Voir le sujet précédent :: Voir le sujet suivant |
Auteur |
Message |
Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
|
écrit le Thursday 06 May 10, 14:32 |
|
|
Aspects latins de la racine *uen- « désirer, chercher à atteindre »
Le poison
Sur le thème neutre sigmatique uenes- « séduction / désir d'amour » le latin a produit un dérivé secondaire neutre à sens d'instrumental, « qui sert à séduire », au moyen du suffixe -no- :
*uenes-no- > uenēnum
La formation est strictement parallèle à celle du grec φίλτρον « philtre » formé avec le suffixe d'instrument -tro- sur la racine phil- qui, au-delà du sens premier de l'amitié et de la relation d'hospitalité, a été utilisée en concurrence avec celles de ἔρως (erōs) et ἀγάπη (agapē) pour signifier la relation amoureuse.
C'est bien un philtre que sa nourrice recommande à Phèdre amoureuse d'Hippolyte :
ἔστιν κατ᾽ οἴκους φίλτρα μοι θελκτήρια ἔρωτος « J'ai chez moi des philtres, charmes d'amour » (Euripide, Hippolyte, 509-510)
Et, bien sûr, elle ne se trompe pas sur la déesse qui prêtera sa puissance :
ἔασον, ὦ παῖ: ταῦτ᾽ ἐγὼ θήσω καλῶς. « Laisse, mon enfant : j'arrangerai cela au mieux. » (pause)
μόνον σύ μοι, δέσποινα ποντία Κύπρι, συνεργὸς εἴης « Uniquement de toi à moi, ô Cypris, marine maîtresse, sois ma complice. » (ibid. 521-523)
Ce sens de philtre comme charme d'amour se poursuivra dans notre histoire littéraire jusqu'à celui qui, bu par mégarde, liera Tristan et Iseult d'un amour interdit mais, dès la Grèce, un charme d'amour se révèle être en fait le plus terrible des poisons.
Déjanire a teint la tunique d'Héraklès avec ce qu'elle pense être un charme d'amour, c'est ce que son fils explique au héros :
Νέσσος πάλαι Κένταυρος ἐξέπεισέ νιν τοιῷδε φίλτρῳ τὸν σὸν ἐκμῆναι πόθον. « Le centaure Nessos autrefois l'a persuadé que par ce philtre elle te rendrait fou de désir. » (Sophocle, Trachiniennes, 1141-1142)
À Rome, uenēnum a bien le sens premier de charme d'amour :
aetas et corpus tenerum et morigeratio, haex sunt uenena formosarum mulierum « jeunesse, corps tendre et complaisance, voilà les uenena des jolies femmes » (Afranius)
Mais, très vite, comme pour le grec φάρμακον dont le sens glisse de « simple, herbe médicinale ou magique, remède » à « poison », le latin uenēnum prend un sens péjoratif sans que les mises en garde des grammairiens n'y fassent quoi que ce soit :
qui uenenum dicit, adicere debet utrum malum an bonum ; nam et medicamenta uenena sunt « qui dit "uenenum" doit ajouter quel [il est] de bon ou de mauvais ; en effet, les remèdes sont aussi des uenena » (Digeste de Justinien)
Ainsi, sur le thème « il n'y a pas d'amour heureux » quand on essaye de forcer la main de la Déesse, tous les dérivés du nom ont également mal tourné :
- uenēnāre « empoisonner »
- uenēnātus « infecté de poison, venimeux »
- uenēficus (< *uenēni-ficus) « empoisonneur »
En français uenēnum a donné directement venin (comme le second e du latin était long, c'est lui qui portait l'accent et c'est donc la dernière syllabe qui tombe) sur lequel a été formé un « venimeux » qui a fini par se spécialiser dans les poisons inoculés laissant « vénéneux » (< uenēnōsus) aux poisons ingestifs : le champignon est vénéneux et le serpent venimeux.
autres temps, autres mœurs …
Georges Brassens a écrit: | Aujourd'hui ça et là, les cœurs battent encore,
Et la règle du jeu de l'amour est la même.
