Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Sunday 12 Jan 20, 11:19 |
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Les Grâces romaines et les Charites grecques ne sont pas les mêmes déesses (ou daïmones) ni même si bien définies, les unes comme les autres. Même avec l'aide du yoga étymologique qui séduit certains, il reste difficile de les ramener à une racine commune, mais elles semblent pourtant bien être les mêmes jolies femmes. Qui sont-elles ?
Les Charites
Commençons par les grecques. Et par un nom féminin, χάρις (gén. χάριτος, acc. χάριν) « grâce, beauté, faveur, gentillesse » aussi bien au sens esthétique qu'au sens moral, ainsi qu'en témoignent des jeux sur les deux sens : Sophocle, Œedipe à Colone, v. 779, trad. Masqueray a écrit: | ὅτ᾽ οὐδὲν ἡ χάρις χάριν φέροι:
n'éprouverais-tu pas un plaisir insipide ? |
Sophocle, Ajax, v. 522, trad. Jebb a écrit: | χάρις χάριν γάρ ἐστιν ἡ τίκτουσ᾽ ἀεί:
It is kindness that always begets kindness |
Le même mot Χάρις (au détail près d'un accusatif Χάριτα) usuellement au pluriel Χάριτες désigne trois divinités féminines jouant plus ou moins le rôle de « modèles locaux » d'Aphrodite. À preuve que l'épouse du dieu Héphaïstos est, selon les textes, tantôt une nommée Charis chez Homère, la Charite Aglaé chez Hésiode, Aphrodite elle-même dans la tradition ultérieure. Quant à leur nombre et noms, il est variable : Auxo et Hégémone à Athènes, Kléta et Phaenna à Sparte, Euphrosyne, Thalie et Aglaé chez le béotien Hésiode. Tous noms parlants et euphémisants : celle qui fait croître, celle qui conduit, l'illustre, l'éclatante, la joie, la florissante, la rayonnante de beauté …
Leur nom générique, Χάρις, est lui-même issu du verbe χαίρω « se réjouir » (thème *gʰer-, cognats arméniens). Dans la Grèce antique comme toujours aujourd'hui, les impératifs χαῖρε, plur. χαῖρετε « réjouissez-vous » sont les salutations usuelles pour « bonjour, au revoir » (pron. hérete). On connaît une pierre tombale qui dit au passant : « si tu es juif, shalom, si tu es grec, χαῖρε ».
La théologie chrétienne de langue grecque a fait grand usage de χάρισμα « grâce divine » (fr. charisme, charismatique, eucharistie) et le grec moderne utilise toujours le verbe contracte ευχαριστώ [efharistó] « je remercie » pour dire merci.
Les Grâces
À Rome, il faut partir de l'adjectif grātus « aimé, chéri, agréable » d'un thème *gʷer-h₂- « chanter, louer, célébrer » avec des cognats sanskrits, baltes et celtiques (barde). De là on a grātia « reconnaissance, service rendu, agrément, beauté » qui a vite servi à traduire le grec χάρις, tant en raison d'une légère paronymie que de l'étendue des deux champs sémantiques.
Et c'est ainsi que les Charites (Χάριτες) sont devenues les Grâces (Grātiae) tout en s'orientant vers les notions de gratitude et de bienfaisance Sénèque, De Beneficiis, I.3.2-3 a écrit: | Quorum quae vis quaeve proprietas sit, dicam, si prius illa, quae ad rem non pertinent, transilire mihi permiseris, quare tres Gratiae et quare sorores sint, et quare manibus implexis, et quare ridentes et iuvenes1 et virgines solutaque ac perlucida veste. Alii quidem videri volunt unam esse, quae det beneficium, alteram, quae accipiat, tertiam, quae reddat ; alii tria beneficorum1 esse genera, promerentium, reddentium, simul accipientium reddentiumque.
[…]
iuvenes, quia non debet beneficiorum memoria senescere; virgines, quia incorrupta sunt et sincera et omnibus sancta ; in quibus nihil esse adligati decet nec adstricti ; solutis itaque tunicis utuntur ; perlucidis autem, quia beneficia conspici volunt.
Pourquoi les Grâces sont-elles au nombre de trois? pourquoi sont-elles soeurs? pourquoi les figure-t-on les mains entrelacées, l'air riant, jeunes, vierges, sans ceinture, et vêtues de robes transparentes? Selon les uns, elles représentent la bienfaisance dans ses trois acteurs, celui qui donne, celui qui reçoit, celui qui rend : selon d'autres, sous ses trois faces: le bienfait, la dette, et la reconnaissance.
[…]
Elles sont jeunes, parce que la mémoire des bienfaits ne doit pas vieillir; vierges, parce qu'ils sont purs, sans tache, et sacrés pour tout le monde; si leurs ceintures sont détachées, c'est que tout, dans les bienfaits, doit être libre et sans contrainte ; si le tissu de leur robe est transparent, c'est que les bienfaits veulent être aperçus. |
Curieusement et indépendamment (?) du sens théologique de la grâce divine, ces trois Grâces sont, dès l'Antiquité, devenues les modèles profanes de la nudité féminine pour le plus grand bonheur des adolescents (et autres : belle collection dans l'article de Wikipedia). |
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