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Gaillimh
Inscrit le: 12 Nov 2005 Messages: 366 Lieu: Aberdeen (Ecosse)
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écrit le Saturday 06 Oct 07, 15:13 |
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J'ai constaté qu'on avait beaucoup parlé de l'alternance /w/ vs. /g/ dans les langues germaniques et romanes. On cite souvent guardian/ warden en anglais, par exemple.
Pour ma part, j'aimerais savoir comment cette alternance s'est produite. Quels sont les mécanismes qui entre en jeu pour qu'un individu arrête de prononcer /g/ ainsi mais le dit /w/? Et, parallèlements, comment passe-t-on de /g/ à /x/ ? |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Saturday 06 Oct 07, 17:21 |
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Maurice Grammont (Traité de phonétique, pp. 231-232) indique au sujet de la différenciation :
Citation: | Les langues romanes n'avaient pas hérité de w à l'initiale parce que le latin vulgaire n'en possédait pas : ceux de l'ancien latin étaient devenus des v. Quand les invasions germaniques leur en apportèrent elles eurent de la peine à les prononcer parce que leurs systèmes phoniques n'en comportaient pas ; l'attention des organes se porta donc naturellement sur ces phonèmes et ils firent un effort pour les articuler correctement. Mais une augmentation d'effort opérant sur une spirante produit une pression plus forte et, par suite, augmente la fermeture, qui peut aller jusqu'à l'occlusion. Cet effort ne porte d'ailleurs ici que sur la mise en train d'un phonème continu et son attaque seule est occludée. La seule occlusive articulée sur le voile du palais, comme le w, dont ces langues disposent est un g, et c'est donc un g qui s'ébauche à cette place et que la différentiation développe et affermit, d'où gw : germ. wardan > ital. guardare, fr. garder (par gwa-), prov., esp., port. guardar.
Ce phénomène n'est pas rare dans les langues du monde ; on le trouve dans d'autres langues indo-européennes, comme le brittonique : gall. gweddw « veuve », cf. lat. uidua, got. widuwo, ou l'arménien gorc « œuvre », cf. grec éléen wárgon « œuvre », got. waúrkja « j'agis », et aussi dans d'autres langues de groupe tout différents, telles que l'inibaloi (langue indonésienne) où « huit » se dit gualo = indon. commun walu. |
Édouard Bourciez (Éléments de linguistique romane, § 170 a) donne aussi comme exemples wērra > *gwerra (guerre) et wīsa > *gwisa (guise) et ajoute :
Citation: | D'autre part ce changement fut étendu à certains mots latins comme uadum, uastare, uespa (it. guado, guastare, fr. gué, guêpe, etc.), qui avaient des types similaires dans les idiomes germaniques *.
La prononciation primitive du w ne se conserva que dans le Nord et l'Est de la Gaule, aux confins des pays germaniques : les grammairiens du XVIe siècle signaleront des formes ouarder, ouarnir comme courantes de leur temps en Picardie (actuellement wall. wesp, pic. lorr. wep pour guêpe, etc.). |
* (note du recopieur) par exemple, vx-haut-all. watan, angl. waste, wasp.
On notera que ce phénomène concerne essentiellement l'initiale (là où l'attention articulatoire est la plus grande dirait Grammont) et que, si uastare aboutit à gâter, on a en revanche dévaster … |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Saturday 06 Oct 07, 17:40 |
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J'ai oublié deux morceaux de la question.
1) l'anglais guard est un emprunt à l'ancien français alors que ward résulte de l'évolution interne.
2) le passage de g (occlusive) à x (fricative) n'est qu'un exemple d'un phénomène récurrent dans l'histoire du germanique. Ça commence avec le germanique commun où les occlusives de l'eurindien subissent une première mutation :
occlusives sourdes > fricatives sourdes
occlusives sonores > occlusives sourdes
occlusives sonores aspirées > fricatives sonores (> occlusives sonores dans la plupart des dialectes attestés)
Le pire est atteint pour moi à Amsterdam où j'ai bien du mal à me faire comprendre quand je demande le Musée Van Gogh … |
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Maisse Arsouye
Inscrit le: 10 Nov 2004 Messages: 2037 Lieu: Djiblou, Waloneye
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écrit le Saturday 06 Oct 07, 20:26 |
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Il y a au moins une langue romane qui a gardé le w germanique intact : le wallon.
garder -> waurder
gagner -> wangni
guèpe ->wepe |
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meuuh
Inscrit le: 12 Jun 2006 Messages: 982 Lieu: Mie en ole opaštuja Karjalašša
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écrit le Saturday 06 Oct 07, 20:47 |
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Citation: | arrête de prononcer /g/ ainsi mais le dit /w/ |
Jamais vu une évolution dans ce sens...
