisons idéologiques mais parce que l'assimilation des savoirs serait meilleure, si l'on en juge par les résultats plus que satisfaisants des écoles africaines qui ont introduit les langues maternelles comme langues d'instruction. L'UNESCO recommande cela et encourage le multilinguisme.
La justice aussi doit être rendue dans la langue des citoyens. C'est une question de bon sens, pas d'idéologie.
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Adel514



Inscrit le: 11 Jun 2010
Messages: 89
Lieu: Montréal Canada

Messageécrit le Saturday 26 Jun 10, 21:19 Répondre en citant ce message   

@José

Il est possible que j'exagère un peu.

Pour ce qui est des écrivains arabes, il y a lieu de relativiser les choses. Quel est l'impact du plus grand romancier arabe de notre temps - Naguib Mahfouz - sur les populations du Monde Arabe? A mon avis, sur un plan purement culturel, les artistes populaires font un travail beaucoup plus productif.

D'autre part, quelle est la production des intellectuels et penseurs arabes - philosophes, sociologues, anthropologues, etc. ? Quelles est la production des scientifiques arabes? Les Arabes baignent dans un marasme absolu. Alors, je me pose la question suivante : en quoi l'arabe standard est-il supérieur aux dialectes nationaux? Qu'apporte-t-il de plus aux peuples arabes? Les discours creux des journalistes d'Al-Jazira et autres chaînes satellitaires arabes qui vivent sur une autre planète? Les journalistes des chaînes nationales se font un point d'honneur à les imiter dans leur façon de parler. Je ne sais pas ce qu'il en est au Moyen-Orient mais, en Algérie, ces discours sont à mille lieux de l'atmosphère qui règne dans les quartiers populaires grouillant de vie.

Pourquoi ce refus d'intégrer les parlers locaux? N'est-ce pas une forme de mépris? Discussion idéologique, dit notre ami Shanfara. Mais la langue n'est-elle pas le moyen le plus efficace de véhiculer une idéologie de domination? Ne voyez-vous pas qu'il y a un lien très étroit entre l'absence de démocratie, le manque de transparence, la léthargie, le conformisme, l'immobilisme et le refus de parler la langue du peuple, de se faire comprendre de lui et de le comprendre?

La langue arabe standard ne gagnerait-elle pas à s'encanailler avec les dialectes? Ne prendrait-elle pas un bain de jouvence salutaire?

Je crois que la langue arabe n'a aucune chance aujourd'hui de concurrencer l'anglais en tant que langue de sciences. Le défi est tout simplement impossible à relever, pour une raison bien simple : les Arabes ne produisent absolument rien. D'autre part, l'effort de traduction est nul. Si la rue parle en dialecte, que reste-t-il à cette langue standard? Un long soliloque...

Mes mots peuvent paraître très durs, mais il expriment la triste réalité du Monde Arabe aujourd'hui. En un mot , comme en mille, nous devons prendre un nouveau départ. Et il ne peut être que celui de la démocratisation, de la participation des plus larges couches à la prise de décision. Les médias, l'enseignement, l'administration doivent réviser leurs méthodes, à commencer par la langue dans laquelle ils s'adressent aux citoyens.
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Lwahranya



Inscrit le: 15 Jun 2010
Messages: 129
Lieu: Neverland

Messageécrit le Saturday 03 Jul 10, 11:42 Répondre en citant ce message   

Adel 514
Citation:
Si nous analysons la situations des langues européennes, nous voyons qu'à partir du 16ème siècle, les langues nationales ont cassé l'hégémonie du latin - langue de l'Église, donc sacrée - et ont progressivement conquis leurs lettres de noblesse. Cette révolution n'a jamais eu lieu dans l'aire civilisationnelle arabo-islamique. La langue arabe classique a commencé à dépérir à partir du 13ème siècle, mais les dialectes arabes n'ont pas pris la relève


Ça me rappelle ce poème:

A un poète qui n'écrivait qu'en latin

J'écris en langue maternelle,
Et tâche à la mettre en valeur,
Afin de la rendre éternelle
Comme les vieux (1) ont fait la leur,
Et soutiens que c'est grand malheur
Que son propre bien mépriser
Pour l'autrui tant favoriser.
Si les Grecs sont si fort fameux,
Si les Latins sont aussi tels,
Pourquoi ne faisons-nous comme eux,
Pour être comme eux immortels ?
Toi qui si fort exercé t'es
Et qui en latin écris tant,
Qu'es-tu sinon qu'un imitant ?
Crois-tu que ton poème approche
De ce que Virgile (2) écrivait ?

