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כעלעמער חכמימ / di khelemer khakhomim / les Sages de Chelm - Cultures & traditions - Forum Babel
כעלעמער חכמימ / di khelemer khakhomim / les Sages de Chelm

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rejsl
Animatrice


Inscrit le: 14 Nov 2007
Messages: 3664
Lieu: Massalia

Messageécrit le Saturday 26 Jan 13, 23:14 Répondre en citant ce message   

Chelm est une ville réelle, située en Pologne , non loin de Lublin. La présence d'une communauté juive de langue yiddish y est attestée dès le XIVème siècle, elle y fut même importante comme dans bien d'autres bourgades de la région.

Dans la culture yiddish, Chelm et ses habitants devinrent objets de multiples histoires et plaisanteries qui se transmettaient oralement dès le 18.siècle avant que des conteurs et écrivains ne les recueillent, les mettent par écrit et même se les approprient. Le thème parcourt le temps, les pays où ont vécu ou vivent les Juifs ashkénazes, il y a les contes oraux, les bons mots, les ouvrages littéraires dont celui de Isaac Bashevis Singer, le seul auteur yiddishophone récompensé d'un prix Nobel ( כעלעמער חכמימ, di khelemer khakhomim, les Sages de Chelm)
On a souvent comparé les histoires juives sur Chelm aux plaisanteries faites à propos des Béotiens, des Schildbürger pour l'Allemagne, Gotham pour l'Angleterre ou Kocourkov pour les Tchèques. Effectivement, on peut dire qu'il y a là un aspect universel, celui de la moquerie envers l'autre, auquel on attribue tous les défauts, la bêtise en particulier. On retrouve ces moqueries entre villes et villages certainement dans la plupart des pays, la plupart des cultures.

Mais au delà, ces histoires représentent quelque chose de plus profond dans cette culture, un humour, une sorte d'autodérision qui est intrinsèque à ce qu'on appelle la Yiddishkeit.

Au fond, Chelm, celle des histoires juives, est une ville imaginaire, sans rapport avec la réalité. Les non-juifs en sont absents, comme s'il avait existé quelque part dans le Yiddishland une bourgade avec une administration, un conseil, des dirigeants, des habitants uniquement juifs, tous vivant selon les préceptes de la religion israélite et ne parlant tous que le yiddish.

Ces Chelmer ne sont pas des idiots, des simples d'esprit, ils sont au contraire avides de savoir, de connaissance et mettent la Sagesse, ( selon le concept biblique) חכמה, khokhme en yiddish, au-dessus de tout.

La ville est dirigée par le Conseil des Sages; pour chaque problème , il est d'usage de convoquer une אַסיפֿע, une asife , une assemblée.( Le terme revient comme un leitmotiv dans toute histoire sur la ville de Chelm.) Ceci, pour éviter les décisions prises à la va-vite, inconsidérément. Tout est discuté, pesé, réfléchi.

Comme il se doit, ses habitants ne sont pas ignorants, ils étudient comme ceux des autres villes, les textes sacrés , la Torah, ainsi que les commentaires rabbiniques, la Gémara. Pourtant, malgré toutes ces précautions , ces démarches qui devraient ( selon le point de vue du judaïsme traditionnel, bien sûr, qui voit dans l'étude des textes sacrés le moyen de résoudre tout problème de la vie) leur éviter des déboires, ils vont à chaque fois , systématiquement, passer à côté d'un élément essentiel, ils suivront une logique interne, étroite, qui les fera aboutir à un résultat erroné, grotesque souvent, cependant qu'ils resteront convaincus d'avoir agi sagement et d'être des khakhomim, des Sages.

Traduits en français, ces textes sont parfois présentés comme destinés aux enfants, pour le côté cocasse, l'étrangeté des situations et la structure du récit qui est souvent celle d'une fable. Parmi les yiddishophones il en va autrement, ces histoires sont racontées, évoquées avec plaisir entre adultes et les auteurs et poètes sont plutôt lus par les grands.