Citation: | Il y a au moins une langue romane qui a gardé le w germanique intact : le wallon. |
Et le picard... Et le normand (dans certains cas...) |
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Gaillimh
Inscrit le: 12 Nov 2005 Messages: 366 Lieu: Aberdeen (Ecosse)
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écrit le Saturday 06 Oct 07, 21:02 |
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* dans ce cas-là, comment expliquer que le phénomène puisse avoir lieu au sein même d'une langue germanique :
Moyen anglais : ouen (v) : owen / agan / ahen / a3en
là, comme ça, je comprends qu'on a une alternation de dépard entre w/g
puis, le /g/ peut être dévoisé en /k/, qui subit une lénition en /x/ ou est affaibli en /h/
mais comment est-ce que ça se passe ? Je veux dire, j'ai eu des tas de cours de phono mais tous se brone à décrire, sans expliquer... je peux comprendre la métathèse, ou le passage d'une voyelle d'avant à une voyelle d'arrière (qd la syllabe qui suit contient une voyelle d'arrière) ; mais je ne comprends pas comment on passe de /g/ à /w/ ou le reste. Outis, est-ce que warden (pour ne citer que lui) est un emprunt au germanique ou découle-t-il d'une racite indo-européenne ?
Dernière édition par Gaillimh le Saturday 06 Oct 07, 21:09; édité 1 fois |
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Feintisti
Inscrit le: 09 Oct 2005 Messages: 1591 Lieu: Liège, Belgique
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écrit le Saturday 06 Oct 07, 21:08 |
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En frioulan (qui est une langue rhéto-romane), on a par exemple le mot "guerre" qui se dit "vuere". Le son "vu"/vw/ est une évolution propre au frioulan qui découle d'une prononciation /w/ gardée dans certains dialectes de cette langue. |
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Normanneren
Inscrit le: 18 Mar 2007 Messages: 165 Lieu: Odense - Danemark
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écrit le Saturday 06 Oct 07, 22:04 |
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J'ai trouvé:
Norman French words imported into Middle English include: catch, wage,
warden, reward, and warrant. Parisian French gave Middle English:
chase, guarantee, regard, guardian, and gage.
sur: http://answers.google.com/answers/threadview?id=214586.
Ceci est par ailleurs confirmé par la linguiste Henriette Walter. En ce qui concerne l'influence dite "parisienne", je pense qu'elle est soit angevine, soit aquitaine. |
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semensat
Inscrit le: 20 Aug 2005 Messages: 863 Lieu: vers Toulouse
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écrit le Sunday 07 Oct 07, 12:25 |
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Citation: | * dans ce cas-là, comment expliquer que le phénomène puisse avoir lieu au sein même d'une langue germanique :
Moyen anglais : ouen (v) : owen / agan / ahen / a3en |
Par ce qu'en l'occurence, le phénomène est inverse : la lettre de base est un -g-, cf. norrois eiga, gotique aigan. |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Sunday 07 Oct 07, 17:59 |
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Et, surtout, le w de own (v.angl. āgan), owe (v.angl. āgen), est purement orthographique (il ne se prononce pas). Il y a eu en fait amuissement du g intervocalique dont on a encore une trace orthographique dans l'ancien prétérit ought (v.angl. āhte) de ce verbe.
Il semble que le thème eurindien à poser soit *h₂ei-k- (skr. īś-, īṣṭe « être maître de, posséder »). En germanique, le k devient spirant (*k > *χ > h) mais, en position intervocalique, il commence par se sonoriser et évolue comme g avec divers traitements successifs selon les langues.
Pour ce qui est du doublet guard/ward issus de *ward- (le premier avec passage via le roman), il semble que le thème ne soit attesté qu'en germanique occidental (all. warten). C'est probablement une extension en d d'un *war- au sens de « prendre soin » (angl. beware, germ. > fr. garer) qui est de plus grande extension en germanique (got. war « prudent », isl. vara « être sur ses gardes ») et possède des correspondants en grec, ὁράω [horaō] (< *ϝοράω [woraō]) « porter le regard sur », θυρωρός [thur-ōrós] « portier ». |
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semensat
Inscrit le: 20 Aug 2005 Messages: 863 Lieu: vers Toulouse
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écrit le Sunday 07 Oct 07, 18:35 |
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Cette histoire de voisement en position intervocalique m'intrigue, je n'ai pas le souvenir que ça existe en germanique. Je serais plus porté à croire que l'accent eurindien portait sur la seconde syllabe *h₂ei-k-ón-o-m, et que donc le verbe à logiquement donné *aiɣanan en germanique, qui est à l'origine de /aiɣan/ en gotique et /eiɣa/ en norrois, notés aigan bzw. eiga. C'est ensuite par assimilation avec le -t- de prétérit que certaines formes seraient devenues /*aiχt-/. |
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giòrss
Inscrit le: 02 Aug 2007 Messages: 2778 Lieu: Barge - Piemont
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écrit le Monday 08 Oct 07, 9:51 |
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En Piémont, on note une situation de passage.