I. Vieux : les Anciens, c'est-à-dire les écrivains de l'Antiquité gréco-romaine. 2. Virgile: grand poète latin.


Jacques Peletier du Mans, "A un poète qui n'écrivait qu'en latin", Vers lyriques, 1547.

Je pense que les langues matrnelles maghrébines sont aujourd'hui dans la situation du français au seizième siècle. Nous sommes à une époque charnière et la transition de l'arabe vers les langues locales est inévitable. Reste à convaincre les principaux concernés Clin d'œil
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omar11



Inscrit le: 18 May 2008
Messages: 4

Messageécrit le Tuesday 06 Jul 10, 2:55 Répondre en citant ce message   

Pour revenir au sujet, je pense qu'on assiste aujourd'hui à une standardisation des divers dialectes maghrébins, puisque, qu'on le veuille ou non, grâce à l'essor des médias en arabe moderne et grâce à l'arabisation de l'enseignement au maghreb, les mots français ont tendance à être remplacés dans les parlers vernaculaires par leurs synonymes en arabe moderne (kouzina est maintenant souvent remplacé par maṭbaḫ, telivizioun par tilfez, pissina par sibaḥa etc...)
Donc la compréhension entre arabophones est de plus en plus aisée, sans qu'il y ait besoin d'utiliser exclusivement l'arabe moderne et de standardiser sa grammaire (seul un effort de la part des 2 interlocuteurs sera à faire au niveau du débit d'élocution et du choix de certains mots).
Je pense donc qu'une éventuelle officialisation des dialectes maghrébins dans quelques années ne couperait en rien le maghreb du monde arabe... Bien entendu, à mon avis, il serait judicieux de continuer à enseigner l'arabe moderne à l'école, mais comme langue étrangère...

Enfin, je trouve qu'il faudrait arrêter d'alimenter le mythe du "parler pur du machreq", car, par exemple, dans le golfe persique, combien de fois m'est-il arrivé d'entendre des "laach" (pourquoi), wiine (où, qui se retrouve au maghreb), mta3 (de, à...), autant de mots ne se retrouvant pas dans le registre classique (où n'y ayant pas la même signification), ainsi que des mots d'origine anglaise utilisés à la place de leurs équivalents arabes (combiouter au lieu de 7âSoub par exemple). En plus la prononciation de certaine lettre n'a elle non plus rien de "classique" (si tant est qu'on puisse parler d'une prononciation classique), le kef se prononçant souvent tch par exemple. J'ajouterai que l'arabe parlé dans certaines zones du sud algérien semble peut-être plus "pur" que la plupart des parlers du golfe persique...

M'enfin, à chacun son dialecte, et c'est tant mieux! C'est ça aussi qui constitue la richesse du monde arabe...
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Papou JC



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Lieu: Meaux (F)

Messageécrit le Saturday 25 Sep 10, 18:57 Répondre en citant ce message   

Relevé récemment dans le Courrier International, un article très intéressant de Walid El-Kobeissi.

Courrier International a écrit:
Comment sauver la langue arabe ?

Les arabophones sont de plus en plus nombreux. Et pourtant, leur langue littérale est en péril et ne parvient pas à se moderniser. Est-ce à cause d’un lien trop étroit avec l’islam et le nationalisme ?Comment sauver la langue arabe ?

16.09.2010 | Walid Al-Kobeissi

Walid Al-Kobeissi, journaliste et romancier d’origine irakienne, réside en Norvège depuisla fin des années 1980. Grand connaisseur du Coran, il a écrit plusieurs livres sur l’identité, l’exil et l’intégration. Il a obtenu en 2006 la prestigieuse bourse décernée chaque année par le ministère de la Culture norvégien et reçu en 2003 le prix Skjervheim pour l’ensemble de son œuvre.

