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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11201 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Wednesday 16 Jan 19, 11:58 |
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Ai-je dit que le grec avait emprunté le mot directement à l'akkadien ? De toutes façons, dans les langues anciennes, les articles n'existent guère nulle part. En sémitique comme en latin c'est une fonction dérivée du démonstratif et le passage d'une fonction à l'autre a dû prendre quelque temps.
Un démonstratif 'l existait en phénicien, en araméen, en hébreu biblique. Comme langue intermédiaire entre le grec et l'akkadien, on a le choix. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11201 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Wednesday 05 Jun 19, 21:57 |
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Outis a écrit: | Curieusement, en grec hellénistique, le terme et ses dérivés sont devenu péjoratifs et se sont appliqués à la réquisition pour travail forcé ; c'est ce sens qui a survécu jusqu'en grec moderne (αγγαρεία /angaría/ « corvée », etc.) |
Et si c'étaient des homonymes ?
En feuilletant Gastal, je suis tombé aujourd'hui sur ce mot supposé gaulois :
angaria : tombereau pouvant porter environ 300 kg.
Cité en latin par Charisius (IVe s.) au sens de corvée de charroi.
Qu'en pensent nos amis spécialistes des langues celtiques ? Ma première réaction a été de trouver que Gastal aurait dû consulter au moins Gaffiot et Chantraine, surtout en voyant qu'il ne donne aucun cognat dans les autres langues celtiques. Mais ce "curieusement" d'Outis a retenu mon attention et m'a fait douter un peu de ma première réaction. Mais d'où Gastal sort-il ce tombereau ?
Autre découverte : à l'instar du couple veredus / paraveredus, il a existé en latin un couple angaria / parangaria, ce dernier ayant le sens de "corvée extraordinaire".
À part ça, comme Chantraine et comme le DRAE, j'incline tout de même à penser que le mot est d'origine iranienne. Un service d'État mis en place par Darius devait avoir un nom officiel iranien bien connu qu'Hérodote n'aurait certainement pas traduit en grec (pas plus qu'il n'a traduit le mot pyramide, à mon avis). Imagine-t-on un historien anglophone qui, pour parler de la SNCF, dirait la société "French Railways" ou pour parler d'Air France dirait "French Airways" ? En français nous ne traduisons ni CIA ni FBI. Hérodote aura tout au plus, et pour cause, transcrit le mot en caractères grecs.
Le hic, c'est que, pour le moment, ce mot iranien est hypothétique. Sinon, les glissements de sens ne posent guère de problèmes :
1. service officiel de courrier (= la Poste). C'est l'ancêtre de ce qui s'appellera plus tard et jusqu'à nos jours, barīd, et sera emprunté par l'arabe.
2. ce service implique que chaque région traversée fournisse des chevaux ou des mules de rechange > corvée (sens toujours usuel).
3. outre les bêtes de monte ou de trait, ce service implique des véhicules de transport > charriot (> tomberau ?) |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11201 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 09 Jun 19, 10:29 |
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Horatius a écrit: | Le mot est assez rare certes, mais Rostowzew dans un article de 1905 (Klio, 6, p. 249 sq) a entrepris d'étudier les différentes attestations du mot. ...
Si je comprends bien Rostowzew, celui-ci a également entrepris de traquer dans les textes talmudiques les attestations de l'emprunt hébreu (angarija) de ce mot. Mais ma connaissance très faible de l'allemand et nulle de l'hébreu ne me permet pas d'en dire davantage. Si, à l'occasion, quelqu'un comme rejsl voulait nous en parler, ce serait sûrement intéressant. |
Cet appel est ancien, mais toujours valide. Un petit résumé de cette dizaine de pages serait, effectivement, très intéressant. Merci d'avance. |
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rejsl Animatrice
Inscrit le: 14 Nov 2007 Messages: 3672 Lieu: Massalia
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écrit le Sunday 09 Jun 19, 18:59 |
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J'essaierai demain, mais ce n'est pas évident car, si l'allemand ne me pose aucun problème, je ne connais pas legrec. Or, il y a énormément de références grecques dans cet article que je viens de survoler. |
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Ion Animateur
Inscrit le: 26 May 2017 Messages: 306 Lieu: Liège
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écrit le Sunday 09 Jun 19, 20:19 |
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Les références grecques ne vous empêcheront pas de comprendre le texte : l'auteur en donne en principe la substance en allemand. Les mots comme kômarchês "chef de village", onêlatês "ânier", ktênotrophos "éleveur de bestiaux" qui ne sont pas traduits n'empêchent pas de saisir les idées. Remplacez-les par X ou Y...
