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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Thursday 08 Feb 18, 9:08 |
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Jacques Rivière a écrit: | ... le symbole n'a pas besoin d'être absolument adéquat à ce qu'il symbolise. Ce qui est exquis, c'est justement de le voir s'en détacher et prendre une vie propre, mais qui ne cesse pas d'être transparente. | (lettre à Alain-Fournier, mars 1906) |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11198 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 08 Feb 18, 9:23 |
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Intéressant, mais si c'est la réponse à mes questions, c'est un peu faiblichon... On t'interroge sur le signifiant et tu réponds sur le signifié. |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Thursday 08 Feb 18, 11:14 |
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Je ne te répondais pas, j'ajoutais une contribution au mot du jour. Simplement … |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11198 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Saturday 10 Feb 18, 11:06 |
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Papou JC a écrit: | Je pourrais prendre les mots de ton post un par un, mais les trois premiers suffiront :
- critique : notion abstraite. Les Anciens ont fabriqué ce mot à partir d'un autre qui signifiait crible ou le contraire ?
- méthode : notion abstraite. Les Anciens ont fabriqué ce mot à partir d'un autre qui signifiait route ou le contraire ?
- explication : notion abstraite. Les Anciens ont fabriqué ce mot à partir d'un autre qui signifiait pli ou le contraire ?
J'espère que tu répondras clairement et nettement. |
Je crains que nous n'ayons jamais la réponse... Ça m'apprendra à "tomber dans un travers grave". |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Monday 19 Feb 18, 1:22 |
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Pour madame Vinciane Pirenne-Delforge, nouvelle titulaire de la chaire de religion grecque du Collège de France, symbole et signe sont les deux traductions possibles du grec σημεῖον, ainsi qu'elle le présente dans sa leçon du 8 février 2018, intitulée « Le mot et la chose : polythéisme », à propos d'un passage des Suppliantes d'Eschyle (vers 218, où Danaos accompagné de ses filles, les 50 Danaïdes, cherche un sanctuaire pour s'y réfugier) :
Δαναός : ὁρῶ τρίαιναν τήνδε σημεῖον θεοῦ.
Danaos : je vois ce trident, signe/symbole du dieu.
Le dieu en question est, bien sûr, Poséidon. Quant à la vidéo de la leçon, elle est déjà disponible sur le site du Collège de France. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11198 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Monday 19 Feb 18, 4:14 |
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Il y a, à mon avis, une troisième traduction possible : la marque, bien que ce sens soit plutôt celui de στίγμα [stígma] « piqûre » et spéc. « piqûre au fer rouge ». D'où le fr. stigmate. (Voir le MDJ étiquette).
Ces trois mots sont évidemment des parasynonymes. C'est toujours d'une marque distinctive qu'il s'agit, d'une forme de dénomination.
Dire "trident" ou dire "Poseídon", c'est un peu accomplir le même acte, à savoir nommer le dieu, le désigner. C'était une opération indispensable, à l'époque de l'analphabétisme généralisé, que d'accompagner de leur marque distinctive les personnages statufiés que personne n'avait jamais vus, ni en réalité, ni en peinture, ni en photo. Sinon, comment distinguer Poséidon de Jupiter ?
Ce qu'il serait intéressant de savoir, mais peut-être le dis-tu ailleurs, c'est la raison de l'équivalence "trident = Poseídon". Quel rapport entre cet objet et ce qu'on sait de la "personnalité" de ce dieu, si je puis dire ? Pourquoi un trident et pas une faucille, ou un marteau ?
(Petit apparté au sujet de la nouvelle dame du Collège de France. À la 25e minute de sa leçon inaugurale - écoutée par erreur à la place de celle indiquée par Outis - elle parle de paganisme et d'idolatrie comme étant des termes "d'origine latine". Bon, je sais, elle a dit ça pour faire court, car idolatrie vient d'un mot grec latinisé, comme chacun sait et elle la première, mais enfin, dans une leçon inaugurale, je pense que ce lapsus linguae a dû surprendre un certain nombre des éminences présentes. Mais bon, on va pas en faire une histoire, d'autant plus que la dame est belge. Belle, savante, et éloquente aussi.) |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Monday 19 Feb 18, 9:44 |
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Je ne peux répondre qu'en quelques mots, je n'ai pas le temps de débattre.
• le sens de marque est voisin mais, pour moi, il ajoute une relation d'appartenance : se faire tatouer un trident indiquerait à un degré variable comme une soumission au dieu, comme un statut d'oblat.