Bien souvent, ces histoires soulèvent une question qui touche aux interrogations profondes, l'identité, le qui suis-je, le Bien et le Mal, la morale... Et malgré les conclusions erronées, malgré la naïveté , voire la bêtise apparente de ces Sages , chacun sait qu'il y a en lui-même une part de Chelmer. Tous partagent au fond cette quête permanente et vaine ( comme toute quête) d'une sagesse biblique hors de portée du commun des mortels, un idéal impossible à atteindre qu'on continuera tout de même à chercher. Ces Chelmer sont moqués et aimés en même temps, ils sont la petite épine qui rappelle à tous la modestie.

Avant de mettre en ligne sur ce fil, de temps en temps, quelques textes que je tenterai de traduire, une chanson populaire du répertoire yiddish , interprétée ici par les Barry Sisters, Tshiribim-Tshiribom , une version ancienne donc. Ce chant est repris par des groupes klezmer modernes, comme ici, dans le genre metal.

Le passage qui concerne Chelm et qui illustre mon propos:

Citation:
מע זאָגט אַז אין דעם שטעטל כעלעם
לעבן נאָר נאַראָנימ
אױב מיר זײנען די קליגע
האָבן מיר אַ שײנעם פּנים

איך הער זײ לאַכן טאָג און נאַכט
צו להכעיס די גזלנים
זאָגט װער זײַנען נאַרישע
? און װער זאַנען די חכמים


= Me zogt az in dem shtetl Chelem
Lebn nor naronim
Oyb mir zaynen di klige
Hobn mir a sheynem ponim

Ikh her zey lakhn tog un nakht
Tsu lehakhes di gazlonim
zogt ver zaynen di narishe
Un ver zaynen di khakhomim ?



Traduction : On dit que dans le shtetl Chelm
Ne vivent que des simplets
Si nous sommes les intelligents
Nous avons bonne figure!

On me dit qu'ils rient, jour et nuit,
Pour braver les brigands,
Dites-moi donc qui sont les benêts
Et qui sont donc les Sages?


On trouve pour chacune des histoires plusieurs versions, des variantes. Dans ces anecdotes, les personnages peuvent changer, le détail des évènements aussi, seul reste constant, à chaque fois, le fond.

Un des thèmes sera, par exemple, la recherche de cette fameuse sagesse (חכמה = khokhme ) dont parlent les textes saints.

אשרי אדם מצא חכמה = Heureux l'homme qui a trouvé la sagesse ( Proverbes 3, 13)

Les Chelmer prennent à coeur cette phrase. Lors d'une asife, d'une assemblée, ils en arrivent, après de longues discussions, à penser que malgré leurs efforts, il leur manque certains éléments. Ils vont choisir un délégué qu'ils enverront dans le monde, à charge pour lui d'aller dans les différentes communautés, de questionner, observer et surtout trouver et ramener cette khokhme ou du moins quelques bribes. Commence alors un parcours initiatique à la recherche de la sagesse. Dans la plupart des versions, notre homme ne va pas très loin, Lublin, Varsovie tout au plus. Où la trouver si ce n'est dans le lieu de prières et d'études, la synagogue?

Le shames ( sorte de bedeau) va interroger ce Juif inconnu qui semble venir de loin, respectant les règles de l'hospitalité. Lorsqu'on lui demande ce qu'il vient chercher ainsi, la réponse fuse, naïve et directe " la sagesse! Sais-tu où je peux la trouver?"

Le shames, amusé, le prend aussi en pitié, et lui répond : " ne vas pas plus loin, je vais t'aider et t'offrir une «sagesse » " Et le voici, lui proposant une énigme, digne (ou presque) de celle du Sphinx Clin d'œil

" C'est le fils d'un père, le frère de deux soeurs, le mari d'une épouse et pourtant, en soi, par lui-même, il n'est rien. Qui est-ce? "

Notre Chelmer a beau réfléchir, non, il ne voit pas. Lassé, le shames, {qui voulait l'amener à penser sur le peu d'importance que l'homme doit porter sur sa propre personne ou du moins lui faire prendre conscience que l'individu ne devient quelqu'un qu'à travers le rôle, l'aide, le lien qui le lie aux autres, bref l'amener à devenir un Sage} , lui répond " Je suis celui-là, c'est moi. "

Et le Chelmer de rester sans voix devant une tel éclaricissement, de noter la réponse consciencieusement dans sa mémoire et de s'en retourner avec son bien précieux à Chelm. On l'accueille, on attend avec impatience et désir de savoir l'apport de la sagesse. Notre Chelmer prend le ton de circonstance et pose, l'air grave, l'énigme à ses concitoyens. Ils réfléchissent mais n'entrevoient ni le sens de la question ni la solution, comme on pouvait s'y attendre. Qui peut bien être tout cela à la fois, père, frère et mari et rien par lui-même?

