Voir le sujet précédent :: Voir le sujet suivant |
Auteur |
Message |
Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 896 Lieu: Pays de Loire
|
écrit le Wednesday 12 May 21, 12:20 |
|
|
Question intéressante.
Jusqu'au XIVème siècle, la graphie est en gros phonétique. Par souci de ne pas trop s'écarter du latin, certains scribes adoptent des formes archaïsantes, mais ce n'est pas la majorité. On constate au contraire des graphies multiples d'un même mot, parfois dans le même texte, du fait que le scribe s'est efforcé d'adapter "à l'oreille" la prononciation de tel ou tel mot parfois beaucoup plus ancien qu'il retranscrit. Et ce n'était pas facile quand il fallait transcrire un son inconnu du latin !
Si nous trouvons fuer, il y a de grandes chances que le mot se prononçât [før]. On peut en avoir une idée d'après les rimes (à condition de ne pas considérer des homographes) et surtout les assonances des œuvres épiques, qui proposent jusqu'à une soixantaine d'occurrences, mais ne sont intéressantes à exploiter que pour les sons vocaliques, ce qui n'est pas le cas ici pour le -r final.
Dans le cas de fuer, on peut par exemple se baser sur ces vers du Roman de Thèbes (XIIème) :
nel deüsses faire a nul fuer,
au meins a moi qui sui ta seur.
"tu n'aurais dû faire cela à aucun prix,
au moins à moi, qui suis ta sœur."
Pour ce qui est du son vocalique, on constate ici que "ue" et"eu" notent nécessairement le même son, qui doit être proche du [ø] moderne, celui de "œufs" (il ne s'ouvrira en [œ] dans cette position que beaucoup plus tard).
Pour ce qui est du -r final, on a la quasi-certitude qu'il se prononçait dans seur, qui l'a toujours comporté dans les textes les plus anciens. D'une manière générale, le -r final a bien résisté en français, comme en témoigne sa relative persistance en français moderne (sauf, entre autres, dans les infinitif en -er).
Je précise aussi que la métrique nous montre que les deux mots à la rime sont monosyllabiques : autre aide précieuse (quand le texte est sûr !!). |
|
|
|
|
dawance
Inscrit le: 06 Nov 2007 Messages: 1895 Lieu: Ardenne (belge)
|
écrit le Thursday 13 May 21, 12:31 |
|
|
Dans le sens "dehors", il existe bien l'adverbe fŏrās (qui a donné le wallon foû, même sens, avec aussi l'idée de mouvement (Gaffiot), cité par ramon il y a une dizaine d'année. Si je ne me trompe, il existe aussi en roumain. (Un autre adverbe latin fŏris , a un sens légèrement différent que je n'ai pas perçu) |
|
|
|
|
Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 896 Lieu: Pays de Loire
|
écrit le Thursday 13 May 21, 14:33 |
|
|
Comment sait-on que c'est fŏrās plutôt que fŏris qui a donné foû ? Qu'est devenu le a ?
De quel autre adverbe voulez-vous parler ? fŏris a donné AF fuers, AF-FM fors ; dehors < de-fors, sur lequel on a refait hors.
Autrement, fŏris est le nom de la porte, cf. door, дверь (dv'er'), etc... dont on a déjà parlé. |
|
|
|
|
AdM Animateur
Inscrit le: 13 Dec 2006 Messages: 898 Lieu: L-l-N (Belgique)
|
écrit le Thursday 13 May 21, 15:20 |
|
|
dawance a écrit: | […] le wallon foû, même sens, avec aussi l'idée de mouvement (Gaffiot), […] |
Jean Haust dans son Dictionnaire liégeois, s.vº foû, p.277 = p.20 du PDF, le donne plutôt comme issu du latin foris.
— A mes yeux de profane, il s'agit là d'une discussion picrocholine mais peut-être est-ce seulement dû à mon ignorance…
En tout cas, c'est l'occasion de renseigner cet article :
• Noël Dupire, « Le préfixe latin “foris” dans le picard et le wallon », dans Revue du Nord, tome 33, n°130-131, avril-septembre 1951, pp. 109-116. (www.persee.fr/doc/rnord_0035-2624_1951_num_33_130_2020)
qui commence ainsi : On considère généralement aujourd'hui foras et foris comme l'accusatif et l'ablatif d'un ancien substantif fora « porte » ; forus opposé à domi et foris à intro ont été employés d'abord indistinctement comme adverbes, puis comme prépositions. […] et qui montre comment, en particulier dans ces langues du Nord, le préfixe latin for- influencé par son équivalent germanique fîr- (> fer- > ver-) a abouti à la création de nombreux verbes composés. :
Le préfixe for- a été assez productif dans l'ancien français. Nous nous proposons d'en retracer brièvement l'histoire et spécialement dans le picard et le wallon. Nous montrerons d'abord qu'il conserve et maintient son sens originel dans un assez grand nombre de composés ; puis nous verrons que, sous une influence germanique, l'acception primitive s'est en grande partie effacée, ou bien transformée et diversifiée ; nous examinerons enfin les nuances qu'a pu exprimer le préfixe dans toute une série d'expressions juridiques.
