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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3862 Lieu: Paris
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écrit le Wednesday 26 Aug 20, 21:16 |
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J'ai vu cette source, et l'ai citée parce qu'elle identifie la poudre à l'île. Sur la composition de la poudre, elle se trompe, mais qu'à moitié. La mousse de chêne est un élément important de la poudre de Chypre, une base, qu'elle oublie mais on y ajoutait effectivement d'autres produits naturels parfumés, comme les roses de Provins et les fleurs d'oranger cités dans l'autre source. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11173 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 27 Aug 20, 0:17 |
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OK, donc κύπρος [kúpros] et Kύπρος [Kúpros] sont chacun à l'origine d'un nom de parfum. Et ces parfums sont différents. Où l'on retrouve l'importance de la base dans les produits manufacturés...
Bien. Et si on revenait au cuivre ?
Il semble bien que couperose fasse partie de la famille (TLF) :
A.− Vx, CHIM. Sel de l'acide sulfurique. Couperose blanche. Sulfate de zinc. Couperose bleue. Sulfate de cuivre. La cyanose ou « couperose bleue » se rencontre dans les galeries des mines de cuivre ...
B.− MÉD. Affection cutanée d'origine circulatoire, localisée au visage, principalement aux pommettes et aux ailes du nez, et caractérisée par des taches rougeâtres dues à une dilatation des vaisseaux capillaires. ...
Étymol. et Hist. ...Orig. obsc. Peut-être adaptation du lat. médiév. : ca 1215 cuperosum, av. 1250 cuprosa et cuperosa (domaine angl., Latham), coporosa, cupurosa (domaine germ., Diefenbach, Novum glossarium latino-germanicum), soit composé du lat. cuprum « cuivre » et de rosa « rose » [la buée s'élevant du cuivre en fusion, rappelant par ses couleurs le chatoiement d'une fleur] d'apr. le gr. χάλκανθον « couperose » proprement « fleur de cuivre », soit, moins prob., issu par altération d'apr. rosa, de coprosa [s.-ent. p. ex. aqua] dér. en -osus de cuprum. ...
Je n'ai pas trouvé χάλκανθον [chálkanthon] dans le DELG, mais je vois que Pline utilise chalcanthum dans son Histoire Naturelle. Le latin médiéval est donc un calque parfait du grec.
On notera au passage que c'est le nom grec du bronze / cuivre (χαλκός [khalkós]) qui a donné son nom à la ville de Chalcis, et non l'inverse. |
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Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 889 Lieu: Pays de Loire
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écrit le Thursday 27 Aug 20, 9:11 |
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Le mot cuivre provient bien de cyprium (aes) (Pline), lui même calque (sans jeu de mot) de χαλκὸς Κύπριος, même si le -ui- fait difficulté. Le cuivre se trouve donc bien associé à l'île, non ? |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11173 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 27 Aug 20, 9:13 |
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Tellement bien associé que, à mon avis, il (le signifié) lui a donné son nom ! (Relisez bien attentivement le fil...)
Je précise mon idée, si je n'ai pas été clair : le nom de Chypre est probablement d'origine sémitique. Il devait signifier quelque chose comme "l'île rouge ou cuivrée", ou "l'île du métal rouge". Le latin cuprum vient donc indirectement de ce mot sémitique, par l'intermédiaire du nom de l'île.
Pour le -ui- : il n'est pas impossible que le -i- s'explique par des confusions avec l'homon. a. fr. cuivre « carquois » (TLF).
Dernière édition par Papou JC le Thursday 27 Aug 20, 9:41; édité 1 fois |
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Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 889 Lieu: Pays de Loire
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écrit le Thursday 27 Aug 20, 9:34 |
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J'ai bien lu, mais le premier message me semblait manquer de précision dans un fil consacré au cuivre, et non à l'origine du nom de l'île, sur lequel tous les autres messages portent.
Or c'est bien le -ui qui m'intéresse, non le henné !!! J'approfondirai la chose. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11173 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 27 Aug 20, 9:50 |
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Il n'y a que pour la forme française cuivre que le -ui- fait problème. Pour l'anglais copper et l'espagnol cobre, entre autres, pas de problème.
