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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Thursday 09 Jun 11, 18:12 |
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[Animation, Outis : Les premiers posts de ce fil ont disparu. On y examinait les divers sens du mot langue, sa dépendance du latin lingua et ses équivalents dans d'autres langues. Reste la fin de la discussion :
En grec ancien, un seul mot : γλῶσσα (dialecte attique γλῶττα). Seule la forme grecque commune est conservée en grec moderne, orthographiée γλώσσα depuis la récente réforme de l'orthographe.
Pour le langage, en grec moderne, on peut utiliser aussi ομιλία « parler ».
étymologie
Il faut partir d'un nom-racine *γλώξ dont le thème *glōgʰ- n'est attesté que par son pluriel γλῶχες (hapax dans Homère « barbes d'épis ») et un dérivé γλωχίς au sens général de « pointe » (pointe de flèche par exemple).
C'est le dérivé *glōgʰ-ih₂ « la pointue » qui évolue phonétiquement en γλῶσσα par palatalisation. On peut penser raisonnablement à la métaphore de la langue comme pointe de flèche, soutenue par deux arguments :
— le dieu du chant, celui qui conduit le chœur des Muses, est Apollon, qui est aussi l'archer par excellence ;
— on a une métaphore parallèle dans le syntagme homérique ἔπεα πτερόεντα « paroles ailées » qu'il faut comprendre « paroles bien empennées » qui touchent leur but comme des flèches.
À noter que le grec est la seule des langues eurindiennes connues à ne pas avoir conservé le mot commun pour « langue » dont Martinet (Des Steppes aux océans, pp. 128-130) reconstitue une forme *dngʰweh₂ avant d'étudier les évolutions phonétiques et accidents analogiques qui aboutiront aussi bien au latin lingua qu'à l'anglais tongue ou au russe язык sans oublier le tokharien B käntwa …
Dernière édition par Outis le Sunday 28 Jul 19, 10:13; édité 1 fois |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11202 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Saturday 22 Sep 18, 16:02 |
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Je crois qu'il serait intéressant de savoir s'il y a dans le vaste monde des langues dans lesquelles le nom de l'organe langue et le verbe lécher ont
- soit exactement le même étymon, malgré des formes peut-être un peu différentes,
- soit des étymons très proches bien qu'attribués à des racines différentes.
Ce deuxième cas est notamment celui du latin lingua / lingō, apparentés par étymologie populaire mais que les savants font remonter à des origines différentes.
Dernière édition par Papou JC le Friday 12 Jul 19, 9:10; édité 1 fois |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3875 Lieu: Paris
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écrit le Saturday 22 Sep 18, 16:29 |
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Si j'ai bien compris, ce n'est pas le cas pour le français langue / lécher qui remonteraient (selon etymonline) à des racines IE différentes :
*dnghu- / *leigh-
Bon, je cherche... |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11202 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Saturday 22 Sep 18, 16:38 |
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Tu as bien compris.
Ernout et Meillet parlent d'influence du verbe sur le nom dans trois cas : le latin, l'arménien et le lituanien.
Voici les paires pour ces deux dernières langues :
ARMÉNIEN lezu / lizanem
LITUANIEN lëžùwis / lëžù
J'ajoute
ARABE : lisān / lassa
HONGROIS : nyelv / nyal
ROUMAIN : limbă (du latin lingua) / linge (du latin lingō)
GREC MODERNE : γλώσσα [glôssa] / γλείφω [gleíphô]
GREC ANCIEN : γλῶσσα [glôssa] / λείχω [leichô]
(Si je lis bien Chantraine, γλείφω est issu de λείχω.)
Dernière édition par Papou JC le Friday 12 Jul 19, 9:11; édité 1 fois |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11202 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 07 Jul 19, 9:23 |
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Outis a écrit: | En grec ancien, un seul mot : γλῶσσα (dialecte attique γλῶττα). Seule la forme grecque commune est conservée en grec moderne, orthographiée γλώσσα depuis la récente réforme de l'orthographe. [...]
Il faut partir d'un nom-racine *γλώξ dont le thème *glōgʰ- n'est attesté que par son pluriel γλῶχες (hapax dans Homère « barbes d'épis ») et un dérivé γλωχίς au sens général de « pointe » (pointe de flèche par exemple).
C'est le dérivé *glōgʰ-ih₂ « la pointue » qui évolue phonétiquement en γλῶσσα par palatalisation. On peut penser raisonnablement à la métaphore de la langue comme pointe de flèche, soutenue par deux arguments :
— le dieu du chant, celui qui conduit le chœur des Muses, est Apollon, qui est aussi l'archer par excellence ;
— on a une métaphore parallèle dans le syntagme homérique ἔπεα πτερόεντα « paroles ailées » qu'il faut comprendre « paroles bien empennées » qui touchent leur but comme des flèches. |
Il est étrange que ne soit pas fait un rapprochement, même timide, avec les formes latines en glutt-. Quant à la dérivation proposée, si tant est qu’elle soit justifiée, je la verrais plutôt dans l’autre sens.
Outis a écrit: | À noter que le grec est la seule des langues eurindiennes connues à ne pas avoir conservé le mot commun pour « langue » dont Martinet (Des Steppes aux océans, pp. 128-130) reconstitue une forme *dngʰweh₂ avant d'étudier les évolutions phonétiques et accidents analogiques qui aboutiront aussi bien au latin lingua qu'à l'anglais tongue ou au russe язык sans oublier le tokharien B käntwa … |
Une dentale à l’initiale des mots désignant la langue dans la plupart des langues indo-européennes a effectivement amené Martinet à reconstruire cette forme *dņgʰweH2-. Et tous les étymologistes de lui emboîter le pas en s’efforçant de donner à sa reconstruction une forme aussi lisible que possible, tels Pokorny puis Watkins qui la réécriront *dņgʰū-.
Mais s’il existe probablement une telle racine, il n’est pas du tout sûr que le latin lingua s’y rattache, pas plus que – de l’aveu même de Martinet – ne s’y rattache le grec γλῶττα. En effet la forme *dingua n’est qu’une simple hypothèse de Victorinus. Martinet exagère donc un peu en disant qu’elle est « à peine attestée à côté de la forme normale lingua »... En fait, elle n’est pas attestée du tout !
Mais déjà le DELL s’avançait beaucoup en accordant à cet hypothétique *dingua une importance qui me semble excessive. Plus intéressantes sont ses interrogations à propos du cas ligula / lingula "cuillère". S’agit-il de deux paronymes synonymes issus de racines différentes, ou de deux variantes d’un seul et unique mot ? L’ouvrage s’en tient à ce qu’il appelle une « influence » de la racine signifiant "lécher" (*leigh-) sur les noms désignant la langue et il observe la même « influence » dans deux autres langues, l’arménien et le lituanien. Une « influence », vraiment, dans trois langues aussi éloignées les unes des autres (plus celles que j'ai ajoutées dans mon post précédent), alors que lécher est une action que seule la langue peut accomplir ?
On est en droit de se demander s’il ne faudrait pas parfois donner plutôt raison à l’étymologie populaire... |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Friday 12 Jul 19, 18:42 |
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Papou JC a écrit: | … amené Martinet à reconstruire cette forme *dņgʰweH2-. Et tous les étymologistes de lui emboîter le pas en s’efforçant de donner à sa reconstruction une forme aussi lisible que possible, tels Pokorny puis Watkins qui la réécriront *dņgʰū- |
Il me semble bien que Pokorny soit antérieur à Martinet et je ne vois aucune différence importante de lisibilité entre *dņgʰweH2- et *dņgʰū-. |
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