Invidia
Inscrit le: 24 Jul 2008 Messages: 441 Lieu: Gasconha (França)
|
écrit le Friday 02 Apr 10, 4:40 |
|
|
Pau ne peut pas avoir de nom basque traditionnel, antérieur à la romanisation de la vallée du Gave. La raison est simple : le développement de Pau est récent (*) même si les capitales béarnaises successives ont tourné autour de ce lieu (Morlaàs comme Lescar), à l'exception d'Orthez. Lescar d'ailleurs a un nom parfaitement basque que l'on déduit facilement des textes latins ("Lascurris" au Xème siècle) : c'est le terme basque laskorr (**), sur lats=cours d'eau et probablement l'ancêtre du basque gorri "rouge, sec, nu", pour un sens final à déduire, soit "ruisseau à sec", soit "ruisseau rouge" comme Ribarrouy.
Revenons à Pau. Pau en basque, c'est "Paue". La finale -e est analogique et récente. Elle a été généralisée en basque à date récente du fait des dérivés qui la comporte. Pau-eko par exemple. La forme de base est bien : Pau. Bref, le basque a repris la forme gasconne vocalisée, la seule qui pouvait leur parvenir, dont on s'accorde à penser qu'elle est issue d'un oronyme pré-indo-européen *pal/bal (***).
Mais il existe une variante de "Paue" : "Pabe". Cette forme surprend de prime abord. Jouerait-elle sur l'étymologie populaire du paon (pavo en latin) ? Elle s'explique assez facilement grâce à la toponymie souletine.
Aroue, en Soule, à quelques encablures des premiers villages béarnais, sur cette route si belle qui fait passer de Soule en Basse-Navarre, la fin du monde pyrénéen. Les maisons sont d'architecture souletine, c'est-à-dire béarnaise, mais les teintes se font bas-navarraises : on a dans ces confins de la Soule l'exemple du syncrétisme le plus abouti.
Passons. Pas d'étymologie connue de Aroue, qui est "aroa" en 1385, puis "aroue" en 1690. On sait juste qu'il existe un homonyme landais du côté de Sarbazan : Arue. Aujourd'hui, le nom du village en basque est Arue, probablement repris du nom officiel gascon, les attestations anciennes étant claires que la forme de base qui aurait dû être conservée est Aroa. Seulement, le village est également dit : Aibe.
Orpustan éclaire cette forme : classiquement en souletin, les r intervocaliques, autrefois aspirés, tombent (ainsi s'explique le nom du village béarnais d'Ance, encore parfois dit Arhantza en basque). De plus, en souletin, il y a passage de u à ü.
aroué > a(h)oué > aüé > aibé
Pabe s'explique de même :
paoué > paüé > pabe
Pour des phénomènes similaires, rajoutons à ces exemples deux villages souletins : Abense de Bas (ohense en 1377, abenssa en 1460, oense en 1690) et Abense de Haut, respectivement Onizepea et Onizegañia en souletin.
La signification est obscure : probablement un lien avec une base supposée oronyique ona- (+ suffixe locatif). Les noms romans sont issus régulièrement des noms basques en supposant une forme initiale Oniza (article basque).
Le passage à la forme romane selon Orpustan :
*oniza > onise > oénse > auénse > abense
On voit que toutes les grandes caractéristiques du sud-gascon expliquent le nom d'Abense : tendance nasalisante, passage de w intervocalique à b, ...
Serait-ce un tel phénomène de labialisation qui explique certaines formes bayonnaises ?
luna > loue > lüe > libe
Faut-il postuler une étape lüwe/liwe ? Je pense que tous ces phénomènes pré-cités sont liés : les formes souletines de toponymes, le passage de w intervocalique à b en gascon béarno-chalossais, les formes bayonnaises dans un contexte bilabial, ... Il reste à agencer tout cela pour donner de la cohérence. Avis aux linguistes. C'est à creuser.
Notes :
* : Auch a gardé son nom d'Auski (cf Augusta Auscorum). Dax est Akiz(e)
(directement du latin aquis). Il semble que Tarbes soit Aturbe, ce qui
correspond à la première attestation de la ville ("civitas Turba ubi castrum
Bigorra") et ne manque pas de nous questionner sur un possible lien avec
l'Adour, Aturri en basque. Toulouse est Tolosa, Bordeaux est Bordale. Pour ce
qui est de Lescar, les Basques disent Leskarr(e), le passage de u à a dès le
XIIème siècle est étrange. Bref, les grandes villes historiques ont eu un nom
basque.