Vous expliquerez le -ui- mais je doute que ce problème phonétique remette en cause
- l'étymon latin de tous ces mots.
- l'homonymie κύπρος [kúpros] “henné” / Kύπρος [Kúpros] “Chypre”. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11173 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 27 Aug 20, 10:38 |
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dubsar a écrit: | L'hébreu גפר gopher n'a sans doute rien à voir avec le kuparissos.
Le champ sémantique du sémitique (ouf!) va dans un autre sens que l'arbre : גפרת gaphrit, soufre; כפר ; kopher, poix, כפר ; kaphar, enduire
arabe : كبريت kabrît, soufre
akkadien : kapâru , enduire de bitume |
Il y aurait un gros (et intéressant) tri à faire dans les racines sémitiques en KPR, QPR, KBR, QBR, KFR et QFR, quant aux noms des minéraux et végétaux, leurs couleurs, odeurs et utilisations.
Sous cette dernière racine, par exemple, on trouve l'arabe qafr "bitume de Judée".
Sous KBR, l'arabe kabar "câpre".
Sous KFR, l'arabe kufr "goudron avec lequel on calfate les navires", et l'arabe kafar "enveloppe de la fleur du palmier". Et aussi kāfūr "camphre", considéré comme un emprunt.
Pendant que j'y suis, l'arabe قبرس qubrus signifie à la fois "cuivre pur"et "Chypre".
Mais pour "cuivre", il faut sous-entendre nuḥās, vieux terme sémitique ayant des cognats en hébreu, syriaque, amharique et phénicien. Il signifie tantôt, "cuivre", tantôt "bronze", tantôt "minerai". Donc nuḥās qubrus "cuivre de Chypre". C'est un calque du latin cyprium aes. |
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Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 889 Lieu: Pays de Loire
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écrit le Thursday 27 Aug 20, 12:32 |
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Papou JC a écrit: | Il n'y a que pour la forme française cuivre que le -ui- fait problème. Pour l'anglais copper et l'espagnol cobre, entre autres, pas de problème.
Vous expliquerez le -ui- mais je doute que ce problème phonétique remette en cause
- l'étymon latin de tous ces mots.
- l'homonymie κύπρος [kúpros] “henné” / Kύπρος [Kúpros] “Chypre”. |
Je ne cherche nullement plus haut que cuprum/cupreum.
Le -ui peut s'expliquer, mais je bloque sur le -ue de la forme médiévale cueuvre/queuvre que l'on trouve dans certains domaines. Affaire à suivre. |
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Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 889 Lieu: Pays de Loire
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écrit le Thursday 27 Aug 20, 21:44 |
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D'où vient le mot cuivre ?
Alors que les autres langues romanes continuent l’étymon cŭprum, « cuivre » (sauf l’italien, qui innove), la situation est plus complexe dans le domaine d’oïl : d’un côté, des formes présentant un yod, de l’autre, des formes où ce yod est absent.
Ces formes sont d’ancienneté à peu près égale : dans trois manuscrits de Cligès (1176) de provenances différentes et séparés au maximum par un demi-siècle, on trouve ainsi les formes cuivre dans la copie dite de Guiot (frontière Parisis/Champagne), coivre dans un manuscrit normand et keuvre dans un manuscrit champenois, la région de l’auteur(1), or, de toute évidence, il n’y a pas entre elles que des variantes purement orthographiques.
il semble donc que l’on ait deux étymons suivant les dialectes : d’une part le nom cŭprum, de l’autre l’adjectif cŭprĕum, « de cuivre », seul à pouvoir expliquer la présence du yod.
Mais cuivre ne continue évidemment pas directement cŭprĕum; s’il est normal que le ĕ en hiatus ait donné un yod et que ce dernier se soit transféré, par anticipation, devant le groupe consonantique -pr- (passé régulièrement à -vr -, je n’insiste pas), le timbre [y] > [ẅ] suppose une évolution particulière du ŭ tonique. On sait en effet que ce dernier a confondu son timbre avec celui du ō latin pour donner un ọ en roman ; or ce ọ sous l’influence d’un yod, qu’il soit primaire, comme ici, ou secondaire, donne d’abord un son noté o (sans doute un o fermé « allongé » comme dans flor, avec lequel il assone) avant d’aboutir à [wè], noté oi au XIIIème (cf. le suffixe -ōrium qui aboutit à -oir). La séquence [ẅi], de son côté, suppose un ǫ < ŏ latin devant le yod (cŏrium > cuir ; nŏctem > * noyt(e)(m) > nuit. Il faut donc supposer que le ọ s’est ouvert à haute époque sous l’influence des consonnes labiales ou labio-dentales. C’est l’hypothèse de Fouché, reprise par Bourciez(2), qui cite aussi plŭvia > *plọvya > *plǫvya > * plǫyya > *plǫya > pluie.
