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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11166 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Tuesday 19 Apr 11, 9:15 |
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"Plus tard", non, deux siècles plus tard. Excusez du peu !
La question est : comment un mot latin qui n'avait aucune raison de devenir le nom d'une pièce de monnaie, un mot qui, comme nom, était bien connu avec le sens de "soufflet" ou de "sac", et comme adjectif avec le sens de "stupide", comment un tel mot aurait-il été choisi dans le lexique latin pour être aussi le nom d'une pièce de monnaie, dans une région du monde et à une époque où la langue officielle et dominante - et de loin ! - était le grec ?
Il est pour moi clair que le "follis" de Dioclétien est une invention simplificatrice de numismates et de collectionneurs du XIX siècle. Malheureusement, c'est devenu la source d'un malentendu. Il est tellement admis que cette pièce s'appelait "follis" qu'elle est "évidemment" l'ancêtre du phollis ultérieur.
Quand Rajki dit coin, il se réfère tout simplement à la réalité du lieu et de l'époque, puisqu'au 5e s. phollis désignait bel et bien une pièce de monnaie. Il n'invente rien ! Il ne dit pas que ce mot avait le sens de "pièce" à l'époque d'Homère ! Elle l'avait à l'époque où le mot a été emprunté par les Arabes. |
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Xavier Animateur
Inscrit le: 10 Nov 2004 Messages: 4087 Lieu: Μασσαλία, Prouvènço
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écrit le Tuesday 19 Apr 11, 9:19 |
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Le sens de follis n'est pas seulement un sac de monnaie, mais une valeur monétaire bien précise.
On sait alors ce que représente 1 follis. Ensuite, on a pu passer de la valeur au terme pour désigner la pièce.
Je ne vois rien d'aberrant. Mais il faudrait le point de vue d'un spécialiste de la numismatique.
Pourquoi écrit-on follis en latin ? et non phollis ? C'est une règle de l'ère byzantine ? |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11166 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Tuesday 19 Apr 11, 9:52 |
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Toute la question est là : quelle est l'histoire (sens et graphies) des noms latin follis et grec pholis entre 300 et 500 ? Tant qu'on n'aura pas répondu à cette question textes à l'appui, on ne pourra rien affirmer, ni dans un sens ni dans l'autre.
Voilà un bon sujet de recherche, s'il y a quelqu'un que ça intéresse ! |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3860 Lieu: Paris
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écrit le Tuesday 19 Apr 11, 9:58 |
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Papou JC a écrit: | Quand Rajki dit coin, il se réfère tout simplement à la réalité du lieu et de l'époque, puisqu'au 5e s. phollis désignait bel et bien une pièce de monnaie. Il n'invente rien ! Il ne dit pas que ce mot avait le sens de "pièce" à l'époque d'Homère ! Elle l'avait à l'époque où le mot a été emprunté par les Arabes. |
Tu me forces à me distraire de mon travail, mais excuse-moi d'insister ; je ne m'interroge pas sur "phollis" dont je sais très bien que cela veut dire "pièce" (n'ai-je pas cité Bailly à ta demande ?). Je m'interroge sur "pholis" avec un seul "l". Rajki saute manifestement une étape en disant que "pholis" signifie "pièce", à moins qu'il ne t'ait envoyé des pièces jointes qui l'attestent !
Le follis latin, pl. folles, est cité dans de nombreux auteurs latins à partir du IVe siècle, d'abord au sens d'une somme de monnaie (dérivé assez naturellement du nom du sac de cuir, le contenu désigné par le contenant, de même que la bourse désigne aussi bien le contenu que le contenant), puis plus tard d'une pièce de monnaie particulière, par, entre autres, Lamprosius, Augustin, Code Théodosien, Procope. |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Tuesday 19 Apr 11, 11:58 |
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Ces débats ne me passionnent pas plus que ça, ils concernent des périodes sur lesquelles j'ai bien trop peu de connaissances. Je voudrais quand même faire une remarque de méthodologie.