[…]
En fait, sans parler de l'apport des invasions franques, le picard s'est trouvé de bonne heure en contact permanent avec le flamand et le wallon et le wallon lui-même avec le néerlandais et l'allemand. Il est naturel que le préfixe germanique ait exercé une influence sur le préfixe roman. Non pas que celui-ci ait été modifié dans sa structure ou dans la qualité de sa voyelle, mais il a reçu de son concurrent les variétés de sens qui étaient propres à ce dernier.
En premier lieu, le germanique fer- s'employait simplement pour insister sur l'action verbale, si bien que le sens du composé différait peu de celui du verbe simple. […]
Une autre nuance était exprimée par le préfixe fer- : il indiquait que l'action était répétée, poussée à l'excès, entraînant le plus souvent quelque inconvénient ou dommage. […]
Le germanique fer- pouvait enfin prendre une valeur péjorative. Il servait à exprimer une action dont les résultats étaient fâcheux ou mauvais ; parfois même il formait des composés qui étaient le contraire des verbes simples. […]
Il prolonge en cela Haust : (op.cit., p.274) s.vº foraler (Flémalle-H'*; ard.), dépasser la durée normale de la gestation (vache).
[Litt* aller dehors, au delà. Le préf. for- (qqf. altéré en fwèr- sous l'influence de fwért [= fort]) signifie excès ; il entre dans la composition de maint verbe en w. comme en anc fr. (on en trouvera ici près de 50 exemples). Il a une double origine 1° le latin foris (anc. fr. fors, liég. foû) ; 2° dans les mots empruntés, le germ. fir- (all. et néerl. ver-). La distinction est parfois malaisée. Au surplus, notez la concordance de forvîli [surranné, trop vieilli], si fordwèrmi [dormir plus qu'il ne faut], si formagnî [manger avec excès], si forsonner [se vider de son sang], etc. = néerl. verouderd, zich verslapen, zich vereten, zich verbloeden, etc.]
[Edit : ajout d'un bref résumé des points développés dans l'article de Dupire.]
Dernière édition par AdM le Thursday 13 May 21, 15:42; édité 1 fois |
|
|
|
|
dawance
Inscrit le: 06 Nov 2007 Messages: 1895 Lieu: Ardenne (belge)
|
écrit le Thursday 13 May 21, 15:35 |
|
|
dawance a écrit: | Dans le sens "dehors", il existe ....un autre adverbe latin fŏris , ... un sens légèrement différent que je n'ai pas perçu) |
A ma connaissance, il y a pas eu de forum en Wallonie.
Alors, fŏrās ou fŏris le géniteur ? Place aux jeunes mais un adverbe naît plus facilement d'un autre adverbe ! |
|
|
|
|
AdM Animateur
Inscrit le: 13 Dec 2006 Messages: 898 Lieu: L-l-N (Belgique)
|
écrit le Thursday 13 May 21, 15:51 |
|
|
A ma connaissance non plus.
Mais je crois que la première phrase de l'article de Dupire cité plus haut répond à peu près à ta question : Citation: | On considère généralement aujourd'hui foras et foris comme l'accusatif et l'ablatif d'un ancien substantif fora « porte » ; forus opposé à domi et foris à intro ont été employés d'abord indistinctement comme adverbes, puis comme prépositions. |
Pas besoin d'invoquer les forums. Les sens de porte puis dehors, au delà suffisent. |
|
|
|
|
Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 896 Lieu: Pays de Loire
|
écrit le Thursday 13 May 21, 17:15 |
|
|
En effet, forum n'est pas l'étymon de foris/as ; ils sont frères !
Le forum, comme je l'ai dit, est à l'origine un espace marchand ou politique situé à l'extérieur des secteurs urbanisés, mais enclos avec ceux-ci, exactement comme la cour d'un domaine (сf. le двор (dvor), "cour", en Russie ancienne).
Les formations foris/foras ont leur exact correspondant en grec ancien ; à partir de θύρα (porte), on a formé les adverbes θύρασι, "à la porte", puis "dehors" ; θύραζε, id, mais avec mouvement), θύραθεν "du dehors" en utilisant des désinences flexionnelles archaïques.
Merci à Adm pour la doc. ! |
|
|
|
|
dawance
Inscrit le: 06 Nov 2007 Messages: 1895 Lieu: Ardenne (belge)
|
écrit le Friday 14 May 21, 10:35 |
|
|
Merci beaucoup AdM. Voilà qui est limpide et ne suscite aucune contestation.
(Par un mauvais hasard, ta réponse a précédé ma question !)
NB: en romain, dehors se dit afară, ce qui ferait penser qu'il vient
de fŏrās si l'accent tonique était conservé, mais il est complètement inversé ! |
|
|
|
|
Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 896 Lieu: Pays de Loire
|
écrit le Friday 14 May 21, 10:53 |
|
|
afară = ad foras, formation comparable à notre dehors = de fors < de foris. |
|
|
|
|
Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11192 Lieu: Meaux (F)
|
écrit le Friday 14 May 21, 11:04 |
|
|
Aux mots espagnols vus plus haut, foro et forastero, le moment est venu d'ajouter fuera "dehors". |
|
|
|
|
|