keuvre (ou cuevre, queuvre, etc…), de son côté, s’explique par cŭprum > *cọbro > *cọvro > *cǫvre > cuevre (cf. ŏpera > uevre > œuvre, etc…). Cette forme, si elle avait vécu, aurait donné le quasi-doublet **cœuvre.
Quant à la forme coivre, elle doit reposer, selon Fouché sur *cọbryo refait sur *cọbro > *cǫvre > *cǫivre > coivre sous l'influence des nombreux mots présentant la diphtongue ǫi (3)
L’ancien nom du carquois a exactement les mêmes formes que celui du cuivre, et provient d’une racine germanique homonyme(4), mais ni Fouché ni Bourciez n’établissent une influence de l’un sur l’autre.
(1) Tant con li ors le cuivre passe (Chrétien de Troyes, Cligès, copie Guiot, v. 2734).
(2) E. et J. Bourciez, Phonétique française, étude historique, éd. Klincksieck, p. 91.
(3) D'après P. Fouché, Phonétique historique du français, vol. III, éd Klincksieck, p. 405.
(4) P. Fouché, op. cit. p. 716.
Dernière édition par Cligès le Friday 28 Aug 20, 11:35; édité 5 fois |
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AdM Animateur
Inscrit le: 13 Dec 2006 Messages: 896 Lieu: L-l-N (Belgique)
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écrit le Friday 28 Aug 20, 0:49 |
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Cligès a écrit: | keuvre (ou cuevre, queuvre, etc…), de son côté, s’explique par cŭprum > *cọbro > *cọvro > *cǫvre > cuevre (cf. ŏpera > uevre > œuvre, etc…). Cette forme, si elle avait vécu, aurait donné le quasi-doublet **cœuvre. |
En wallon de Liège, on dit keuve. |
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Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 889 Lieu: Pays de Loire
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écrit le Friday 28 Aug 20, 8:01 |
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Merci de cette précision : vraisemblablement, on trouve les formes en keuv(r)- au Nord-Est du domaine d'oïl. |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Tuesday 01 Sep 20, 17:27 |
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Ainsi que je l'ai signalé dès le début de ce fil, il n'y a rien à reprocher au latin aes cyprium « bronze de Chypre » abrégé ensuite en cuprum. Ce type de dénomination connaît de nombreux équivalents. Le vrai sujet est le nom même de Chypre mais il ne saurait être abordé sans prendre en compte tout le réseau qui l'accompagne.
D'abord et avant tout, Chypre est l'île d'Aphrodite. La Déesse est qualifiée de κυπρογενής [kuprogenês] « née à Chypre » ou, en dérivation, de Κύπρις [kupris], gén. -ιδος (sans doute primitivement thème en i comme en témoigne l'accusatif homérique Κύπριν).
Mais on peut aller plus loin si l'on remarque que Cythères (Κύθηρα [kuthêra]), l'autre île consacrée à Aphrodite, qui lui doit d'ailleurs une autre épiclèse, Κυθέρεια [kuthereia] « la Cythéréenne ». La forme de ce dérivé montre d'ailleurs que le thème en est *kuther-, la forme Κύθηρα résultant d'un traitement archaïque de *kuther-ya (en arcadien, laconien, crétois, -ery- > -ηρ-).
La confrontation des thèmes *kupr- et *kuther- des deux îles d'Aphrodite peut se résoudre dans une forme à redoublement *kʷukʷʰer- d'une langue inconnue qui, si elle est, par héritage ou emprunt, apparentée au grec donnerait lieu aux traitements :
1ère partie
kʷu > ku (régulier)
2ème partie
degré plein kʷʰer > tʰer
degré zéro kʷʰr > pr
retrouvant Cythère comme Chypre. Mais quid de la forme simple *kʷʰer- ?
