« La faconde du fantassin »
La famille FABLE
Patriarche indoeuropéen : *BhĀ-, « parler » [1]
Les branches
1. Le principal ancêtre latin de cette famille est le verbe
fari, qui a pour participe passé
fatus, « parler », et comme dérivé le nom
fatum, « énonciation divine, destin, malheur ». En sont issus la plupart des mots français qui commencent par
fat - :
fatal, fatalement, fatalisme, fataliste, fatalité, fatidique
2.
Fans, « parlant », participe présent de ce même verbe
fari, est à l’origine de son contraire,
infans, « (enfant) qui ne parle pas encore ». (Voir ci-après « Curiosités », 3). De ce dernier sont issus, directement ou via l’espagnol ou l’italien, un nombre assez important de mots français qui contiennent le radical -
fan - :
enfance, enfant, enfantement, enfanter, enfantillage, enfantin
infant, infante, infanterie, infanticide, infantile, infantiliser, infantilisme
fandango, fantassin, Fanfan, Fantine, fantoche (formes abrégées)
3. Un autre ancêtre latin de la famille est le verbe
fateri, participe passé
fassus, « avouer », dont les dérivés ont un participe passé en -
fessus, tel
profiteri, professus, « faire une déclaration, promettre ». En sont issus presque tous les mots français qui contiennent le radical -
fess - :
confesser, confesseur, confession, confessionnal,
professer, professeur, profession, professionnel, professoral, professorat
4. Un autre ancêtre latin est le nom
fabula, « conversation, récit mythique, conte ». En sont issus presque tous les mots français qui contiennent le radical -
fab - :
fable, fabliau, fabulateur, fabulation, fabuleux, fabuliste
affabilité, affable, affabulation ; ineffable
5. Un dernier ancêtre latin est le nom
fama, « bruit qui court ». En sont issus un certain nombre de mots français qui contiennent le radical -
fam - :
fameusement, fameux, infamant, infâme, infamie, mal famé
diffamateur, diffamation, diffamatoire, diffamer
6. Cette riche famille ne pouvait manquer d’ancêtres grecs. Il s’agit essentiellement d’une part du verbe
φαναι, phanai, « parler », avec ses dérivés et composés, et d’autre part du nom
φονη, phonê, « voix, parole ». En sont issus nombre de mots français comportant les radicaux -
pha -, -
phè -, -
phé -, ou -
phon - :
phatique, aphasie, aphasique
blasphémateur, blasphématoire, blasphème, blasphémer (de
βλασφημειν, blasphêmein, « prononcer des paroles de mauvais augure, tenir de mauvais propos contre qqn »)
euphémique et
euphémisme (de
ευφημειν, euphêmein, « prononcer des paroles de bon augure »)
prophète, prophétie, prophétique, prophétiser (de
προφητης, prophêtês, « celui qui dit la volonté d’un dieu, qui annonce l’avenir »)
phonème, phonétique, phonographe, phonologie
allophone, antiphonaire, aphone, bigophone, cacophonie, dodécaphonique, électrophone, euphonique, francophone, homophone, magnétophone, mégaphone, microphone, polyphonie, radiophonique, stéréophonie, symphonie, téléphone, ...
7. Enfin cette nombreuse famille ne pouvait pas non plus se passer d’une branche germanique. Le principal descendant en est le mot
ban, emprunté au francique *
ban, « loi qui entraîne une peine si elle n’est pas respectée, proclamation », lequel est rattaché au verbe germanique *
bannan, « commander, défendre sous menace de peine ». Ce terme de droit féodal a donné naissance aux mots :
banlieue, « étendue d’une lieue autour d’une ville dans laquelle l’autorité faisait proclamer les bans »,
banal, « de la circonscription seigneuriale »,
bannir, « convoquer [une armée] par ban »,
bannière, « enseigne symbolisant le droit de ban »,
aubain, « étranger [d’un autre ban] » (terme médiéval),
aubaine, « droits du seigneur sur les biens de l’aubain »,
abandonner (< probablement à ban donner = donner à ban, « laisser au pouvoir de quelqu’un »),
forban, « hors ban » (cf angl. outlaw).[
2]
arrière-ban, déformation de
arban ou
herban, du francique *
hariban, « appel pour l’armée ».
Les invités masqués
1. C’est un doublet de
blasphémer (branche 6), mais ce n’est pas évident :
blâmer. Il est issu du latin populaire *
blastemare, « faire des reproches » (cf. espagnol
lastima, « dommage »), du latin classique
blasphemare, « outrager, blasphémer », emprunté au grec
βλασφημειν, blasphêmein. Dérivés :
blâme, blâmable.
