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Les doublets en latin : variantes de genre et de suffixe - Forum latin - Forum Babel
Les doublets en latin : variantes de genre et de suffixe

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Omicron



Inscrit le: 04 Oct 2007
Messages: 97
Lieu: Grenoble

Messageécrit le Tuesday 15 Sep 09, 16:52 Répondre en citant ce message   

Je lance un thème de recherche sur des mots latins proches phonétiquement avec la même traduction en français.
Exemple:

fluvĭa, ae, f. : rivière, fleuve.

et

fluvĭus, ĭi, m. : rivière, fleuve.
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Horatius
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Inscrit le: 11 Apr 2008
Messages: 695

Messageécrit le Tuesday 15 Sep 09, 19:52 Répondre en citant ce message   

OK, je vois le genre de choses, mais pour que cela ait un réel intérêt linguistique, il convient aussi de noter les différences entre ces doublets, voire (pas toujours facile) d'expliquer leur raison d'être:

Pour fluuius / fluuia, il faudrait ajouter flumen :
Les trois sont des noms formés à partir du verbe fluere (couler)
Flumen est de très loin le plus fréquent. C'est lui qui est resté en italien (fiume) et en catalan (flum) ; l’ancien français connaissait aussi un flum.
Fluuius est moins fréquent en prose classique, il est absent des oeuvres de César qui n'emploie que flumen. Fluuius prend de l'importance en poésie et dans la prose dans la période post-classique. C'est lui qui l'a emporté en français (fleuve) et en roumain (fluviu).
Fluuia est un hapax, cela signifie qu'il n'est attesté qu'une fois dans nos textes. Et encore cette attestation est indirecte: c'est le lexicographe Nonius Marcellus au IV ap JC qui rapporte cette forme qu'il attribue à un écrivain contemporain de Cicéron, Sisenna. Précisons que fluuia est simplement une féminisation de fluuius. Cette forme est trop rare pour que l'on puisse la considérer comme courante en latin.

Ce type de variation sur la terminaison finale ou sur le genre du nom n'est pas rare.
Autre exemple :
La jeunesse :
- iuuenta, ae, f : forme poétique, bien qu'attestée chez Tite-Live
- iuuentas, atis, f: forme poétique également
- iuuentus, utis, f : forme plus classique
Meyer-Lübke note qu’il a existé des mélanges entre ces trois formes qui ont pu conduire à identifier iuuentus à un nom masculin (en en faisant un nom de deuxième déclinaison). C’est de lui que vient l’Ancien Français jovent, pris comme masculin, alors que ce mot est bien resté féminin en italien (gioventù), en espagnol (juventud), en catalan (joventut ; cependant le catalan connaît également le masculin jovent). De toute façon, au féminin, l’Ancien Français connaissait jovente, dérivée de iuuenta, et qui a évolué vers la forme jouvence.

N.B. : je n'ai que de très faibles connaissances (et seulement écrites) dans les langues romanes autres que le français. Si certains voulaient corriger, préciser, ce serait avec grand plaisir que je prendrais note de ces informations.

Ausone, écrivain du IVe siècle, propose une distinction entre ces trois synonymes, distinction qui dans les faits ne se vérifie pas franchement :
Citation:
Juventus désigne les jeunes gens en général ; Juventas, l'âge d'un seul homme ; Juventa, la déesse de la jeunesse, qui, selon les Grecs et les poètes, est fille de Junon et femme d'Hercule, et qui donna son nom au mois de juin, comme nous le lisons dans les livres des Fastes.
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ramon
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Inscrit le: 13 Jan 2005
Messages: 1395
Lieu: Barcelone, Espagne

Messageécrit le Wednesday 16 Sep 09, 8:47 Répondre en citant ce message   

Horatius a écrit:
N.B. : je n'ai que de très faibles connaissances (et seulement écrites) dans les langues romanes autres que le français. Si certains voulaient corriger, préciser, ce serait avec grand plaisir que je prendrais note de ces informations.