La grande idée défendue est qu'il a existé en Orient jusqu'à la fin de l'Empire romain un système de corvées qui obligeait les populations à se charger du transport des biens d'État. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11201 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 09 Jun 19, 20:52 |
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En tout cas, merci à vous deux pour cette rapide réaction. |
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Ion Animateur
Inscrit le: 26 May 2017 Messages: 306 Lieu: Liège
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écrit le Sunday 09 Jun 19, 21:39 |
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C'est un détail, mais l'édit de Vergilius Capito dont un extrait est donné p. 254, compris comme une répression des abus commis par les soldats etc. en voyage, a reçu une autre interprétation en 1954, voir ici. D'après cet article, le préfet romain ne veut plus que lesdits voyageurs officiels gaspillent l'argent de l'État lors de leurs déplacements. On trouve le verbe angareúein "réquisitionner" à la ligne 24, mais selon l'auteur de l'article le contexte suggérerait des réquisitions rétribuées plutôt que de viles extorsions. |
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Ion Animateur
Inscrit le: 26 May 2017 Messages: 306 Lieu: Liège
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écrit le Sunday 09 Jun 19, 21:57 |
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Au fond, il devrait suffire de donner le sens de la conclusion, p. 258, ligne 3 et suivantes (Alles Gesagte scheint mit genügender Sicherheit zu beweisen, dass...) |
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rejsl Animatrice
Inscrit le: 14 Nov 2007 Messages: 3672 Lieu: Massalia
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écrit le Sunday 09 Jun 19, 23:17 |
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Pour commencer, l'auteur se pose la question de savoir si ce système d'acheminement auquel renvoie le mot provient réellement de l'Empire perse ou s'il a existé préalablement dans l'Empire d'Assur et Babylone.
Il indique en préambule qu'il ne peut prouver que le mot en question est d'etymologie sémitique et que ce n'est pas dans ses compétences.
Il constate et montre tout au long de cet article qu'il y a une constante depuis l'Empire perse jusque dans le monde grec et romain et y compris dans le monde sémite concernant cette pratique , coutume, qui correspond à la corvée , pouvoir réquisitionner n'importe qui dans la population pour transporter à dos d'homme ou avec les animaux des gens réquisitionnés , chevaux, ânes, etc.. toute livraison ( militaire ou autre ) .
Pour cela, il s'appuie sur des textes contenant ce mot et sur le sens qu'il prend dans ces textes.
Pour le grec, Flavius Josèphe et des extraits des Évangiles ( avec l'idée de montrer que la pratique de cette corvée existait chez les Sémites ), pour l'hébreu dans des passages de la Mishna et du Talmud de Babylone . Il indique que certains passages du Talmud prouvent que cette coutume d'obligation, pour la population ,de réquisition de l'âne , du mulet ou du cheval, s'est perpétuée jusqu'à l'époque romaine .
Et que dans le monde sémitique, pour désigner cette corvée particulière , on employait systématiquement le mot angaria.
Il précise que ce terme à toujours signifié la " corvée " dans l'Orient sémitique .
Et, pour finir il se pose à nouveau la question de savoir si La référence était l'lEmpire perse ou bien si, dans celui-ci, on s'est servi de ce concept plus ancien ( qui aurait donc préexisté chez les Sémites) pour qualifier cette pratique plus récente.
Il penche pour la seconde hypothèse .
Voilà, Ce n'est pas un article d'etymologiste . Plutot d'historien qui essaie via les textes de voir où la pratique ( corvée pour le transport des gens ou des marchandises ) pratique désignée par le mot angaria, a pu naître et comment elle s'est maintenue à l'époque hellénistique puis à été reprise dans l'Empire romain.
Dernière édition par rejsl le Sunday 09 Jun 19, 23:35; édité 1 fois |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11201 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Monday 10 Jun 19, 7:30 |
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Un grand merci, Rejsl. Je dois rassembler mes informations et réfléchir un peu avant de poursuivre ce sujet plus avant.
En attendant, toute autre contribution sera la bienvenue pour éclairer les zones qui restent dans l'ombre. |
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Ion Animateur
Inscrit le: 26 May 2017 Messages: 306 Lieu: Liège
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écrit le Monday 10 Jun 19, 10:42 |
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Voici ce qui suit la phrase traduite en dernier lieu par Rejsl, où l'auteur de l'article envisage que le mot perse a pu éventuellement changer de sens par rapport à ses emplois antérieurs. Toute correction à cet essai de traduction est évidemment bienvenue !