Le monde arabe souffre d’une lente érosion linguistique. Nous n’avons pas réussi à rénover notre langue arabe, symbole de notre identité et garante de notre existence. Depuis le Moyen Age, nous l’avons entourée d’un mur de Berlin, non détruit à ce jour. Quant aux linguistes qui ont produit des dictionnaires, c’étaient pour la plupart des gardiens du temple : l’arabe ne devait servir qu’à psalmodier les rites religieux et à sanctifier les morts. Pourtant, une langue doit être vivante et adaptée à son temps.

Toute réforme est rendue complexe du fait du lien étroit entre la langue et la culture arabe dominante. Cette culture est fondée sur trois piliers : le nationalisme arabe, l’islam, la langue arabe. Si l’un des piliers disparaît, notre culture s’effondre. J’emprunte l’expression chrétienne de sainte Trinité pour décrire ces piliers, car il s’agit bien d’une unité en trois composantes. Les mêmes obstacles qui bloquent le renouvellement de la culture et la modernisation de l’islam empêchent la réforme de la langue. Du fait de ce lien avec l’islam, toucher à la langue est comme une profanation. En la liant au nationalisme arabe, nous avons perdu les minorités non arabes. Les Kurdes [d’Irak] se désintéressent de l’arabe depuis les années 1990. Ils en ont bien le droit puisque, n’étant pas ethniquement arabes, ils perçoivent l’arabe comme la langue de leurs cruels dominateurs.

Il en est de même pour les chrétiens du monde arabe. Alors que jadis, dans la dernière période de l’Empire ottoman, ce sont eux qui nous ont appris l’arabité. Ainsi, le dictionnaire Al-Mounjed, régulièrement réédité et compagnon de tout élève, est la production d’un catholique, tandis que le lexique des termes médicaux de Youssef Hitti, Libanais maronite, reste inégalé. Aujourd’hui, à cause du lien entre la langue arabe et l’islam, les coptes se mettent à utiliser le dialecte égyptien sur les forums Internet. Au Soudan, ce lien a conduit à une catastrophe : la décision du président de la République, en 1990, d’arabiser l’enseignement dans les universités et les collèges, présentée comme un devoir religieux, a amené les chrétiens du sud du pays à considérer l’arabe comme un outil de domination de la religion musulmane, si bien que, dans l’accord de paix de 2005 avec les habitants du Sud, l’anglais a été choisi comme langue d’enseignement. Je suis convaincu que, si le norvégien (ou d’autres langues européennes) était lié à la religion chrétienne et que son enseignement fût une obligation religieuse, les enfants des minorités musulmanes en Europe refuseraient de l’apprendre. L’idée selon laquelle faire évoluer la langue nous éloignerait de la religion est ainsi invalidée. Les deux tiers des musulmans ne sont pas arabes et, même s’ils ne parlent pas cette langue, ils n’ont pas renoncé à l’islam.

Supprimer la grammaire

J’ai commencé à apprendre le norvégien un an après mon arrivée à Oslo, il y a vingt-cinq ans. Notre professeur norvégien m’a demandé des renseignements pour certains de ses amis qui voulaient maîtriser l’arabe après l’avoir appris à l’université. J’ai alors rencontré quatre étudiants qui m’ont demandé de leur donner des cours de perfectionnement. Au bout de deux ans, je pouvais écrire dans les journaux norvégiens et j’avais un article hebdomadaire dans l’un d’eux, alors que mes étudiants s’efforçaient encore d’apprendre à lire l’arabe. Je me souviens que l’un d’entre eux m’a dit alors : “On t’a appris notre langue en deux ans et te voilà capable de l’écrire et de la parler, alors que nous n’avons pas encore réussi à apprendre l’arabe.”

J’ai été troublé parce que je me servais avec eux de la même méthode que celle utilisée à l’université et parce que mes élèves n’étaient pas de jeunes enfants. L’arabe littéraire est d’abord une langue écrite, et non parlée. La plupart des écrivains arabes ne réussissent à s’imposer qu’après l’âge de 40 ans car la maîtrise de la langue nécessite plus de temps que pour les langues européennes. J’ai repensé à mon expérience et me suis aperçu que nous perdions du temps à apprendre notamment la syntaxe, que seuls une minorité de spécialistes parviennent à maîtriser. L’analyse grammaticale est en effet le principal problème de notre langue, car elle représente un obstacle qui épuise les enseignants, tout en bloquant les possibilités de maîtrise de la lecture et de l’écriture.