En catalan, je ne connaissais pas le mot flum. Je l’ai trouvé, en effet, dans le dictionnaire, mais je ne crois pas qu’il soit beaucoup employé. Le mot le plus courant pour fleuve ou rivière est riu.

Nous avons cependant l’adjectif fluvial est le Fluvià, nom d'une rivière qui naît près d'Olot et se jette à la mer près de Sant Pere Pescador.

Joventut est :

Jeunesse, c’est-à-dire, la période de la vie entre l’enfance et l’âge mûr.
Jeunes gens, collectif des personnes adolescents ou jeunes adultes.

Jovent est synonyme de joventut seulement dans ce dernier sens de jeunes gens.
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Horatius
Animateur


Inscrit le: 11 Apr 2008
Messages: 695

Messageécrit le Wednesday 16 Sep 09, 18:04 Répondre en citant ce message   

Merci, Ramon, pour vos précisions !

Un petit point théorique afin de bien préciser l'intérêt du problème:
Le doublet cité par Omicron fluuius / fluuia relève simplement d’une variante de genre : pour des noms d'objet, il me semble que c'est exceptionnel et de toute façon, fluuia est un hapax, une curiosité lexicologique qui n'a été retenue par Nonius Marcellus que pour cela.
Cependant, il existe effectivement en latin des noms qui font doublets et qui varient par le suffixe final : ce sont des noms formés par dérivation suffixale. Un radical peut produire plusieurs dérivés nominaux de sens voisins voire identiques par l’emploi de suffixes différents.

Ainsi à partir du verbe fluere, couler, on peut former :
- flu-men : suffixe -men souvent utiliser pour substantiver l'action ou le résultat de l'action du verbe (clinamen, action ou résultat de dévier [clino], lu-men: résultat d'éclairer [luceo], la lumière).
-flu-uius : suffixe -uius (pour les masculins), -uia (pour les féminins), -uium (pour les neutres) : même sens. (procli-uium: la pente, résultat de pencher [proclino]).

Pour en revenir à l’exemple de« jeunesse » en latin que je trouve intéressant :
Il provient de l’adjectif iuuenis (jeune). Le nom le plus fréquent qui en est dérivé est iuuen-tus. Ce suffixe –tus, utis sert rarement à cette dérivation de noms abstraits désignant ainsi la qualité relative à un adjectif ou à un nom.
Bien sûr les dérivations suffixales ont fait l'objet de beaucoup de travaux et le problème des doublets a occupé de nombreux philologues. Par exemple, on trouvera sur internet, en aperçu limité, du Tome IX de la Grammaire Fondamentale du Latin (édition Peeters) un article de Jean Daude sur ces dérivés nominaux abstraits et sur le problème des doublets p. 225 et suivantes.
Jean Daude relève dans toute la latinité antique (jusqu’à Isidore de Séville) 5 noms formés ainsi par dérivation à partir d’un adjectif ou d’un nom grâce au suffixe –tus désignant la qualité relative au radical.
uirtus, utis : la qualité propre à l’homme (uir), le courage, la valeur.
seruitus, utis : la condition de l’esclave (seruus), la servitude.
iuuentus, utis : la condition du jeune homme (iuuenis), la jeunesse.
senectus, utis : la condition du vieillard (senex), la vieillesse.

Enfin, tempestus, utis : le moment favorable.

Ces dérivés en –tus, utis, sont, selon Alfred Ernout, « les épaves d’un groupe à l’origine très fréquent, étouffé par le pullulement des formes en –tas, atis, et –tudo, udinis. »
Ce groupe n’ayant pas réussi, il a connu des variantes, des doublets :
uirtus n’a pas doublet
seruitus = seruitium, seruitudo
iuuentus = iuuentas, iuuenta que j’ai déjà cités, mais également iuuentudo (cité par Jean Daude, ce mot n’est pas attesté dans Gaffiot ni dans Lewis&Short mais se trouve chez un lexicographe)
senectus = senectas (non-attesté dans Gaffiot, mais cité par J.D. que je crois sur parole [!]), senecta (rare et absent de la prose classique), senectitudo (là encore cf. J.D.) ainsi que senium et senitudo.
tempestus est, d’après Varron, un terme technique de la science augurale : c’est le moment favorable pour prendre les augures. Plus généralement, le moment favorable se dit tempestas.