Le vieux piémontais mantenait la "v":
-Vièrm (Guglielmo - Guillaume)
-Vardé (guardare, conservare -regarder,conserver)
-vindou (guindolo, bindolo)
Le piémontais de Turin, influencé par le lombard occidental:
- Gulièlmou
- Gouardé
L'occitan du Piémont:
- Guiaoume
- gardar |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Monday 08 Oct 07, 10:35 |
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@ semensat : Nous avons probablement tous les deux raison. La loi de Verner que tu invoques peut en effet être formulée :
Maurice Grammont a écrit: | En germanique les anciennes spirantes sourdes sont devenues sonores entre voyelles, sauf lorsqu'elles suivaient immédiatement la voyelle tonique. |
Le voisement intervocalique, cas particulier de l'assimilation, est un phénomène d'une grande généralité et il vaut mieux considérer que la loi de Verner traite un cas d'exception. L'explication en est donnée par l'auteur du Traité de phonétique :
Maurice Grammont a écrit: | … l'effort musculaire qui a augmenté la hauteur, tout comme celui qui a augmenté l'intensité, ne cesse pas instantanément ; les muscles ne reviennent que progressivement, quoique vite, à une tension moyenne. La consonne qui suit la voyelle tonique ou accentuée a donc de ce chef une force particulière qui lui permet de résister à l'action ouvrante ou sonorisante de la voyelle. |
Cet auteur indique d'ailleurs que le même phénomène explique le maintien du trait sourd de th dans l'irlandais bráthir « frère ». Le maintien d'une surdité intervocalique doit bien être considéré comme une exception, même si elle peut avoir d'autres raisons comme en espagnol poco, oca (lat. paucus, auca) opposés à lobo, vida (lat. lupus, uita) où elle témoigne d'une ancienne prononciation à second terme consonantique de la diphtongue au (cp. Pablo < Paulus).
Je crois donc que, de même, il n'est nullement nécessaire d'expliquer *aiχt- par une assimilation, le *k n'y étant pas en position intervocalique … |
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semensat
Inscrit le: 20 Aug 2005 Messages: 863 Lieu: vers Toulouse
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écrit le Monday 08 Oct 07, 10:38 |
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Effectivement, j'avais oublié le détail "entre voyelles" de la loi de Verner. |
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Gaillimh
Inscrit le: 12 Nov 2005 Messages: 366 Lieu: Aberdeen (Ecosse)
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écrit le Sunday 14 Oct 07, 14:45 |
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Je tiens à préciser que owen et ah/ag sont, en moyen anglais, deux versions d'un même verbe ouen et signifient (d'abord) 'posséder'. On ne peut donc pas avancer de critère sémantique pour distinguer les deux formes ou leur prononciation.
Who oweth this contre? (1475)
who owns this country
Qui possède/ règne sur ce pays?
Nulle ich a3æn na lond. (1275)
Not-want I to have no land
Je ne veux aucune terre.
If that the goode man that the bestes oweth [vrr. awe, owe, oughe, Oowyht] Wol..drynken..a draughte..Hise bestes and his stoor shal multiplie. (1390)
Þis Cretus an ilde he augste [read: augte] þe name of hym Cret hit laughte. (1450)
Il est alors impossible de dire que la forme issue de /g/ (ici /3/ et /h/ et /g/) est issue d'un emprunt latin et celle en /w/ vient du germanique. Visiblement, /w/ est un glide d'avant alors que /g/ est une vélaire plosive d'arrière. Ce qui m'intéresse, c'est le procédé phonologique qui permet que le son /g/ puisse évoluer en un son /w/ alors que les DEUX phonèmes sont disponibles dans la langue.
Et, dans le cas ou le passage d'un son /g/ à /w/ n'est pas possible, une autre hypothèse est-elle envisageable (forme initiale en /gw/ par exemple)? |
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