Quand je suis revenu aux livres anciens et aux recherches des réformateurs, j’ai découvert que les mêmes problèmes s’étaient pareillement posés à nos pères et à nos ancêtres. Même dans les premiers temps de l’islam, les Arabes faisaient des fautes lorsqu’ils parlaient alors qu’il n’existait pas de véritable rupture entre la langue qu’ils écrivaient et celle qu’ils parlaient. Mais comment les Arabes ont-ils résolu le problème de la grammaire et de la complexité de la langue ? Il est certain qu’alors l’environnement était plus ouvert. Les réformateurs de la langue n’étaient pas accusés d’être des agents de l’orientalisme. La solution est venue de la plus grande autorité de l’époque, celle du calife omeyyade Al-Walid (668-715), qui avait grandi dans une maison où la langue était la principale préoccupation. Le calife publia un décret royal interdisant que l’on parle de grammaire, alors qu’il veillait à l’arabisation de toutes les administrations en Irak et en Syrie, où le latin et le persan étaient en vigueur. A cette époque, l’empire musulman était à l’apogée de sa gloire et ses armées avaient conquis des territoires qui allaient de l’Inde à l’Andalousie. Ce calife avait également édifié les premiers hôpitaux du monde musulman et était le véritable fondateur de l’Etat arabe. Le Coran, premier livre des Arabes, pourrait ainsi être le point de départ pour reprendre le projet d’Al-Walid de supprimer la grammaire lorsqu’elle n’est pas nécessaire et de la respecter quand il le faut. Mais peut-on comprendre l’arabe sans la grammaire et la syntaxe ? La réponse est oui, et la première preuve en est que les dialectes que nous parlons s’en passent fort bien. Ainsi, nous pouvons parler l’arabe dans tous les pays sans l’étudier. Les dialectes ont comblé le fossé entre le parlé et l’écrit. Quand j’ai émigré de l’Orient vers l’Europe, je voyais dans les appels à réformer la langue une volonté de division, car la langue arabe nous unit, et d’hostilité à l’islam, car la langue nous relie à notre religion et à notre Coran.

Mais, une fois en Norvège, j’ai obtenu un emploi comme professeur d’arabe pour les enfants des immigrés irakiens, syriens, libanais, palestiniens, tunisiens et marocains. Dès le premier cours, j’ai su que ces enfants ne parlaient pas l’arabe classique et ne se comprenaient pas entre eux. Ils parlaient leurs dialectes, et l’arabe n’était pas leur langue maternelle. Je ne peux oublier le spectacle des bouches et des yeux grands ouverts de mes jeunes élèves qui m’entendaient parler en arabe classique comme si j’étais une créature venue d’une autre planète.

Troublé, je m’interrogeai sur les défenseurs de l’arabe qui considèrent la préservation de la langue classique comme un facteur d’unité, alors que j’avais constaté le contraire. Le Marocain ne comprend pas l’Irakien et le Tunisien ne comprend pas le Palestinien. Au rythme où les choses évoluaient ces dialectes continueraient à s’éloigner les uns des autres. Dans le même temps, j’ai découvert que la langue norvégienne n’était pas la même cinquante ans auparavant. Dans les administrations, il fallait apprendre la langue officielle écrite. Le problème a été réglé en autorisant l’écriture des dialectes et leur usage dans les médias. Les différents dialectes sont ainsi devenus une seule langue qui a fusionné avec la langue officielle. Maintenant, les Norvégiens écrivent comme ils parlent.