Assez souvent, les noms dérivés par suffixation et désignant une qualité abstraite, connaissent ces doublets à cause des nombreux suffixes utilisables : il s’agit d’une concurrence entre suffixes même si cela ne signifie pas que les deux noms ainsi dérivés aient exactement la même valeur (d’où l’intérêt de cette étude) :
- concurrence entre suffixes –tus, utis et –tudo, inis : ex : ambitus /ambitudo (hapax) : le circuit.
- concurrence entre suffixes –tas, atis et –tudo, inis : ex : anxietas / anxietudo (archaïque) : caractère anxieux.
- concurrence entre suffixes –acia, ae et –ntia, ae : audacia / audentia (post-classique) : audace.


Ces jeux de doublets me font un peu penser à des pratiques contemporaines en français: le mot "bravitude" de Mme Royal n'est peut-être pas plus stupide que le mot iuuentitudo pieusement recueilli par un lexicographe antique !...

Je n'ai été que trop long : je m'arrête !


Dernière édition par Horatius le Friday 14 Dec 12, 14:27; édité 1 fois
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ramon
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Messageécrit le Wednesday 16 Sep 09, 19:17 Répondre en citant ce message   

Trop long ? Pas du tout ! C’est tellement intéressant… des leçons de latin en ligne, presque privées. Un luxe, quoi !

Merci !
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Omicron



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Messageécrit le Tuesday 22 Sep 09, 9:04 Répondre en citant ce message   

A propos de l'hapax fluvĭa, est-ce qu'il n'y a pas des déclinaisons communes entre fluvĭa et fluvĭus ?
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Horatius
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Messageécrit le Tuesday 22 Sep 09, 17:59 Répondre en citant ce message   

Des formes communes, voulez-vous dire?
Bien-sûr. Fluvia étant de première déclinaison et fluvius de deuxième, les datif et ablatif pluriels sont identiques: fluviis.
Où voulez-vous en venir ?
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Omicron



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Messageécrit le Wednesday 23 Sep 09, 8:45 Répondre en citant ce message   

Je me demandais si dans les textes où le terme 'fluvia', ou 'fluvius', était écrit avec une de ces deux formes communes (datif ou ablatif), est-ce qu'il n'y a vraiment aucune ambiguïté pour le rattacher à l'un de ces deux termes ?
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Horatius
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Messageécrit le Wednesday 23 Sep 09, 13:19 Répondre en citant ce message   

En gros, vous voulez savoir comment différencier deux mots qui s'écriraient pareil, qui se prononceraient pareil et qui auraient le même sens ?
La réponse est simple : il n'y a aucune raison de les différencier ! Fluuiis est le datif/ablatif pluriel du mot qui signifie fleuve. Rien à dire de plus !

Mais je le répète, de toute façon, le mot qui signifie fleuve, c'est normalement fluuius (et flumen) : c'est ce terme que l'on rencontre décliné à tous les cas du singulier et du pluriel dans les textes. Il ne faut pas mettre tous les mots du dictionnaire Gaffiot sur le même plan: un dictionnaire latin répertorie (est censé repertorier) tous les mots attestés dans les textes latins antiques (soit environ un millénaire de littérature: III siècle av - VIIe siècle après). Mutatis mutandis, c'est presque comme si on mettait dans un même dictionnaire le vocabulaire de l'Ancien Français et les néologismes du français contemporain. Pour comprendre quelque chose là-dedans, il faut prendre un peu de distance critique !