« La poste perse fondée sur la corvée en était-elle le modèle, ou a-t-elle elle-même employé l’ancien terme pour désigner la nouvelle ou semi-nouvelle institution ? Cela peut rester en suspens. Pour l’instant, c’est la deuxième possibilité qui me paraît de loin la plus vraisemblable. Quoi qu’il en soit, après l’époque perse angaria signifie ‘corvée’ (voir la correction de Rejsl - Merci !), peut-être en relation particulière avec le transport de personnes et de marchandises. La coutume de ce genre de corvée subsistera aux époques hellénistiques, passera à l’Empire romain et s’étendra encore, tout au fil du temps, en parallèle avec le développement des liturgies (services dus par les plus riches à la communauté). Sous cette forme et sous des formes significativement développées, auxquelles la poste impériale rapide, qui était elle-même principalement fondée sur la corvée, a donné un grand essor, l’institution a pris une place dans la législation impériale du IVe siècle, qui lui a donné des contours légaux fixes. Ce qui n’était auparavant que coutume et abus de pouvoir est devenu au IVe siècle une contrainte juridiquement encadrée.
Nous pouvons voir par cet exemple comment les institutions orientales se sont fermement maintenues dans la société romano-hellénistique et de quelle manière elles ont connu une renaissance après le temps de Dioclétien. »
Dernière édition par Ion le Wednesday 12 Jun 19, 12:33; édité 3 fois |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11201 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Monday 10 Jun 19, 10:56 |
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Très éclairant. Merci Ion, pour ce complément et ces précisions.
Cette histoire est passionnante, aussi bien sur les plans historique que linguistique.
Affaire à suivre. |
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rejsl Animatrice
Inscrit le: 14 Nov 2007 Messages: 3672 Lieu: Massalia
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écrit le Monday 10 Jun 19, 12:45 |
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@Ion
Citation: | Quoi qu’il en soit, c’est après l’époque perse qu’angaria prend le sens de ‘corvée’, |
Citation: | Wie dem auch sei, angaria bedeutet in der nachpersischen Zeit Frohndienst |
Si l'auteur avait voulu dire que le mot ne prend ce sens ( corvée ) qu'après l'époque perse , il aurait écrit : ERST in der nachpersischen Zeit bedeutet ...
La phrase en l'état dit seulement :
Aprés l'époque perse ,angaria signifie " corvée" .
De cela , on en est certain.
Auparavant, se pose la question de savoir si les Perses pratiquaient déjà cette coutume ou bien s'ils en ont hérité via les Semites et alors repris à leur compte l'ancien mot ( qui aurait déjà été d'usage dans le monde sémitique )
Voilà pourquoi il disait , tout au début, en introduction de son article, où il posait déjà la problématique, que ce serait plus facile si on pouvait démontrer une étymologie sémitique pour angaria.
Mais, je ne vois à aucun moment qu'il évoque un changement de sens du mot .
A mon avis, c'est une interprétation.Ce n'est nulle part écrit . |
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Picardicus
Inscrit le: 08 Oct 2010 Messages: 98
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écrit le Monday 10 Jun 19, 12:50 |
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Horatius a écrit: | Pour mémoire, rappelons que le latin angaria a été transmis dans les langues romanes |
Le prénom Enguerrand, venu du francique, est-il de la même origine eurindienne ? Il me semble qu'on peut le supposer. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11201 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Monday 10 Jun 19, 14:51 |
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Non, on ne peut pas le supposer, pour la bonne et première raison que le radical angar- n'est probablement pas d'origine indo-européenne mais akkadienne, voire sumérienne, et ensuite on voit mal comment un service de messagerie aurait abouti à un prénom. Passons.
Car, à juger par toutes les études historiques auxquelles nous avons pu avoir accès, angar- a bien été le nom du service de messagerie de l'Empire assyrien, puis de celui de l'Empire perse, puis de celui de l'époque hellénistique, puis de celui de l'Empire romain, non sans subir au passage de probables altérations.
Un service de messagerie n'allant pas sans l'existence d'un certain nombre de relais où l'on pouvait trouver des montures fraîches en les louant ou en les réquisitionnant, angar- a tout naturellement abouti au sens de "corvée, réquisition" que ses dérivés modernes gardent encore dans diverses langues romanes, mais en perdant dès l'Empire romain le sens de "messager, messagerie" en Orient au profit de celui de l'arabe barīd, dont nous aurons à reparler, et en Occident au profit du latin veredus > grec beredos, dont l'origine celtique ne semble faire aucun doute.
Je crois que l'histoire de ces institutions, brossée ici à grands traits, est à peu près claire. Je remercie d'avance quiconque aurait des modifications à apporter à ce résumé de bien vouloir le faire.
Reste l'étymologie du radical angar-. (À suivre) |
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