6 000 façons de dire “chameau”

Ne pourrions-nous en faire autant ? La réponse est oui, à condition de changer notre préjugé contre le dialectal, que nous rejetons en tant que résultat du contact avec les étrangers non arabes et donc exogène et impur. Même dans le Coran on trouve de nombreux termes qui viennent d’ailleurs, notamment de l’hébreu, du latin ou du persan. Plus de 300 mots empruntés à d’autres langues y ont été arabisés. Les oulémas ont recensé dans le Coran des termes provenant d’une cinquantaine de dialectes des tribus de l’époque. Ainsi, le Coran a respecté les langues parlées par les gens. De la même façon, on pourrait enrichir le dictionnaire de l’arabe classique et résoudre en même temps le problème de la division linguistique dans les pays arabes. Au risque de déplaire à ceux qui entretiennent l’illusion du génie de la langue arabe, il faut bien constater que celle-ci souffre aujourd’hui d’une véritable pauvreté. Certes, il n’y a pas de langue supérieure à d’autres, mais plutôt une civilisation plus avancée qu’une autre. Quand une civilisation prospère, le peuple pratique la langue avec créativité. Nous ne sommes pas actuellement en phase de civilisation, et notre langue n’évolue pas. Certains considèrent que la langue arabe est riche. Il s’agit d’un discours trompeur. La preuve qu’ils apportent est que le plus grand de nos dictionnaires compte 80 000 entrées, et qu’un autre, l’Al-Moheet, en contient 60 000. Cette richesse est tout à fait comparable à celle d’autres langues. Mais la plupart des mots arabes ne sont pas utilisés. On a recensé près de 6 000 termes pour désigner le chameau en arabe. Mais quel besoin de retenir tant de mots inusités pour parler du chameau ?

L’auteur

Walid Al-Kobeissi, journaliste et romancier d’origine irakienne, réside en Norvège depuisla fin des années 1980. Grand connaisseur du Coran, il a écrit plusieurs livres sur l’identité, l’exil et l’intégration. Il a obtenu en 2006 la prestigieuse bourse décernée chaque année par le ministère de la Culture norvégien et reçu en 2003 le prix Skjervheim pour l’ensemble de son œuvre.
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Lwahranya



Inscrit le: 15 Jun 2010
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Messageécrit le Sunday 10 Oct 10, 14:48 Répondre en citant ce message   

Un article intéressant paru aujourd'hui dans le journal algérien Elwatan, intitulé Le parler algérien, une langue à part entière, la preuve par le "guèf" ici :
http://www.elwatan.com/contributions/idees-debats/la-preuve-par-guef-10-10-2010-93940_240.php
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Papou JC



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Messageécrit le Monday 11 Oct 10, 16:04 Répondre en citant ce message   

Tout ce qui donne à une langue une nouvelle lettre de noblesse est une bonne chose, mais le seul anoblissement qui vaille pour un "dialecte" parlé dans un pays par la grande majorité de ses habitants - avec des variantes régionales, comme dans tous les pays du monde - c'est d'en devenir la langue officielle et de faire coïncider la langue de la maison avec celle de l'école. C'est ce que les Norvégiens (voir mon post précédent) ont fini par comprendre.
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Feintisti



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Messageécrit le Monday 08 Nov 10, 21:19 Répondre en citant ce message   

Ca fait 3-4 ans que j'apprends l'arabe moderne. Je me pose certaines questions en lisant vos messages.
Quel arabe un européen devrait-il apprendre s'il veut voyager (non pas en se cantonnant à un seul pays arabe), discuter avec des gens instruits... ?

Papou JC dit que l'égyptien est le dialecte le mieux compris dans le monde arabe, à cause des séries télé. Est-il vraiment utile de le connaitre si l'on voyage à Dubai ou au Maroc par exemple? N'y a-t-il pas trop de différence entre chaque dialecte pour se comprendre avec un seul?

Vous semblez dire que l'arabe moderne n'est jamais utilisé dans un dialogue improvisé. Mais lorsqu'on le parle mieux que l'anglais ou le français, ce qui doit être souvent le cas, on est plus à même de l'utiliser j'imagine. Quand un européen connait l'arabe fusHa et le parle à un autre arabe, ce dernier comprendra aisément que ce n'est pas sa langue maternelle et qu'il n'essaie pas de paraître pédant, comme certains disent.