Quant à ce fluuia, recueilli par un lexicographe du IVe siècle, qu'en est-il ?
Il me faut corriger ce que j'ai dit plus haut:
Contrairement à ce que je pensais spontanément, les variantes de genre ne sont peut-être pas si exceptionnelles en latin, du moins à la période archaïque où les genres ne sont pas encore bien fixés : ex. : angiportus (masc) / angiportum (neutre) : la ruelle.
Nonius Marcellus a fait un relevé de variantes de genre dans un ouvrage intitulé "de indiscretis generibus" (Sur les noms de genre indistinct) : c'est un dictionnaire de noms épicènes (à double genre) : on en a une version (très mal) numérisée ici (vieille édition Mercier, p. 190 et suivantes)
on y trouvera p. 207 ligne 3 fluvius : mot masculin. Quelquefois féminin : deux exemples de Sisenna "inter duas fluuias" et "transgressus fluuiam".

Que penser généralement de ces noms épicènes relevés par Nonius, et spécialement de ce fluuius / fluuia ?
A ce que je peux voir, les travaux de Nonius Marcellus ont été extrêmement critiqués jusqu'au XIXe siècle : Nonius était parfois carrément traité d'illettré. D'après le grand philologue français L. Quicherat, il faut prendre en compte le fait que le texte que l'on a conservé de Nonius est extrêmement détérioré.
Tout n'est pas toujours fiable : il peut y avoir des problèmes textuels :
pour ce qui est de fluuia, les deux attestations de Sisenna ne peuvent pas être vérifiées puisque nous n'en conservons pas de sources directes.
J'ai rencontré également "fluuia" dans l'apparat critique du v. 121 du poème l'Etna (appendice virgilien) : un manuscrit donne cum fluuia, un autre cum fluuio, à côté de "confluuia" qu'adopte l'éditeur.
D'autres variantes de genre relevées par Nonius paraissent vérifiées : ces variantes concernent souvent la période archaïque où les genres ne sont pas encore fixés:
crux, normalement féminin est masculin dans Ennius (malo cruce), mais aussi chez les Gracches.
Grex, normalement masculin est féminin dans Lucrèce (buceriae greges).

Tous ces problèmes sont extrêmement complexes, car outre la question proprement linguistique (fixation des genres), cela pose de très nombreuses questions textuelles.
Franchement, je déconseille quelqu'un qui voudrait sérieusement apprendre le latin, de commencer par ce genre de choses : on n'apprend pas une langue dans un dictionnaire, mais dans des textes.
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Omicron



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Messageécrit le Wednesday 23 Sep 09, 13:32 Répondre en citant ce message   

En tout cas un grand merci pour ces explications très clairement documentées !

En fait, je découvre en vous lisant que les genres n'étaient pas vraiment bien fixés pendant la période archaïque.
WIKIPEDIA indique que cette période archaïque se termine en 75 av JC (cf ici).
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Horatius
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Messageécrit le Wednesday 23 Sep 09, 14:09 Répondre en citant ce message   

Pour les variations de genre, cf également la Morphologie Historique d'Alfred Ernout (p. 2-4) :
Citation:
La ressemblance phonétique de rosa, fém. sg. nom et templa, n. pl. a amené une série de confusions entre le neutre et le féminin. D'où les doublets :
caementum, i, n / caementa, ae, f
ganeum, i, n / ganea, ae, f
ramentum, i, n / ramenta, ae, f

Cette dualité s'est maintenue jusque dans les langues romanes, ce qui explique les doublets français :
grain (> granum, i, n) / graine (lat. vulg. grana, ae, f) ; cerveau (cerebellum, i, n) / cervelle (cerebella, ae, f), ....


Dans les noms de deuxième déclinaison, on a également des confusions entre masculin et neutre, d'où les doublets :
dorsus (Plaute) / dorsum
raster (Caton) / rastrum
caelus (Pétrone) / caelum ....
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