Mais les dieux ne répondent plus de ceux qui s'aiment.
Vénus est faite femme, et le grand Pan est mort. |
(à suivre) |
|
|
|
 |
Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
|
écrit le Sunday 09 May 10, 11:12 |
|
|
Aspects latins de la racine *uen- « désirer, chercher à atteindre »
L'indulgence
Le latin (et d'autres langues eurindiennes) possédait un suffixe -yo- sur thème verbal, exprimant l'idée que l'action peut ou doit s'accomplir, l'abstrait correspondant s'exprimant par le féminin ou le neutre (Meillet et Vendryes, Traité de grammaire comparée des langues classiques, § 582). Même si la diathèse active est plus commune (furia « fureur », pluuia « pluie »), il semble bien que sur la racine *uen- « séduire » le dérivé uenia exprime une idée comme l'acceptation de cette séduction, non une réponse directe, mais une tolérance, une indulgence :
« parlez-moi d'amour, redites-moi des choses tendres, votre beau discours, mon cœur n'est pas las de l'entendre ».
Comme une femme à qui l'on fait sa cour, c'est ce qu'on demandera aux dieux : sinon d'exaucer immédiatement nos prières, du moins de les écouter d'une oreille favorable, pleine de mansuétude. Cest en tout cas ce que semblent être les usages du mot à Rome.
Avant d'adresser sa prière, on demande une écoute bienveillante :
ab Jove Opt. Max. ceterisque dis pacem ac veniam peto precorque ab iis, ut … « de Jupiter, le meilleur et le plus grand et des autres divinités, je demande calme et bienveillance et je les prie de … » (Cicéron, Rab. Perd. 2.5)
On trouve couramment uenia avec les verbes petō « demander, solliciter » et dō « donner, accorder » ou à l'ablatif ueniā dans des formules figées :
bonā ueniā « avec le bienveillant assentiment »
ueniā sit dicto en incise, équivalent de « soit dit sans offense »
Enfin de ces notions de bienveillance et d'indulgence, on arrive à celle de pardon :
errati ueniam impetrare « obtenir le pardon d'une faute » (Cicéron, Lig. 1.1)
Et au dérivé ecclésiastique tardif ueniālis (accent sur le ā) « pardonnable » qui donnera le français « véniel » pour caractériser les péchés (par opposition à ceux qui sont mortels) qui ne font pas perdre la grâce sanctifiante (sic). |
|
|
|
 |
Camelia
Inscrit le: 14 Jan 2008 Messages: 711
|
écrit le Thursday 05 May 11, 9:17 |
|
|
Citation: | Vēnātōrĭus, a, um : de chasse, de chasseur.
vēnor, āri, ātus sum : - intr. et tr. - 1 - faire la chasse, chasser, prendre à la chasse. - 2 - pêcher, prendre à la pêche. - 3 - être à la chasse, être à l'affût, être à la poursuite de, rechercher.
http://www.prima-elementa.fr/Dico-v02.html#venari |
En roumain nous utilisons ces formes pour dire:
a vâna - chasser
vânătoare - chasse
vânător - chasseur
vânat - gibier |
|
|
|
 |
Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11235 Lieu: Meaux (F)
|
écrit le Friday 10 Feb 17, 7:41 |
|
|
Outis a écrit: | En français, outre le nom commun vénus qui désigne une belle femme ou le coquillage Venus verrucosa (la praire), on possède une évolution phonétique régulière du génitif dans la ville de Port-Vendres < Veneris portus « port de Vénus ». |
Et aussi dans vendredi, "le jour de Vénus".
Ce petit ajout n'est qu'un prétexte pour inviter les Babéliens, à l'approche de la Saint-Valentin, à lire ou à relire cette magnifique étude qu'Outis avait consacrée à sa déesse préférée. |
|
|
|
 |
|