Je suis conscient que pour parler à une personne dans la rue pour trouver son chemin ou acheter du pain chez le boulanger, on est dans un registre moins formel ou littéraire et que le fusHa ne s'y prête pas trop. Mais quand il s'agit de milieux internationaux, plus officiels, là il doit quand même être utile, non?

L'apprenant européen devrait se sentir découragé par la quantité de variantes dialectales (parfois d'une ville à l'autre, à ce que j'ai cru comprendre) qu'il y a en arabe. Celles-ci, en plus de contenir des mots parfois différents, semblent être nettement moins faciles à prononcer (au moins l'arabe moderne a des règles pour séparer chaque syllabe). De plus, il est moins facile de trouver une méthode d'arabe dialectale que d'arabe moderne.

J'imagine qu'une formation en arabe moderne, c'est quand même la base pour s'essayer à des dialectes, ne serait-ce que pour comprendre ce qu'on écrit (je ne crois pas qu'on puisse aller bien loin en ne connaissant qu'un dialecte).
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Qatlato



Inscrit le: 12 Aug 2010
Messages: 32

Messageécrit le Monday 08 Nov 10, 21:46 Répondre en citant ce message   

Feintisti a écrit:
Ca fait 3-4 ans que j'apprends l'arabe moderne. Je me pose certaines questions en lisant vos messages.
Quel arabe un européen devrait-il apprendre s'il veut voyager (non pas en se cantonnant à un seul pays arabe), discuter avec des gens instruits... ?


Dans ce cas là l'européen doit en effet apprendre l'arabe moderne, à mon avis! Enfin ça dépend du temps dont il dispose avant son voyage bien sûr. Mais en tous les cas un arabe moderne basique est compris dans tous les pays arabes, ça c'est une certitude.

Citation:
Je suis conscient que pour parler à une personne dans la rue pour trouver son chemin ou acheter du pain chez le boulanger, on est dans un registre moins formel ou littéraire et que le fusHa ne s'y prête pas trop. Mais quand il s'agit de milieux internationaux, plus officiels, là il doit quand même être utile, non?


L'arabe fuSha peut être utilisé dans les milieux internationaux, par exemple quand les dirigeants algériens rencontre leurs homologues saoudiens (et encore à mon avis ils doivent aussi parler beaucoup anglais). Mais en général quand il s'agit de rencontres entre pays voisins ou de la même région l'arabe fuSha n'est pas forcément nécessaires, les locuteurs parlant dans une variante relativement soutenue de leur dialecte.

Citation:
J'imagine qu'une formation en arabe moderne, c'est quand même la base pour s'essayer à des dialectes, ne serait-ce que pour comprendre ce qu'on écrit (je ne crois pas qu'on puisse aller bien loin en ne connaissant qu'un dialecte).


Pour les étrangers, les non arabophones, en effet une solide formation en arabe moderne est nécessaire à mon avis. Mais par contre les arabophones ayant grandi en ne parlant que leur dialecte acquièrent en général une faculté d'adaptation aux autres dialectes (faculté variable en fonction du degré d'ouverture aux autres dialectes bien sûr) qui leur permet de comprendre beaucoup plus facilement ces autres variantes même sans avoir reçu une formation préalable en fuSha...


Pour ce qui est de paraître pédant en utilisant le fuSha, il est évident que lorsque ça vient d'un étranger c'est plutôt reçu avec le sourire et même apprécié comme étant un effort de la part de ce dernier, puisque parler anglais serait la solution de facilité (mais peut-être pas la plus intéressante...)
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Papou JC



Inscrit le: 01 Nov 2008
Messages: 11179
Lieu: Meaux (F)

Messageécrit le Monday 08 Nov 10, 22:02 Répondre en citant ce message   

@ Feintisti : Je vais laisser les Arabophones-nés du forum répondre à la plupart des questions. Je suis sûr qu'ils ou elles ne manqueront pas de le faire.