Alors, devant son auditoire, respectueux et attentif, notre homme annonce " C'est le shames de la synagogue de Lublin " .

C'est ainsi que les Chelmer se sentirent tous heureux, vraiment!


Voir le MDJ חכמה,(ḥakmah)
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embatérienne
Animateur


Inscrit le: 11 Mar 2011
Messages: 3862
Lieu: Paris

Messageécrit le Sunday 27 Jan 13, 10:38 Répondre en citant ce message   

Passionnant. Merci rejsl.
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rejsl
Animatrice


Inscrit le: 14 Nov 2007
Messages: 3664
Lieu: Massalia

Messageécrit le Saturday 18 Jan 14, 0:12 Répondre en citant ce message   

Une autre histoire de Chelm, différente dans la mesure où elle ne met pas en cause le fonctionnement collectif de la ville, encore que...

Celle-ci concerne un seul de ses habitants, pas d'assemblée, pas de réflexion ou délibération. La ville a inauguré, il y a peu, un mikvé, un établissement de bains, flambant neuf et moderne. Rien à voir avec les thermes romains, mais un lieu d'importance pour une communauté juive traditionnelle. l'hygiène corporelle est considérée comme un commandement de Dieu, une mitsva, elle est liée à la purification, aussi à dates fixes les hommes ou les femmes ( séparément) sont tenus de s'y rendre pour se prêter au bain rituel. Mais ensuite, il y a les salles où l'on se réchauffe, le bain de vapeur, la possibilité de discuter, de passer un moment ensemble. On y reproduit donc finalement ces rapports sociaux si importants dans tout milieu humain, chaque groupe ayant, bien sûr, ses propres codes.


Reb Eliezar Shlom était un homme respecté, un nanti, un homme de bien, respectant les coutumes et les règles de la vie religieuse, un modèle pour bien des Chelmer, on le reconnaissait de loin, les bottes vernies toujours brillantes, le manteau de fourrure imposant et le shtreimel de zibeline. Les gens le saluent toujours bien bas, lui cèdent la place où qu'ils aillent et viennent lui demander conseil et aide, c'est selon...

Oui mais, la coutume exige qu'au mikvé, dans l'établissement de bain, on soit nu, nu comme un ver, afin de purifier son corps. Mais alors, pense notre Eliezar, comment pourrai-je tenir mon rang, comment ces braves gens vont-ils me reconnaître sans mes bottes, mon manteau d'astrakan et mon shtreimel de zibeline. Je ne serai donc plus personne?!!!

Une idée insensée, impossible même à concevoir! Un Juif n'existe que par son rôle dans sa communaiuté, dans sa famille, auprès des siens, par son rôle religieux...Et notre Eliezar de se morfondre, sombre et soucieux, jusqu'au moment où la solution s'imposeà lui, d'une simplicité lumineuse.
Il va s'attacher au mollet un petit cordon de fil rouge et le fera savoir! Ainsi, tout un chacun à Chelm, même dans le plus simple appareil, saura à qui il parle, quel homme respectable et respecté il voit et côtoie.

Aussitôt dit, aussitôt fait! Et le voici, paradant , fier de son corps et du fil rouge à son mollet, convaincu de lui devoir la déférence dont font preuve, comme à l'accouumée, les diverses personnes de sa connaissance.
Arriva ce qui devait arriver: l'eau glisse le long des jambes, ruisselle et coule, le fil rouge part à la dérive sans que notre riche benêt ne remarque la chose. Rien ne se perd sur Terre, un autre s'en empare, farceur, et s'empresse de se l'enfiler lui-même autour du mollet.
Rencontre des hommes, le notable en tenue d'Adam, l'autre tenant le galon à la jambe. Stupeur d'Eliezar, sourire entendu de Shmuel, le plaisantin! Qui pousse son avantage et questionne : "Dis-moi , Reb Juif, me reconnaîs-tu? "

Pauvre Eliézar, malheureux qu'il est! comment ne reconnaîtrait-il pas l'homme qui porte le fil rouge à la patte? n'a-t-il pas informé en personne tous les membres de l'établissement de bain qu'il serait, lui Eliézar, ainsi rconnaissable? Ce qui est dit est dit, nul ne peut donc en douter!

