« La prothèse du facteur »
La famille FAIRE
Patriarche indoeuropéen : *DhĒ-, « poser, placer »
Les branches
1. Le principal ancêtre latin de cette très nombreuse famille est le verbe
facere, participe passé
factus, « faire, rendre, estimer, nommer ». En sont issus la quasi totalité des mots qui contiennent les radicaux
-fact- ou
-fac- (ou -
faç-) :
façade, face, facette, facial, faciès, facile, façon, facteur, factice, faction, facture, facultatif, faculté, effacer, satisfaction, surface, fac-similé, ...
2. Le verbe
facere, factus a évolué au fil des siècles, jusqu’à donner le verbe français
faire (et ses diverses formes conjuguées) et des dérivés en -
faire ou en -
fire :
fait, affaire, bienfaisance, bienfait, défaite, entrefaites, forfait, imparfait, malfaiteur, méfait, parfait, refaire, satisfaire, ...
confiserie, confit, confiture, déconfiture, profit, suffire, ...
3. Dans certains dérivés latins de
facere, comme
infectus, « imprégné », ou
praefectus, « chef, commandant », on voit que le radical
-fact- se transforme en
-fect- . En sont issus tous les mots français en -
fect- :
affecter, confection, défection, défectueux, désaffecter, effectif, effectuer, imperfection, indéfectible, infect, infecter, perfection, préfecture, réfection, réfectoire, ...
4. Dans d’autres dérivés latins du verbe
facere, comme b
eneficium, « bienfait, service, faveur », ou
conficere, « faire, achever, réaliser, constituer, accabler », le radical
-fac- se transforme en
-fic- (ou -
fiqu-). En sont issus la quasi totalité des mots en -
fic- :
artifice, bénéfice, bénéfique, coefficient, déficient, déficit, difficile, édifice, efficace, magnifique, maléfique, office, sacrifice, superficie, ...
5. Il existe en latin un assez grand nombre de verbes dérivés de
facere qui se terminent en -
ficare, tel
significare, et dont les noms d’action se terminent en -
ficatio. Les équivalents français de ces terminaisons sont -
fier (ex.
signifier) et -
fication (ou plus rarement -
faction). Voici quelques exemples de ces verbes en -fier :
bêtifier, bonifier, calcifier, certifier, déifier, dignifier, édifier, falsifier, fortifier, frigorifier, glorifier, humidifier, identifier, justifier, liquéfier, magnifier, pacifier, putréfier, qualifier, quantifier, ramifier, raréfier, ratifier, sacrifier, sanctifier, signifier, statufier, stratifier, torréfier, unifier, vérifier, vitrifier, etc.
6. Cette riche famille a aussi des ancêtres grecs. Redisons tout d’abord que son patriarche indo-européen s’écrit *DHĒ- et que cette syllabe initiale est devenue
fa- en latin (d’où
facere) et
θη- ou
θε- en grec (
thè- ou
thé- en transcription latine, puis française), d’où des mots comme
θηκη, thêkê, « boîte, coffre »,
θημα, thêma, « ce qu’on pose ou dépose, racine d’un mot »,
θεσις, thesis, « action de poser, établissement d’un principe philosophique ». Sont notamment issus de cette source :
thème, thématique, thèse, anathème, antithèse, bibliothèque (<
βιβλιοθηκη, dépôt de livres),
cinémathèque, discothèque, épithète (<
επιθετον, ce qui est ajouté, adjectif),
hypothèque, hypothèse (<
υποθεσις, action de mettre en dessous, base d’un raisonnement),
médiathèque, parenthèse (<
παρενθεσις, insertion, parenthèse),
prothèse (<
προθεσις, action de poser devant),
synthèse (<
συνθεσις, action de mettre ensemble, combinaison, composition), ...
Les invités masqués
1. Il cache le
c de
fac- dans son
x :
fax, emprunt à l’anglais
fax, abréviation pour
fac-similé, du latin
fac simile, « fais une chose semblable ». Le mot
fax est synonyme de
télécopie, qu’il est en bonne voie d’évincer. Dérivé :
faxer.
2. Ils cachent le
c de
-fect- mais leurs dérivés les trahissent :
effet (< lat.
efectus)
, préfet (< lat.
praefectus)
. Dérivés :
effectuer, préfecture, etc.
3. Eux aussi cachent le
c de
-fect- et rien ne les trahit :
–
fétiche, francisation de
fetisso, emprunté au portugais
feitiço, « artificiel (adj.) ; sortilège, amulette », du latin
facticius. C’est donc un doublet de
factice.