Elle aboutirait régulièrement à Θήρα [thêra], aujourd'hui Santorin. Or, plusieurs auteurs (Hérodote, Apollonios de Rhodes, Pausanias, cf wikipedia) nous font savoir que le nom ancien de l'île était Καλλιστή [kallisté], en français « la très belle » ou « la plus belle ». Nom ancien ou sens ancien du mot théra ?
Si le sens ancien de tous ces toponymes était lié à la beauté (et nous appelons bien des îles : Belle-Île ou Île de Beauté), on cesserait de se poser beaucoup des questions de ce fil (dont le fard henné) et on y réintroduirait Aphrodite qui y avait été bien oubliée … |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11173 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 03 Sep 20, 10:53 |
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Voilà une étymologie qui rappelle beaucoup celle du nom du cyprès donnée par Wikipedia :
Le mot qui le désigne vient du latin Cupressus, lui-même dérivé de Cyparisse, personnage de la mythologie grecque, fils de Télèphe, qui fut changé en cyprès par Apollon.
Il est vrai que les dieux ont préexisté à ce bas-monde...
Sans autre commentaire. |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Friday 04 Sep 20, 9:48 |
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Peut-être n'est-il pas justifié d'appeler « étymologie » les correspondances entre personnages imaginaires et plantes qui ont été proposées par les poètes latins dans les premiers siècles de notre ère sous le titre de Métamorphoses. Un genre littéraire très prisé, dont nous ont été conservées celles d'Ovide (Ier s.), d'Antoninus Liberalis (IIe s.) et d'Apulée (IIe s.).
C'est ainsi que la menthe, le laurier, le narcisse, la jacinthe ou le cyprès, entre autres, ont vu leurs noms associés à des héros ou héroïnes dont les noms trahissent souvent une origine pré-grecque par des suffixes -nthos, -nthè, -ssos qui se retrouvent aussi en toponymie grecque (Parnasse, etc.).
L'histoire de Kiparissos est contée par Ovide, Métamorphoses, X, 106-142. On notera que l'auteur insiste sur sa beauté (Mais pourtant, c'est à toi plus qu'à quiconque, qu'il était cher, Cyparissus, toi, le plus bel enfant de Céos). Mais, je dis ça, je ne dis rien …
Nonnos, lui, se contente de placer Cyparisse prenant la suite de Hyacinthe parmi les amants de Zéphyr. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11173 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 06 Sep 20, 8:18 |
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Quelques autres données en sumérien et sémitique où l’on verra que la beauté peut faire bon ménage avec la brillance et le cuivre.
– Dans The Assyrian Dictionary of the Oriental Institute of the University of Chicago, cad_s, p. 296
L'akkadien siparru "bronze", correspond au sumérien zabar, logogramme : U4.KA.BAR
– Dans The Pennsylvania Sumerian Dictionary
Le sumérien zabar [BRONZE] wr. zabar; zabar3 "(to be) bright (= briller), pure; metal mirror; (to be) shiny (= être brillant) ; measuring vessel made of bronze; bronze"
– Dans Arabic Etymological Dictionary, le sumérien zabar est l'étymon proposé pour l'arabe صفر ṣafr, ṣufr, ṣifr "cuivre jaune" (= laiton)
NB : l’adjectif أصفر ’aṣfar "jaune" est dérivé de cette même racine arabe.
Le verbe سفر safara (sans point sous le s), qui - surtout à sa forme IV - signifie "briller" (aurore, visage), est quant à lui supposé dériver d'une racine sémitique SPR, "briller, être beau". D'où le patronyme Shapiro d'origine ashkénaze.
C'est évidemment de la même racine que relève le siparru akkadien vu plus haut.
Il se pourrait bien, comme cela arrive souvent, que le sumérien soit ici un emprunt à l’akkadien, plutôt que le contraire.
En bref, tous ces mots : zabar, siparru, ṣafr et safara, se tiennent et semblent bien tous relever de la racine sémitique SPR.
Quant à savoir si tout cela a un rapport avec le nom de l’île de Chypre et / ou son cuivre... |
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