Pour ma part je vais seulement donner une information qui contredit ta dernière phrase : au Centre d'Etudes Arabes du Caire, où existe depuis 1982, sous la houlette des Services Culturels de l'Ambassade de France, une formation intensive à l'arabe en un an, c'est par le dialecte égyptien qu'on commence. On a enfin compris que c'est la meilleure façon de progresser ensuite très vite en fusHa, dont je n'ai jamais dit qu'elle était inutile. J'ai seulement dit - du moins je l'espère, et sinon je le dis maintenant - que l'étranger apprenant l'arabe NE PEUT PAS faire l'économie de l'apprentissage préalable d'un dialecte, quel qu'il soit. Et tant qu'à faire, autant apprendre le dialectal égyptien, compris d'emblée en Egypte (la moitié des Arabophones à elle seule), en Libye, au Soudan, et dans tout le Moyen Orient, ce qui fait quand même du monde ...
Si on ajoute à cela le rayonnement culturel, il faut savoir que le parler du Caire est - m'a-t-on dit - assez bien compris au Maghreb, alors que les Maghrébins ont du mal à se faire comprendre au Mashreq. C'est dommage mais c'est ainsi.

Pour terminer : le parler du Caire n'est pas un "dialecte", c'est une LANGUE. Une fois qu'on en a pris conscience, on ne le considère plus comme une "variante dialectale" qui en vaudrait une autre. Il y a "dialecte" et "dialecte", me semble-t-il ...
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Qatlato



Inscrit le: 12 Aug 2010
Messages: 32

Messageécrit le Monday 08 Nov 10, 23:20 Répondre en citant ce message   

Papou JC a écrit:

Si on ajoute à cela le rayonnement culturel, il faut savoir que le parler du Caire est - m'a-t-on dit - assez bien compris au Maghreb, alors que les Maghrébins ont du mal à se faire comprendre au Mashreq. C'est dommage mais c'est ainsi.




Je ne connais pas beaucoup de "maghrébins" capables de répondre dans ce parler du Caire! Alors même en admettant qu'il soit "assez bien" compris, il est difficile d'établir une conversation constructive quand la parole ne va que dans un sens...

Je pense honnêtement que c'est difficile de donner une réponse générale à ce genre de question, ça dépend vraiment des cas : dans quels pays va-t-on? A quelle frange de la population va-t-on le plus parler? etc... A moins de vouloir faire d'un coup une tournée dans tous les pays arabes...
Et puis il ne faut pas se faire d'illusions pour ce qui est du maghreb, surtout de l'Algérie et du Maroc, les francophones finissent très vite par adopter le français dans ces pays, qu'ils le veuillent ou non au départ et quelle que soit leur motivation pour se mettre à l'arabe. Pour les européens non francophones c'est une autre paire de manche, et je persiste à penser qu'ils ont plutôt intérêt à avoir quelques rudiments de fuSha plutôt que des notions d'arabe du Caire (pour ce qui est du Maghreb encore une fois).
Après j'imagine que pour le Machreq Papou JC a raison étant donné que l'arabe égyptien y est très bien compris (et on peut même inclure la Libye...), mais c'est aussi de plus en plus le cas des dialectes libanais et saoudiens!
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Feintisti



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Messageécrit le Monday 08 Nov 10, 23:39 Répondre en citant ce message   

Papou JC a écrit:
Pour ma part je vais seulement donner une information qui contredit ta dernière phrase : au Centre d'Etudes Arabes du Caire, où existe depuis 1982, sous la houlette des Services Culturels de l'Ambassade de France, une formation intensive à l'arabe en un an, c'est par le dialecte égyptien qu'on commence.

En un an seulement? Et il n'y a qu'au Caire qu'il est possible de se former?

Citation:
l'étranger apprenant l'arabe NE PEUT PAS faire l'économie de l'apprentissage préalable d'un dialecte, quel qu'il soit.

Quelle en est la raison?

Citation:
Pour terminer : le parler du Caire n'est pas un "dialecte", c'est une LANGUE. Une fois qu'on en a pris conscience, on ne le considère plus comme une "variante dialectale" qui en vaudrait une autre. Il y a "dialecte" et "dialecte", me semble-t-il ...

Au même titre alors qu'une daridja ?
Mais est-ce que c'est unifié ou encore subdivisé en une multitude de dialectes?

Comme l'évoque Qatlato, si je parle l'arabe du Caire à un marocain ou un saoudien, ils me comprendront sans doute, mais est-ce que moi je comprendrai leur réponse?
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