–
confetti, qui vient, lui, de l’italien, est de la même façon un doublet de
confit (< lat.
confectus).
4. Des cousins grecs qui ont tellement voyagé qu’il en sont devenus méconnaissables :
boutique et
apothicaire (Voir Curiosités ci-après).
Curiosités
1. La
boutique de l’
apothicaire : ces deux mots sont des doublets issus du grec
αποθηκη,
apothêkê, « lieu de dépôt, magasin (de vivres) », lui-même dérivé de
αποτιθεναι,
apotithenai, « déposer, mettre de côté, mettre en réserve ». Le mot
boutique a une histoire compliquée : il est probablement passé en français par l’intermédiaire
– du grec tardif (
i servant alors à noter la prononciation de
η),
– de l’arabe (transcription du
π en
b, le son
/p/ n’existant pas en arabe),
– et enfin de l’ancien provençal
botiga, botica, avec, en cours de route, une déglutination de l’article,
l’abo- devenant
la bo-.
L’italien
bottega, « boutique » et les mots espagnols
botica, « boutique d’apothicaire » et
bodega, « cellier » ont la même origine.
2.
sacerdoce : emprunt au latin
sacerdotium, dérivé de
sacerdos, -otis, « celui qui accomplit les cérémonies sacrées, prêtre ». Le mot représente un composé ancien de type indoeuropéen, issu de *
sakro-dhō-ts, « qui fait une action sacrée ». L’élément
dhō appartient à la racine *DHĒ-. Dérivé :
sacerdotal.
3.
croire : les étymologistes font généralement l’hypothèse que pourrait bien se rattacher également à cette famille le verbe latin
credere, « croire » ; ils le font descendre d’une extension de notre racine, *KRED-DHĒ-, « placer son cœur, sa foi ». Dérivés :
(in)croyant, (in)croyable, créance, créancier, mécréant, recru (de fatigue), crédit, créditer, discrédit, accréditer, crédibilité, (in)crédule, (in)crédulité, credo (lat.), etc.
Homonymes et faux frères
1. Il y a
faite, faîte ... et
fête !
–
faite est de la famille puisque participe passé féminin de
faire.
– le nom masc.
faîte est d’origine francique.
–
fête est issu du latin
festa (dies), « jour de fête ». Il appartient à une famille où l’on retrouve aussi bien la
foire que le
festival.
2. Ne sont de la famille ni
facétieux, ni
fâcher, l’un et l’autre d’origines obscures, ni
faconde (voir la famille
FABLE).
3. Ne sont de la famille ni
ficelle, apparenté à
fil, ni
ficher, apparenté à
figer, ni
fiction, apparenté à
feindre.
4. Il y a
face,
préface et
Boniface !
–
préface est issu du latin
praefatio, « avant-propos », du verbe
praefari, « dire d’avance ». Dérivé :
préfacer.
–
Boniface est issu d’un latin populaire
bonifatius. Le mot est composé de
bonum, “bien”, neutre de l’adjectif
bonus, et de
fatum, “oracle, destinée”. Le mot
bonifatius forme un couple antonymique avec
malifatius, “affecté d’un sort malheureux, infortuné”, devenu en français l’adjectif
mauvais. (Voir la famille
FABLE).
5. Il y a
forfait et
forfait !
Ils sont tous deux de la famille par leur élément -
fait, mais
- dans
forfait, « mauvaise action », l’élément
for- est un préfixe issu du latin
foris, « à la porte, dehors » qui a fini par exprimer l’excès ou le mal.
- dans
forfait, « contrat », l’élément
for- est une altération de l’ancien français
fur, « taux », du latin
forum, « marché, prix ».
Dans d’autres langues indoeuropéennes
esp.
bodega, botica, efecto, esconder, fácil, facticio, faena, faz, fecha, hacer, hacienda, hechizo, hecho, tema, tesis
port.
bodega, botequim, difícil, efeito, esconder, fácil, feitiço, oficial
it.
affare, bottega, difficoltà, faccia, facile, facoltà, fare, fattizio, fatto
angl.
affair, affect, amplify, benefice, deed, deem, defeat, do, doom, effect, face, fact, factitious, factory, faculty, fashion, fetish, indeed, office, profit
all.
Apotheke, Bibliothek, Hypothese, Präfektur, Tat, Täter, These, tun
rus.
аптека, афёра, библиотека, бутик, дело, деть, одежда, конфета, тезис, тема, факт, факультет
Notes :
1 Voir cependant Curiosité 2 pour une forme latine archaïque.