• oui, le grand bronze du musée d'Athènes (voir ici) a longtemps été ambigu (Zeus ou Poséidon ?) puisqu'il y manquait le trait, foudre ou trident ? Je crois qu'aujourd'hui on a plutôt opté pour le second, ce qui a toujours été mon sentiment, peut-être en raison de la nudité ?
• Poséidon, dieu inquiétant, souvent punisseur, est couramment symbolisé par l'instabilité du sol dont il est l'époux violent. Cette instabilité se manifeste dans ses trois domaines principaux, dieu des séismes, dieu du char de combat attelé et dieu de la haute mer. D'un côté, il est le cheval (pour séduire Déméter, par exemple), d'un autre il est le marin. Ce dernier trait lui fournit une arme et, même si le 3 se suffit symboliquement à lui-même, tous les pêcheurs savent bien qu'un poisson se dégage plus difficilement d'un trident que d'une simple flèche, il ne suffit pas de le tuer, il faut aussi le ramener … |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11198 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Monday 19 Feb 18, 10:22 |
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1. marque : j'ai bien dit "parasynonyme". Signe non plus n'est pas synonyme de symbole. Un symbole est un signe parce qu'on a socialement décidé qu'il en serait un. Tous les symboles sont des signes, mais tous les signes ne sont pas des symboles.
La marque n'est pas toujours réelle, elle peut être virtuelle, comme le symbole et donc comme le signe. Mais il est clair qu'elle a d'abord été bien réelle, et douloureuse.
Mes remarques sur ces trois mots n'appellent aucun débat.
2. Merci pour l'explication concernant le trident, qui est donc à la base un outil de pêcheur. Pour un dieu de la mer, le signe est clair.
Pourrait-on en savoir plus sur ce que Danaos voit exactement : un vrai trident de pêcheur, un trident peint, un trident sculpté, gravé ? Sur quel support ? Merci d'avance pour la réponse. |
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Ion Animateur
Inscrit le: 26 May 2017 Messages: 306 Lieu: Liège
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écrit le Monday 19 Feb 18, 11:00 |
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Complément pour le trident de Poséidon.
Le trident est utilisé dans la pêche aux gros animaux marins (thons…). Il est assez naturel qu’il soit devenu l’arme de Poséidon, dieu de la mer mais aussi des poissons et de la pêche.
Eschyle, Les Sept contre Thèbes, 131 : Poséidon est qualifié d’ ἰχθυβόλος qui « frappe les poissons » ;
Lucien, Piscator, 47 : il est ἀγρεύς « pêcheur » ;
Anthologie palatine, 6, 38 : partant à la retraite, un vieux pêcheur consacre son matériel à Poséidon, notamment κητοφόνον τρίαιναν, son « trident tueur de kêtoi » (gros animaux marins, thons etc.) ;
Varron, r.r., III, 17, 2 : Neptunus […] aquam et piscis ministrat « Neptune a la charge de l’eau et des poissons ». |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Monday 19 Feb 18, 11:16 |
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2. Qui veut bien me prêter sa chronomobile ? Ça me plairait bien un petit voyage à Athènes en 466 (?) pour assister à la première représentation des Suppliantes ! On n'en a pas gardé de photographies et la scénographie en est donc hélas inconnue. Par quel symbole y représentait-on le symbole du Dieu ?
Eschyle, c'est les tout débuts du théâtre, même si ce n'est pas la nuit des temps. Et le théâtre, ce n'est pas la réalité mais du mythe (qui, d'ailleurs, n'est pas plus la réalité) joué « pour du semblant » comme disent les enfants.
Alors ? Une toile peinte ? Sous quelle forme ? Attention à signifier sans profaner ! J'ai vu une reprise de cette pièce à Épidaure (avec une musique de Théodorakis et en sa présence) mais c'était il y a longtemps et je me souviens surtout du chœur des Danaïdes, sortant de la forêt avec torches et rameaux de suppliantes, l'orchestra était nue, libre aux évolutions dansées, et si je ne me souviens plus très bien du décor de la skênê : pas de statues dans ma mémoire ….
Et, s'il fallait faire « vrai », les statues des quatre dieux (Zeus, Apollon, Poséidon et Hermès) n'auraient guère été plus que des xoana (souvent aniconiques) portant des signes simples puisque le texte précise « un Hermès à la mode des Grecs » [Ἑρμῆς … τοῖσιν Ἑλλήνων νόμοις], peut-être un simple pilier portant un phallos comme il y en avait à tous les coins de rue. La seule question légitime me semble être : comment s'y prenait le scénographe s'il voulait illustrer le texte à l'intention des spectateurs ? Mais nous savons bien qu'une telle illustration n'était nullement nécessaire : les acteurs parlaient et les spectateurs, même analphabètes, avaient aussi des oreilles … |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11198 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Monday 19 Feb 18, 11:38 |
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Les acteurs portaient des masques, et je suppose que ces masques étaient signifiants. Il fallait donc aussi ouvrir ses grands yeux quand on allait au théâtre.