Ni le latin follis, ni les grecs φολίς ou φόλλιξ n'ont à entrer dans le débat. Ces trois formes sont des nominatifs, un cas qui cache bien des choses avec sa désinence -s qui masque souvent les consonnes thématiques. Or, quand il s'agit d'objets, le nominatif est un cas peu fréquent car les objets n'agissent que rarement. Avec le pognon, les verbes ordinaires sont prendre, donner, recevoir, voler, extorquer, accumuler, soutirer, dépenser, etc., verbes dont le pognon est régime ce qui implique normalement l'accusatif. Je rappelle qu'en français, par exemple, c'est bien le cas régime, l'ancien accusatif latin, qui est l'origine de la plupart des mots. Le cas sujet ne survit guère que dans des noms de personnes (Georges, gars, etc.). Reprenons donc !
— le grec φολίς cache un thème en dentale, son accusatif est φολίδα [folida]
— le grec φόλλιξ manifeste un thème en gutturale, son accusatif est φόλλικα [follika]
— le latin follis est un thème en i, son accusatif est follim
Ces remarques pour rendre évident que les emprunts ou les confusions entre ces trois mots, s'ils ne sont pas impossibles, sont moins faciles que le discours sur les nominatifs semblent le supposer.
Je signale aussi qu'en grec un grand nombre de thème en i ont été refaits analogiquement en dentale (Chantraine, Formation, § 270) mais que, autant que je sache, l'inverse ne se constate pas : dériver follim de φολίδα serait très audacieux !
Enfin, contrairement au grec moderne et au français correct, le grec ancien prononçait les consonnes doubles. La gémination expressive était connue (comme, en français, un journaliste prononçant « illlustre ») : les différences phonétiques entre folida et follika ne sont pas si négligeables … |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11166 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Tuesday 19 Apr 11, 12:52 |
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Tu as bien raison de nous rappeler tout ça. S'il y a une forme que les Arabes ont entendue et empruntée, c'est donc vraisemblablement celle de l'accusatif pluriel, folles. Des phrases figées du genre un sou est un sou ne pèsent pas lourd face à la multiplicité des emplois au pluriel des unités monétaires. C'est le meilleur argument en faveur d'une origine latine du mot.
Et si les textes écrits entre 300 et 500 le confirment, je n'ai plus qu'à reconnaître que j'étais effectivement sur une fausse piste, et Rajki aussi ...
Et il me faudra donc bien, finalement, ajouter une importante curiosité dans la famille BALLON !
Merci à tous les participants, et en particulier à Embatérienne, que je laisse volontiers retourner à son travail !
Dernière édition par Papou JC le Friday 06 May 11, 9:24; édité 1 fois |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11166 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 21 Apr 11, 16:36 |
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Ma question porte sur l'hellénisation du mot au Ve s. et sur sa déclinaison en grec. Le nominatif singulier ne pose pas de problème, c'est φολλις et l'accusatif singulier probablement φολλιν sur le modèle de πολις - πολιν mais j'ai oublié ce qu'était l'accusatif pluriel de πολις et ne peut donc en déduire l'accusatif pluriel de φολλις.
C'est important car c'est probablement l'accusatif pluriel grec qui, plutôt que l'accusatif pluriel latin, a été emprunté au VIIIe s. par l'arabe sous la forme fulūs qui a abouti à l'argot français flouze, flousse au milieu du XIXe s.
Merci d'avance pour vos réponses.
Dernière édition par Papou JC le Friday 06 May 11, 16:16; édité 1 fois |
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dubsar
Inscrit le: 07 May 2007 Messages: 448 Lieu: Altkirch (F68)
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écrit le Thursday 21 Apr 11, 18:45 |
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Je constate trois choses :
1. le latin follis ou les grecs phol(l)is(x) ont un -o- en première voyelle, pourquoi les arabes l'ont-ils entendu fals, pluriel fulûs (coquillage, écaille, sou), dialectal fulûs, fric, pognon ? Il faudrait que l'emprunt soit le pluriel/collectif avec un "singulatif" ?
2. l'arabe a un mot فِلْز، فِلِز filz, pluriel filiz, métal fondu, scorie.