- "Eh oui, je te reconnais, ô noble Eliézar, toi qui portes dignement le cordon rouge à ton genou, signe du respect profond que nous éprouvons tous pour toi, pour ton aide précieuse en toute circonstance et grande sagesse . Un vrai enfant de Chelm, un dont nous sommes si fiers! "


"Oh oui, tu es Reb Eliézar Shlom, et je te salue. "
Et notre homme ex-Eliézar, de se recroqueviller ensuite, décomposé, les chairs et la tête tremblantes, osant enfin formuler la question existentielle : " Mais alors, mais alors... Qui suis-je, MOI? "

Une question dont seul le regretté Rachi , mort en 1105 à Troyes en Champagne, aurait bien sûr pu résoudre l'énigme sourire
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rejsl
Animatrice


Inscrit le: 14 Nov 2007
Messages: 3664
Lieu: Massalia

Messageécrit le Saturday 18 Jan 14, 15:24 Répondre en citant ce message   

Juste un complément à propos de l'histoire précédente : le sage de Chelm au mitkvé:

On trouvera, bien sûr, des histoires anecdotiques amusantes dans bien d'autres exemples où les habitants d'un lieu sont objets de plaisanteries portant l'accent sur la bêtise. Pourtant, comme déjà évoqué, ce qui est particulier dans ces récits de Chelm, c'est le double aspect, antynomique en apparence seulement: celui d'être en lien profond avec les questionnements du judaïsme, culture et religion particulière, et en même temps de poser des questions universelles auxquelles chacun peut, à un moment de sa vie, être confronté.

Ici, à propos de cette petite histoire particulière, deux exemples:

a) un site juif très religieux ( mouvement hassidique loubavitch) où l'on part de ce conte pour tenter d'apporter une réponse d'ordre spirituel.

Citation:
Vous vous rappelez du « sage » de Chelm et de son problème ? Il craignit qu’en se rendant au bain public où tout le monde est déshabillé, il ne sache plus qui il est. Sans ses habits qui le distinguent des autres, il pourrait souffrir d’une crise d’identité. Alors il conçut un plan. Il attacha un fil rouge à son gros orteil de sorte que, même au bain public, il demeurerait différent. Hélas, en prenant sa douche, l’eau et la mousse détendirent la ficelle qui glissa de son orteil. Pire encore : le fil rouge flotta jusqu’à la douche suivante et s’enroula autour du gros orteil du bonhomme qui s’y trouvait.

Soudain, notre génie de Chelm s’aperçut que sa ficelle n’était plus là. Il se mit à paniquer, en proie à une sérieuse crise identitaire. C’est alors qu’il vit que son voisin portait son fil rouge. Sur quoi il se planta devant lui et lui cria « Je sais qui tu es, mais moi, qui suis-je ?
»


La réponse qui n'engage que ce rabbin est ici: Vous êtes une âme!

b) Un article du Cairn, revue scientifique, où il est question de l'identité, question abordée sous l'angle de la psychanalyse. Article intitulé " Dis-moi, et moi, qui suis-je?"

Citation:
Un habitant de Chelm s’en va, pour oublier la fureur du temps, se détendre aux bains publics. Une fois dévêtu, il s’inquiète : « Ici tout le monde est nu. Pas moyen de se reconnaître. Je n’ai aucun signe distinctif et risque facilement d’être confondu. » Il décide de nouer un fil rouge à sa jambe droite. Sous la douche, le fil se détache et un autre habitant de Chelm, également très intelligent et fuyant la fureur du temps, se l’attache pareillement à la jambe droite. Le premier le rencontrant : « Je sais qui tu es. On t’a confondu avec moi – Mais dis-moi, et moi, qui suis-je[1] { [1] D’après Max Kohn, « Freud et la bêtise de Chelm »}...
suite ? »
2 Qu’en conclure pour cette fois ? Qu’on ne décide pas seul de son identité ? Que l’identité se construit dans un rapport à l’autre ? Qu’elle ne peut se réduire à un signifiant ?


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