Les grandes familles de mots




« Le poids de la pensée »

La famille PENDRE


Patriarche indoeuropéen : *PEN-, “pendre, tendre”


Les branches

1. Le principal ancêtre de cette famille est le verbe latin pendere, participe passé pensus, « (laisser) pendre, peser, évaluer ». En sont issus tous les mots français qui contiennent le radical -pend- :

pendaison, pendant, pendentif, penderie, pendre, pendule, appendice, cependant, compendium, dépendre, dispendieux, indépendance, perpendiculaire, suspendre,...


2. Un autre ancêtre de la famille est le verbe latin pensare, fréquentatif de pendere, qui a aussi le sens de « peser ». En sont issus tous les mots français qui contiennent le radical -pens- :

pensée, penser, pension, compenser, dépens, dépenser, dispense, impensable, indispensable, propension, récompense, repenser, suspens, suspense, suspension, ...


3. On aura compris que les verbes français peser et penser sont des doublets issus du latin pensare. S’ajoutent donc dans la famille tous les dérivés de peser :

pesant, pesamment, pesanteur, pesée, apesanteur, s’appesantir, soupeser, ...


4. Il nous reste à citer un autre ancêtre latin de la famille, le nom pondus, gén. ponderis, « poids ». Il a une petite descendance française en -ponder- :

pondéré, pondérer, pondération, impondérable, prépondérant, ...


5. Il n’y a pas dans cette famille de mots issus du grec ou du germanique. Certaines de nos sources font cependant l’hypothèse plausible que se rattache à la racine *PEN- le germanique *spinnan, « filer », d’où sont issus les mots anglais to spin, « filer », spinster, « fileuse, vieille fille », et spider, « araignée » (cf. Spiderman). On verra plus loin dans les Curiosités (poids et pensum) comment on a pu passer de la notion de "poids" à celle de "filature".

Les invités masqués

1. Dans -pend-, il a remplacé d par ch : pencher, du latin populaire *pendicare, lui-même issu du latin classique pendere. Dérivé : penchant.


2. Dans -pend-, ils ont remplacé d par t : pente, du latin populaire *pendita, lui-même issu du latin classique pendere, soupente, et appentis, dérivé d'un participe passé latin vulgaire *appenditus.


3. Dans -pens-, il a remplacé le e par un a : panser (Voir Curiosités ci-après). Dérivé : pansage, pansement.


4. Pour poids et poêle, bien déguisés, voir Curiosités ci-après.
Curiosités

1. Compiègne : Le nom de cette ville vient du latin compendium, « magot, économies, économie de temps, abrégé ». Ce fut probablement à l’origine un nom commun ayant le sens de « raccourci », la ville étant située sur une route reliant deux voies romaines plus importantes.

Le mot compendium est quant à lui toujours utilisé dans le sens de « résumé, abrégé », mais compendieux et compendieusement ne survivent que dans les dictionnaires.


2. guet-apens : d’abord guet à pens, nom composé masc. avec le sens de « tout dessein de nuire prémédité ». Altération de la locution adverbiale d’agais apensés, « avec préméditation », composée de aguet (d’où, par aphérèse, guet) et du participe passé de l’ancien verbe apenser, « concevoir la pensée de, s’aviser de », dérivé de penser. Cette locution a succédé à l'ancien français en aguet apensé, de même sens.

Le premier élément du mot, guet, est membre, par la branche germanique, d’une famille à la racine indoeuropéenne *WEG-, « vigoureux, vif, vigilant », dont la branche latine a donné des mots comme veille, vigueur, vigie, vigile, vigilant, végétal, vélo, etc.


3. penser, panser et peser sont tous trois issus du latin pensare, fréquentatif de pendere, signifiant aussi « peser », d’où, par deux développements différents, « contre-balancer, payer » et dans le domaine intellectuel, « évaluer, apprécier », d’où « réfléchir, méditer ». L’évolution phonétique régulière entraînant la chute du n devant s, pensare a donné peser. La forme penser vient de la langue écrite, tout comme panser qui s’écrivait autrefois penser et a d’abord signifié « penser à son cheval, s’en occuper, le soigner, le nourrir ». L’orthographe panser est due à l’influence d’un autre verbe panser qui signifiait « remplir la panse ».

