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Auteur |
Message |
Pierre
Inscrit le: 11 Nov 2004 Messages: 1188 Lieu: Vosges
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écrit le Wednesday 06 Jul 05, 22:48 |
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Le verbe mouser en ancien français signifiait froisser
"Que qu'il a lui issi parole Des piez li mouse la chanole"
Le roman de Renart (vers 1250) |
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Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 790 Lieu: Pays de Loire
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écrit le Friday 30 Jul 21, 16:40 |
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Il faut se méfier de ce qu’on trouve dans les vieux documents ; dans les citations du Roman de Renart, Godefroy n’avait à sa disposition, outre des arrangements sans valeur, que l’édition de Méon, datant de 1826. Certes, à l’époque, cette édition a permis de donner une première vue d’ensemble de cette œuvre complexe, mais pour l’établir, Méon a procédé en piochant çà et là dans les manuscrits, sans réelle méthode par conséquent, et en réalisant un « montage » des branches tout personnel. Parmi les manuscrits, il a malheureusement choisi parfois des deteriores dont les leçons sont abandonnées ou corrigées par les éditeurs modernes.
C’est le cas dans les vers cités ici, et on ne s’étonnera pas que *mouser soit un hapax chez Godefroy, qui lui donne le sens de « froisser » ; quant à chanole, c'est une correction heureuse de *chavole, que l'on trouve dans le texte établi par Méon.
Dans son glossaire (l’édition est accessible en ligne), Méon donne à mouser les sens de « mousser », « éparpiller », et à chavole celui de « chevelure ». Avec un imperturbable aplomb, l’éditeur accompagne ce sens de l’étymon latin capillatio. A l’époque, on n’a guère de connaissances philologiques, mais à la nôtre, on sait que capillatio ne saurait donner chavole ou chevole, mais quelque chose comme **chevelaison ou, par réduction, **cheulaison ou **chelaison.
Voici les vers tels qu’on les édite à l’heure actuelle :
(Ysengrin se venge de Renart en le rossant copieusement)
Que qu’il a lui einsi parole,
Des piez li moire la chanole.
Le Roman de Renart, édité par J. Dufournet et alii, Branche XVII, v.147-8. Paris, Champion, 2015.
« Pendant qu’il lui parle ainsi,
de ses pattes, il lui comprime la trachée. »
(traduction personnelle)
Ce n’est donc pas mouser qu’il fallait lire, mais moirer, ou encore mairer, qui vient du verbe latin macerare, et qui signifie « pétrir », « tourmenter », « macérer ».
Quant à chenole, ou chanole, qui vient du latin canabula (Fouché), il signifie « petit tuyau » et, plus spécialement « trachée artère » (sens donné par Godefroy et Greimas).
Ysengrin tente donc tout simplement d'étrangler Renart.
Mais, comme on sait, le goupil n'est jamais sans ressource...
Dernière édition par Cligès le Friday 30 Jul 21, 22:02; édité 1 fois |
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AdM Animateur
Inscrit le: 13 Dec 2006 Messages: 858 Lieu: L-l-N (Belgique)
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écrit le Friday 30 Jul 21, 19:42 |
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Euh… Dans le message initial, je lis bien chanole, non pas *chavole.
(Mais ça n'a guère d'importance : le sujet étant ce verbe *mouser.) |
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Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 790 Lieu: Pays de Loire
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11056 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Saturday 31 Jul 21, 8:18 |
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Ne faudrait-il pas aussi donner un autre titre à ce fil ? moirer / mairer, par exemple ?
Ce ne serait pas du luxe d'éclaircir les sens et origines des verbes merer, merrer que Godefroy donne comme synonymes à mairer, de mairi ou mairit (prétri), et de moirer dont il ne dit rien.
Ou partir du latin macerare...
Bref, il y a de la farine dans le pétrin. |
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Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 790 Lieu: Pays de Loire
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écrit le Saturday 31 Jul 21, 10:08 |
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Il y a de nombreuses variantes de mair(i)er (forme "canonique"), mais c'est bien le même mot. L'étymon verbal a subi des variations accentuelles au cours de la conjugaison et suivant le dialecte, le verbe n'ayant pas été "normalisé" du fait de sa relative rareté. L'emploi qu'en fait l'auteur de la branche est en fait imagé : Ysengrin "pétrit" la gorge de Renart pour prolonger son supplice. Le forme moire ne se trouve qu'à la troisième personne du singulier, d'après l'éditeur moderne. Elle résulte d'une avancée de l'accent sur le e de macerare.
Annexe : de mācĕrat à maire (moire).
IVème : magęrat (sonorisation de la sourde intervocalique).
Vème : maγęrat (spirantisation).
mayęrat (évolution de la spirante instable en yod).
mayyęrat (renforcement du yod intervocalique, à l'instar du yod latin primitif (majorem > mayyor)).
VIème :may(y)(ę)rat (syncope de la pénultième atone et réduction consécutive de la géminée).
VIIème :mayraθ (spirantisation de la consonne sourde finale).
may(y)re̥θ (affaiblissement du a final).
IXème : maire̥θ (diphtongaison (complète) du groupe [ay]).
ΧΙème : maire̥ (amuïssement du -t final).
XIIème : męre̥ (réduction de la diphtongue)
Le mot est écrit soit maire, soit mer(r)e, (le premier r servant éventuellement de diacritique pour la prononciation du [e])
Notes :
- moire est une variante de maire comparable à grammaire/grimoire ; AFpaile/poêle, etc… ; elle s’explique par l’action de la consonne labiale qui précède ai ; par la suite, oi évoluera vers [wa] comme le produit de la diphtongaison spontanée du ẹ tonique (cf. telum > toile, etc…).
- le i précédant la désinence de l’infinitif are > er dans mairier (< macerare) s’explique par l’action du r palatalisé par le i qui le précède ; c’est là un phénomène très répandu en AF (cf. laissier/laisser ; repairier/repairer ; aidier/aider, etc…
Dernière édition par Cligès le Saturday 31 Jul 21, 15:16; édité 1 fois |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11056 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Saturday 31 Jul 21, 11:08 |
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Je propose donc de changer le titre de ce fil en macerare (latin), *mag- ou *mak- (IE). C'est une famille riche et intéressante dont nous n'avons quasiment aucun représentant dans nos mots du jour. |
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