Pour le trident, je voulais simplement savoir si le texte lui-même donnait quelque indice. Apparemment non. Voilà, c'est tout. Merci ! |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Tuesday 13 Mar 18, 11:59 |
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Sur la façon dont fonctionne le symbole, voir la réponse de Picasso au galleriste Daniel-Henry Kahnweiler qui l'interrogeait sur le sens de la présence d'un taureau et d'un cheval dans son célèbre tableau Guernica : Citation: | Ce taureau est un taureau, ce cheval est un cheval. Il y a aussi une sorte d'oiseau, un poulet ou pigeon, je ne me souviens plus, sur la table. Ce poulet est un poulet. | Bien sûr, on ne voit pas bien la table. Ni le poulet, ni la colombe. Qui empêchera Pablo de parler de colombes ? Le père de Paloma en a tant dessiné sur les affiches du Mouvement de la Paix. Mais il poursuit, et c'est là que je veux en venir : Citation: | Bien sûr, les symboles…
Mais il ne faut pas que le peintre les crée ces symboles, sans cela il vaudrait mieux écrire carrément ce que l'on veut dire, au lieu de le peindre. Il faut que le public, les spectateurs, voient dans le cheval, dans le taureau, les symboles qu'ils interprètent comme ils l’entendent. Il y a des animaux : ce sont des animaux, des animaux massacrés. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11198 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Tuesday 13 Mar 18, 12:42 |
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Je crois avoir enfin compris ce que tu veux dire. Tout signe ou symbole, toute marque signifie : "la vision de X (signe, symbole, marque) devrait normalement déclencher chez moi la pensée de Y". En fait, il s'agit d'une association entre un objet concret et une notion abstraite, un peu comme fonctionne un aide-mémoire. Il n'est alors effectivement pas nécessaire que le mot symbole ait eu à lui tout seul, pour avoir une raison d'exister, le sens concret de "objet cassé en deux". N'importe quel signe ferait l'affaire, y compris un tatouage dans le dos, une bague au doigt ou un foulard bleu autour du cou. Ce qui n'exclut évidemment pas que l'objet cassé en deux ait eu lui aussi la même fonction. Mais ça n'assure pas pour autant l'origine du mot symbole.
(Je comprends vite mais il faut m'expliquer longtemps...) |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Tuesday 13 Mar 18, 18:42 |
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C'est un peu ça, mais je vais plus loin que toi. Oui, symboliser, comme son étymologie l'indique, c'est « aller avec », mais ce qui est essentiel, c'est que — contrairement à cet impudent objet brisé — ce n'est pas univoque. Il y a du flou, de la liberté. Le cheval comme le taureau sont, au niveau du symbole, polysémiques. Pour certains ils seront signes de puissance, pour d'autres de fierté ; il y aura des spectateurs qui verront dans le taureau la brutalité des franquistes, et d'autres la résistance du peuple, d'autres encore sa douleur. L'essentiel, c'est que, comme les femmes et les enfants du tableau, ils montrent l'horreur de la guerre, ce sont des animaux massacrés. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11198 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Tuesday 13 Mar 18, 19:00 |
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Oui, bien sûr, chacun interprète le symbole à sa façon. Pour les marques et les signes, il y a moins de liberté, ou pas de liberté du tout (cf. la signalétique routière). C'est là où la dame du Collège de France se risque à considérer signe et symbole comme synonymes.
Cela dit, il doit bien y avoir des symboles qui font plus ou moins l'unanimité, ou qui ont une interprétation principale, majoritaire, par exemple
Le myrte, symbole de l'amour, le laurier, symbole de la guerre, l'olivier, ce bêta, symbole de la paix (Hugo, Misér., t. 2, 1862, p. 319) (TLF)
Une autre différence : je dirais qu'un symbole est surtout la représentation d'une abstraction, d'un sentiment, d'une valeur morale, de puissance, de fierté, pour reprendre les deux notions que tu as choisies, etc.
Poséidon n'étant pas une abstraction, je crois qu'il vaudrait mieux dire que le trident est son signe ou mieux encore (au moins pour moi) sa marque (distinctive) plutôt que son symbole, tu ne crois pas ? D’ailleurs ce n’est pas le mot σύμβολον qu’Eschyle a utilisé mais σημεῖον. Ça doit bien être pour qqch. |
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