3. l'hébreu a un mot פֶּלֶס peles, balance. En principe le sin de l'arabe devrait correspondre à shin de l'hébreu et non samekh.
Nonobstant la variation sur la 3ème consonne sifflante on trouve là quelques ressemblances. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11166 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 21 Apr 11, 19:07 |
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En fait je crois que les Arabes ont entendu l'accusatif pluriel de follis hellénisé en phollis. J'ai posé la question car je n'ai aucune idée de la forme que pourrait avoir cet accusatif. Si c'était "phollous", ce serait parfait. Les deux singuliers sont de fabrication arabe après emprunt d'un mot qu'ils ont assimilé à une forme de pluriel interne très courante dans cette langue.
Par ailleurs, quand on sait qu'ils ont aussi emprunté drachme et denarius, cet emprunt de follis / phollis n'est pas surprenant.
Enfin la conservation des consonnes est plus importante que celle des voyelles, souvent très floues en arabe, comme tu sais. Je crois donc plus à un emprunt de radicales FLS qu'à un FLS qui serait apparenté à un FLZ d'ailleurs lui-même emprunté à l'hébreu ou à l'araméen, si l'on en croit Rajki :
Citation: | filizz : metal, brass [Heb peliz, Ara pliza] Per felezz borrowed from Ar |
Je profite de l'occasion pour saluer le travail de Rajki, qui a au moins le mérite d'exister : c'est le seul dictionnaire en ligne d'étymologie de l'arabe, peut-être même le seul dictionnaire étymologique tout court de cette langue. Et il nous a déjà rendu souvent service. Errare humanum est.
Dernière édition par Papou JC le Friday 06 May 11, 16:17; édité 1 fois |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Thursday 28 Apr 11, 12:27 |
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Voici l'article du Liddle-Scott sur cet emprunt grec au latin :
Citation: | φόλλις , εως, ὁ, Lat.
A. follis, bellows, AP9.528 (Pall.).
II. a small coin, 1/288 of a solidus, OGI521.24, al. (Abydos, v/vi A.D.), Procop. Arc.25, Suid., Eust.136.13.
III. property-tax, Zos.2.38, Cod.Just.12.2.2. |
Ces diverses sources ne sont pas d'accès facile et je n'ai pas le courage d'aller en BU pour voir s'il n'y aurait pas par chance un accusatif pluriel.
Cependant, l'accentuation et l'indication d'un génitif singulier en -εως laisse à penser que l'intuition de Papou était juste et que l'emprunt a été assimilé au modèle de πόλις, modèle qui dans le dialecte attique (généralisé à cette époque) a la forme πόλεις où la graphie ει notait un e long fermé qui déjà à cette époque devait avoir subi un iotacisme et perdu corrélativement sa longueur. Donc quelque chose entre ē et ĭ.
Hélas, je ne vois vraiment pas comment on peut, partant de çà, arriver à l'arabe fulūs et il vaut mieux supposer que c'est le génitif singulier φόλλεως qui a servi de base à l'emprunt. Ce n'est pas impossible car, en grec ancien, l'indication de prix se faisait au génitif (dit « de prix ») :
ταλάντου (gén. sg.) τὸν δοῦλον (acc. sg.) ἐπρίατο « il a acheté son esclave un talent »
(cp. angl. twenty pounds' worth). Bien sûr, il faudrait des documents pour confirmer une telle hypothèse … |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3860 Lieu: Paris
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écrit le Thursday 28 Apr 11, 14:09 |
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Outis a écrit: | Hélas, je ne vois vraiment pas comment on peut, partant de çà, arriver à l'arabe fulūs |
L'arabe fulūs peut s'expliquer de manière interne, puisqu'il s'agit d'une forme très classique de pluriel arabe interne à partir du singulier "fels". Reste à trouver la trace de ce "fels" à partir du latin ou du grec. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11166 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 28 Apr 11, 14:18 |
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Merci Outis, tu as raison avec le complément de prix au génitif, c'est effectivement une information capitale, mais qu'aurait été ton exemple si l'esclave avait coûté trois talents au lieu d'un ? En d'autres termes utilisait-on toujours le génitif singulier avec un nom de nombre, quel qu'il soit, ou le génitif pluriel dès que le coût dépassait l'unité, ce qui devait arriver souvent ! Tu vois où je veux en venir : si la forme de ce mot qui résonnait le plus souvent au oreilles n'était pas celle de l'accusatif pluriel, alors c'était celle du génitif pluriel ... sauf si le nom de monnaie restait au singulier, la charge "pluriel" étant portée par le nom de nombre.