Le mot panse - auquel le célèbre Panzer allemand est apparenté - est quant à lui issu du latin pantices, « intestins, tripes, abdomen, ventre », d’origine inconnue.


4. poêle, nom masc. désignant un appareil de chauffage, remonte au latin pensilis, « suspendu, bâti sur voûte ou piliers ». Les balnea pensilia désignaient au Ier siècle les bains bâtis sur voûtes et chauffés par en dessous. Au fil des siècles, pensilis en viendra seul à désigner une « chambre chauffée par en dessous » – comme celle de Descartes à Amsterdam[1] –, à s’écrire poêle, et enfin à avoir son sens moderne d’ « appareil de chauffage clos où brûle un combustible ».


5. poids et pensum : poids est la réfection graphique tardive, par suite d’un faux rapprochement étymologique avec pondus, de l’ancien français peis puis pois. On devrait donc écrire "pois". Le mot est issu du latin pensum, substantivation du neutre de l’adjectif pensus, « qui a du poids, de la valeur », lui-même participe passé adjectivé de pendere. Les Latins employaient pensum à propos du poids de laine à filer distribué chaque jour aux servantes. C’est à partir de ce sens que s’est développé celui de « tâche, devoir, corvée » encore usuel.


6. Les noms de monnaies étrangères peso (aussi poids en espagnol) et peseta, qui valaient autrefois leur pesant d’or, sont également issus de pensum. Et l’argotique pèze est probablement aussi de la famille, bien qu’un lien – et un jeu de mots – avec pois par l’occitan pese, peze, ne soit pas exclu.

Homonymes et faux frères

1. Il y a poêle, poêle et poêle !
– le poêle (n.m.) du cercueil est issu du latin pallium, « tenture ». Le mot ne s’utilise plus que dans la locution tenir les cordons du poêle.[2]
– la poêle (n.f.) à frire est issu du latin patella, « petit plat servant aux sacrifices », d’où est également issu l’espagnol paella.


2. Il y a poids, pois et poix !
pois (n.m.) : ce nom de légume est issu du latin pisum, même sens.
poix (n.f.) est issu du latin pix, picis, même sens. Dérivés : poisse, poisseux, épicéa. Et aussi empeser qui n’a donc rien à voir avec peser.


3. répondre et correspondre n’ont rien à voir avec pondus, ponderis. Ils sont issus du bas latin sponsare, « promettre (notamment en mariage) », fréquentatif de spondere, « s’engager, promettre solennellement ». Sont issus du même mot : époux, épouse, épouser et sponsor.


4. pondre n’a rien à voir ni avec sponsare ni avec pondus. Il est issu du latin ponere, « poser, déposer, pondre ». (Voir la famille POSER.)

Dans d’autres langues indoeuropéennes

esp. apéndice, depender, despensa, dispensar, pender, péndulo, pensar, pensión, pesar, peseta, peso, ponderar, suspender

port. apêndice, depender, despender, pender, pêndulo, pensão, pensar, peso, ponderar

it. pendere, pendice, pensare, pensile, pensilina, pesare, peso, pisolo, propenso, sospendere, stipendio

angl. append, compensate, depend, dispense, expensive, pension, penthouse, poise, ponderous, pound, spend, spider, spin, spinster, suspense

all. Kompensation, Pendel, Pension, Pfand, Pfund, pfündig, Speise

rus. аппендицит, пенсия, пядь, стипендия

Notes :

1 « J'étais alors en Allemagne, où l'occasion des guerres qui n'y sont pas encore finies m'avait appelé ; et comme je retournais du couronnement de l'Empereur vers l'armée, le commencement de l'hiver m'arrêta en un quartier où, ne trouvant aucune conversation qui me divertît, et n'ayant d'ailleurs, par bonheur, aucunes passions qui me troublassent, je demeurais tout le jour enfermé seul dans un poêle, où j'avais tout loisir de m'entretenir de mes pensées. » Le Discours de la Méthode, début de la deuxième partie.

2 Dans un enterrement, marcher à côté du cercueil ou immédiatement derrière.








Les grandes familles de mots

par Jean-Claude Rolland

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