2. Il est de la branche -
fat- (branche 1), mais ce n’est pas évident :
fée. Ce mot est en effet issu du latin populaire
fata, féminin de
fatus, « oracle, destin », fait sur
fatum et désignant une « déesse des destinées ». Dérivés :
féerie, féerique, fado, Fadette.
3. Il est de la branche -
fab- (branche 4), mais il a remplacé le f par un h :
hâbleur. C’est un emprunt du XVIe s. à l’espagnol
hablar, « parler », anciennement
fablar.
4. Quant à celui-ci, il est carrément méconnaissable ! :
mauvais (Voir ci-après « Curiosités », 4).
Curiosités
1.
faconde est aussi de la famille de
fari ; il est directement issu de l’adjectif latin
facundus, « disert ».
2.
farfadet est d’origine provençale. Il est issu de
fadet, “fou” en ancien provençal, et “feu follet” en provençal. Dérivé de
fado, “fée”, lui-même du latin
fatum comme on l’a vu plus haut. La syllabe initiale
far- est peut-être issue d’un emprunt à l’italien
farfarello, « lutin, farfadet », lui-même d’origine arabe (<
farfara, « battre des ailes, papillonner, froufrouter »). (Voir plus loin
fanfare et
fanfaron).
3.
infanterie : emprunt de la Renaissance à l’italien
infanteria au sens de « troupes à pied » ;
infanteria dérive de
infante, « enfant », qui avait pris au XIVe s. le sens de «
fantassin », peut-être à partir d’un sens « jeune homme qui n’est pas en âge de combattre à cheval ».
Fantassin est quant à lui emprunté à l’italien
fantaccino, même sens, dérivé de
fante, « fantassin » et « valet », forme abrégée de
infante. Tout comme le français
enfant et l’espagnol
infante, l’italien
infante vient du latin
infans, « qui ne parle pas ». L’
infanterie, ou la doublement « Grande Muette », en somme ...
4.
mauvais : d’abord
malveis et
malvais, est – tout comme l’espagnol
malvado, “méchant, scélérat” – issu d’un latin populaire
malifatius attesté dès 23 ap. J.-C. Le mot est composé de
malum, “mal”, neutre de l’adjectif
malus, et de
fatum, “oracle, destinée”, composition et sens qui ne sont pas sans rappeler ceux de
malheureux et de
méchant (Voir la famille
CADENCE). Le mot
malifatius forme un couple antonymique avec
bonifatius, “affecté d’un sort heureux, fortuné”, passé en français dans le prénom
Boniface.
5.
Polyphème : nom du plus célèbre des Cyclopes, composé de
πολυς, polus, « nombreux, abondant », et de
φημη, phêmê, « parole » ;
Polyphème signifie donc « le Bavard ».
6.
tafanari : voir ce mot dans la rubrique "Mots du jour", sur le Forum Babel.
Homonymes et faux frères
1. Il y a
ban et
banc !
–
ban : voir ci-dessus branche 7.
–
banc est emprunté au germanique *
bank (cf. angl.
bench, bank). Il a été introduit en français par l’intermédiaire du latin populaire
bancus. Dérivés :
banque, banquet, bancal, banqueroute.
2. Il y a
face et
préface !
–
préface, tout comme
Boniface, est de la famille ; il est issu du latin
praefatio, « avant-propos », du verbe
praefari, « dire d’avance ». Dérivé :
préfacer.
– mais
face est de la famille de
faire ; il est issu du bas latin
facia, du latin class.
facies, « apparence donnée à une chose faite, physionomie, façade ». Dérivés :
façade, faciès, façon, facette, effacer, surface. (Voir famille
FAIRE).
3. Il y a
fado, fat, fade et
fada !
–
fado, emprunt portugais dérivé de
fatum, est donc de la famille, comme nous l’avons vu à propos de
fée.
–
fat, fade et
fada sont quant à eux issus du latin
fatuus, « insensé, imbécile, sans goût ». Dérivés :
fatuité, fadeur, fadaise.
4. Il y a
feu et
feu !
– L’adjectif
feu est de la famille ; c’est l’aboutissement du latin populaire *
fatutus, « qui a telle destinée, qui accomplit sa destinée », lui-même dérivé de
fatum.
– mais mais le n. masc.
feu est issu du latin
focus, « foyer où brûle un feu, bûcher, réchaud, famille ». Dérivés :
foyer, focal, focaliser.