@Embatérienne : Je crois que la forme singulier a été inventée par les Arabes à partir du pluriel, et non l'inverse. Le cas n'est pas isolé dans les emprunts : nous avons vu cela à propos de "Copte", je crois, singulier fabriqué sur "Aqbāt", mot égyptien singulier mais ayant une forme de pluriel arabe.
Nous faisons d'ailleurs la même chose avec les mots arabes : nous disons, par exemple, "un taliban", alors que "taliban" est un pluriel. Le cas n'est pas isolé non plus. Il serait d'ailleurs intéressant d'ouvrir un fil sur ce sujet : "Les emprunts qui changent de nombre en passant d'une langue à l'autre". |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3860 Lieu: Paris
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écrit le Thursday 28 Apr 11, 15:29 |
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Papou JC a écrit: | Je crois que la forme singulier a été inventée par les Arabes à partir du pluriel, et non l'inverse. |
C'est possible, et l'inverse aussi ! Difficile à dire tant qu'on n'a pas d'informations plus précises.
Papou JC a écrit: | Nous faisons d'ailleurs la même chose avec les mots arabes : nous disons, par exemple, "un taliban", alors que "taliban" est un pluriel. |
Citons plutôt le "touareg" (puisqu'on n'utilise pas souvent "un targui").
Parce que "Taliban", c'est spécial, ce n'est pas à proprement parler un mot arabe mais un mot pachto (lui-même emprunté à l'arabe, bien sûr). Le pluriel arabe régulier de "Talib" est "Tullâb"."Taliban" est la forme du pluriel en pachto. "Taliban" pourrait bien sûr être un duel en arabe, mais il n'y aurait aucune logique là-dedans. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11166 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 28 Apr 11, 16:05 |
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J'ai une vague intuition qu'il y a, en français, plus de pluriels pris pour des singuliers que l'inverse, mais ce n'est qu'une vague intuition.
Je n'ai d'ailleurs aucun exemple à proposer de singulier pris pour un pluriel ...
Et qu'en arabe, c'est le contraire : dès qu'un mot étranger a une forme qui ressemble à un pluriel interne, il est pris pour un pluriel auquel il faut fabriquer un singulier de toutes pièces, mais c'est une opération facile pour la langue arabe. |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Thursday 28 Apr 11, 17:05 |
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Papou JC a écrit: | … utilisait-on toujours le génitif singulier avec un nom de nombre, quel qu'il soit, ou le génitif pluriel dès que le coût dépassait l'unité … |
Avec le pluriel, voici un exemple littéraire pris à Xénophon (Mémorables, 2,1,20) :
Τῶν πόνων || πωλοῦσιν || ἡμῖν || πάντα τ' ἀγαθ' || οἱ θεοί
[Au prix] de peines || ils vendent || à nous || tous les bienfaits || les dieux
(ne pas voir peine ici au sens de pénal mais à celui de pénible)
Et un de Platon (Apologie de Socrate, 20b) :
Πόσου || διδάσκει ; || - Πέντε μνῶν
[Au prix] de combien || enseigne-t-il ? || — [Au prix] de cinq mines
Et, pour ce qui nous intéresse ici, ça donnerait φόλλεων. Mais, bien sûr, rien ne dit que ce φόλλις, dans les milieux où l'arabe a pu l'emprunter, était perçu comme une unité monétaire (tels drachme, franc, etc.) susceptible de pluralité et non comme un générique (tels du blé, de l'oseille, etc.) qui n'accepte que le singulier. Autrement dit, a-t-il eu une valeur (même quand il n'en a plus, notre sou garde le pluriel dans « Patron, des sous ! ») ou n'était-il que de la monnaie ? |
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