« Le costume de l’ethnologue »
La famille SOI
Patriarche indoeuropéen : *S(W)E- [1], « propre à une personne ou à un groupe »
Les branches
1. Les ancêtres latins de la famille sont principalement le pronom de la troisième personne
se, « soi, se », le possessif
suus, « son, sa, ses, sien, sienne », et le verbe
suescere, participe passé
suetus, « avoir coutume de ». En sont dérivés les pronoms et possessifs français de la troisième personne du singulier, trois mots en -
suet-, ainsi que
suicide (= le meurtre de soi-même) et ses deux dérivés :
soi, se, son, sa, ses, sien, sienne
désuet, désuétude, mansuétude, assuétude
se suicider, suicidaire
2. Plus utilisé que les autres dérivés du verbe latin
suescere que nous venons de voir, le nom
consuetudo, « coutume », a subi plusieurs transformations qui ont abouti aux doublets
coutume et
costume, ce dernier emprunté à l’italien. Ces deux mots ont à leur tour engendré deux séries de dérivés :
coutumier, accoutumer, accoutumance, désaccoutumer, inaccoutumé
costumer, costumé, costumier
3. La branche grecque est essentiellement représentée par les noms
εθος, hetos, « coutume »,
εθνος,
ethnos, « race »,
εταιρα,
hetaira, « compagne, amie, courtisane », et par l’adjectif
ιδιος,
idios, « qui appartient en propre à qqn, particulier ». En sont issus :
éthique, ethnique, ethnie, ethnographie, ethnologie, ethnologue
hétaïre, hétairie ou
hétérie
idiot, idiotie, idiotisme, idiolecte, idiosyncrasie, idiome, idiomatique
4. Enfin l’emprunt à l’anglais du mot
self, issu de la forme reconstituée *
selbaz, « soi-même », permet au français d’avoir dans son lexique quelques mots de la branche germanique, à savoir
self lui-même, et ses composés :
self-service, self-control, et
self-made-man.
Les invités masqués
1. Depuis son étymon latin
soror, membre attesté de la famille, il s’est beaucoup transformé :
sœur. Le mot latin désignait aussi la cousine. Dérivé :
consœur.
2. Lui aussi s’est beaucoup transformé depuis son étymon latin
consobrinus :
cousin. Le mot latin – composé de
cum, « avec » et de
sobrinus, l’adjectif relatif du
soror que nous venons de voir et qui signifie donc « de sœur » – a d’abord désigné le cousin germain du côté maternel. On suppose une forme intermédiaire *
co(n)sinus employée dans le langage enfantin. Dérivés :
cousine, cousinade.
3. Il est issu de
suetus (branche 1), mais il faut le savoir !
mâtin. (Voir Curiosités).
Curiosités
1.
idiot : emprunt (fin XIIe. s.), sous la forme alors masculine
idiote, au latin classique
idiota ou
idiotes, “homme qui n’est pas connaisseur, ignorant”. Le mot latin est lui-même emprunté au grec
ιδιωτης,
idiôtês, “simple particulier” (par opposition à un magistrat, à un homme public ou à un spécialiste), d’où “non technicien” et “ignorant, homme sans éducation”.
Ιδιωτης est dérivé de
ιδιος,
idios , “qui appartient en propre à qqn, particulier”.
2.
mâtin est issu d’un latin populaire *
mansuetinus, (ou *
masuetinus, de
manus, “main”, et
suetus, “habitué”), “apprivoisé, habitué à la (caresse de la) main”, dérivé du latin
mansuetus de même sens (d’où le français
mansuétude) qui avait donné l’ancien français
mansuet, “doux, bienveillant”, et en particulier “apprivoisé, dompté, docile”. Une forme contractée
mastinus est relevée au IXe s. Le mot est passé en français pour désigner un gros et puissant chien de garde. D’où
mâtiner, qui, attesté en 1175 sous la forme
mastiner, a eu le sens de “maltraiter, traiter de chien, réprimander” (Montaigne), encore vivant dans les dialectes. Mais c’est le sens de “couvrir la femelle”, en parlant d’un mâtin ou de tout autre chien d’une race différente de celle de la chienne qui s’est maintenu avec un développement figuré, “abâtardir”, d’où
mâtiné, “mêlé, hybride”, généralement construit avec la préposition
de, par ex.
Il parle un espagnol mâtiné d’italien.
3. La locution adjectivale latine
sui generis signifie « qui n’appartient qu’à son espèce ». Elle s’emploie par euphémisme dans
une odeur sui generis pour qualifier une mauvaise odeur dont l’origine est facilement reconnaissable. (Pour
generis, voir famille
GENS).
Homonymes et faux frères
1. Il y a
cousin et
cousin !
cousin désigne aussi une espèce courante de moustiques. Le mot est issu du latin vulgaire
culicīnus, diminutif de
culex, "moustique".
2. Il y a
éthique et
étique !
étique est un emprunt au bas latin
hecticus, « habituel », et en médecine « atteint de consomption », lui-même emprunté au grec
εκτικος, hektikos, « habituel, continu » en parlant de la fièvre. Le mot a le sens de « maigre » depuis le XVe s.
3. Il y a
mâtin et
matin, mâtiné et matinée !
matin et
matinée sont issus du latin
matutinum (tempus), « le temps de la journée avant midi », dérivé de
Matuta, nom d’une déesse italique identifiée avec l’Aurore. Dérivés :
matinal, matutinal.
4. Il y a
soi, sois, soit et
soie !
–
sois et
soit sont des formes verbales du verbe
être.
–
soie est issu du bas latin
sēta, « soie du bombyx », lui-même du latin classique
saeta, « soie de porc ». Dérivés :
soierie, soyeux.
Dans d’autres langues indoeuropéennes
esp.
acostumbrar, consigo, costumbre, ética, étnico, idioma, idiota, manso, mastín, se, sí, sobrino, suicidio, suyo
port.
acostumar, consigo, costume, ética, étnico, idioma, idiota, manso, mastim, se, si, sobrinho, suicidio
it.
assuefare, costumare, costume, manso, mansueto, mastino, sé, si, suo
angl.
accustom, custom, ethic, ethnic, hetaera, idiom, idiot, mansuetude, mastiff, self, suicide
all.
Idiom, idiotisch, sein, Selbstmord, sich, Sitte, sittig, sittlich
rus.
идиома, костюм, свой, себя, сестра, свекровь, -ся, этика, этнос
Notes
1 À part
se et
suus, les étymons sont tous issus d’élargissements de cette racine :
soror de *SWE-SR-,
suescere de *SWE-DH-SK-, les mots grecs de *SWE-D(H)- ou *SWE-T-, et *
selbaz de
*SEL-BHO-.