** : L'assourdissement de l'initiale de gorr* après le groupe apico-alvéolaire
ne semble pas une règle intangible. Cf Lesgor dans les Landes.
*** : Je n'en pense rien de définitif à vrai dire. Parce qu'il y a des modes comme dans toutes les sciences. Il y a eu ainsi une mode anthroponymique, on interprétait tout en fonction de possédants romains ou médiévaux. Aujourd'hui, on est plus dans le naturalisme, à revoir des racines celtes un peu partout.
Intellectuellement, je suis assez en accord avec les thèses développées aujourd'hui : pour la France, on a minoré la toponymie celte (je prends le cas de l'Isère assez souvent : on a préféré inventer une racine pré-indo-européenne iz* que constater qu'en celte, isara signifie seulement "rapide"). La bascomanie, le mystère pour le passé pré-indo-européen ont beaucoup joué : on a
vu les Basques partout. Inversement, pour la Gascogne, on a exagéré l'apport anthroponymique. Par exemple, pour Souprosse dans les Landes, je ne vois aucune raison d'y voir un domaine de Superus (ce qui est aberrant avec un suffixe aussi ancien que -osse) plutôt qu'une formation sur le basque zubel=ormeau avec alternance latérale/vibrante (zulelotza > zube'rotza > soubrosse).
In fine, on manque beaucoup d'études de toponymie comparée. Et on en revient à Pau : linguistiquement, palum pour pieu donnera "pau". Une telle formation est-elle envisageable pour décrire un site ? Je n'en sais rien. Généralement, la comparaison avec la toponymie oïlique est intéressante : aurait-on des forteresses dite "Le Pieu" ou "Château du Pieu" ? Je n'en connais pas.
Alors, effectivement, on est tenté de recourir à la racine pré-ie *pal identifiée dans de nombreux endroits escarpés. C'est la thèse généralement admise depuis Dauzat. Cette racine est répandue en terres ligures (ce n'est pas la première équivalence entre toponymie ancienne gasconne et toponymie ligure : Strabon indique que la ville d'Aste, Asta en latin, signifie "rocher qui émerge
de la plaine", ce qui exactement le sens de "aitz" en basque) : La Cime de Pal dans les Alpes-Maritimes par exemple. En Gascogne, il y a le col de Pau en Aspe.
Par contre, clairement, on ne peut pas y rattacher le terme de balma/bauma "grotte" au demeurant absent en Gascogne : Delamarre dans son Dictionnaire de la langue gauloise cite la Vie des Saints du VIIIème siècle : "quam in cingulo illo vel balma, Gallico, ut reor, sermone, sic vocatam" (Vide Ignotum Casinensem cap. 12. Infra, Circulus.) Bref, le terme est dit gaulois. Ce qui ne signifie pas qu'en effet, le terme gaulois ne tirerait pas son origine d'une vieille racine commune à l'indo-européen et au pré-indo-européen.
Balma près de Toulouse fait partie de cette série de toponymes celtes, probablement consécutifs de l'installation des Volques chez les Tolosates : Ardenne ("plateau boisé" en celte), Basso Cambo (Bachacambe, du celtique cambo=méandre), ...
Pour revenir à Pau, il faut noter que la zone est dense en macro-toponymie basco-aquitaine : Aressy, Laroin, Buros, peut-être Idron, ... Egalement en micro-toponymie : tout l'Entre-Deux-Gaves est parsemé de lieux-dits archaïques (Garris, Biscarros, Cuqueron, ...) parce qu'il s'agit là d'une région béarnaise peuplée récemment. Mais également dans la plaine du Pont-Long : à Serres-Castet par exemple, on détecte au Pont-Long : le ruisseau Larlas (dissimilation du
basque Larratz=lieu de landes) et Bruscos. Le nom du Luy est lui-même probablement issu du basque lohi(=boue) comme Lohitz donne Louys puis Luz.
Seul bémol à tout cela : Pourquoi la racine *pal/bal n'est-elle pas présente en basque ? |
|