5.
fabriquer vient du latin
faber, « artisan qui travaille les corps durs » (> fr.
orfèvre, Lefèvre, etc.)
6.
famille vient du latin
famulus, « serviteur », mot italique qui a dû, à l’origine, désigner la domesticité, l’ensemble des serviteurs vivant sous le toit et sous l’autorité du
paterfamilias.
7.
fanatique dérive du latin
fanum, « temple », d’où
profane.
8.
fanfare vient de l'esp.
fanfarria, dérivé de l'arabe
farfara, "agiter des ailes, papillonner" ; faire le fanfaron" ; et
fanfaron vient de l’esp.
fanfarón, dérivé de l'arabe
farfār, "volage, léger, inconstant, bavard", lui-même dérivé de
farfara. (Voir plus haut
farfadet).
9.
fantôme est issu d’une racine indoeuropéenne homonyme (*BhĀ-) [
3] via le grec
phainein, phainesthai, « faire briller, faire voir, paraître ». Autres dérivés :
fanal, fantaisie, fantasme, fantasque, fantomatique, diaphane, emphase, épiphanie, phase, phénomène, pantois, ...
10.
fatiguer est un emprunt au latin classique
fatigare, « faire crever (un animal), accabler, abattre par la dépense de forces ; importuner ».
11.
fesse vient du latin
fissum, « fente » (> fr.
fissure), participe passé substantivé de
findere, « fendre », via un latin populaire *
fissa signifiant à la fois « anus » et « fesses ». Dérivé :
fessier.
Mais
fesser et
fessée sont quant à eux de la famille de
faisceau. Leur graphie a évidemment été influencée par le nom de la partie du corps la plus souvent affectée par ce « châtiment ».
Dans d’autres langues indoeuropéennes
esp.
afable, afasia, afonía, blasfemia, cacofonía, confesar, enfadar, eufemismo, fábula, facundo, fama, hablar, hada, infame, infante, lástima, malvado, prefacio, profesor, sinfonía, teléfono
port.
afasia, afável, afonia, blasfêmia, cacofonia, confessar, enfadar, eufemismo, fábula, facundo, fado, falar, fama, infame, infante, lástima, prefácio, professar, sinfonia, telefone
it.
affabile, afasia, afonia, blasfemo, cacofonia, confessare, eufemismo, facondo, fama, fante, fatale, favella, infanzia, prefazio, professore, sinfonia, telefono
angl.
anthem, confess, euphemism, fabulous, fame, famous, fatal, infant, infantry, phonology, preface, professor, prophet, symphony, telephone
all.
Fabel, Fee, feien, Infanterie, Kakophonie, Professor, Prophet, Telephon
rus.
басня, профессор, телефон, симфония, эвфемизм
De Wikipedia (anglais) : A Sanskrit loanword (= emprunt) encountered in many Southeast Asian languages is the word
bhāṣā, or "spoken language", which is used to mean "language" in general, for example
bahasa in Malay, Indonesian and Tausug,
basa in Javanese, Sundanese, and Balinese,
phasa in Thai and Lao,
bhasa in Burmese, and '
phiesa in Khmer.
Notes
1- Par une évolution phonétique normale, la consonne /bh/ en indoeuropéen devient /b/ en germanique, et /f/ aussi bien en grec (transcrite
φ ) qu’en latin (transcrite
f ).
Le domaine de la
parole est également représenté en grec par le nom
logos (Voir la famille
LÉGENDE), et en latin par le nom
verbum et la famille du verbe
loqui, locutus (> fr.
locution, locuteur). Ce dernier, après avoir éliminé
fari, a été lui-même remplacé par
parabolare. (Voir la famille
BAL).
2- En dépit de leur parenté sémantique avec
forban, il ne semble pas que
bandit et
contrebandier dérivent de
ban, mais plutôt du gothique
bandwjan, « faire signe ». Cependant, comme le signale Jacqueline Picoche, qui les réunit dans l’article BAN de son
Dictionnaire étymologique du français (Usuels du Robert), les deux familles, originellement distinctes, ont constamment interféré entre elles et se sont sans doute confondues dès le germanique.
3- Dans le
Dictionnaire historique de la langue française (Le Robert) on considère qu’il s’agit d’une seule et même racine*BhĀ- signifiant à la fois « parler » et « paraître ». Dans cette hypothèse,
phainein serait donc le troisième grand ancêtre de la branche grecque (branche 6).