Voir le sujet précédent :: Voir le sujet suivant |
Auteur |
Message |
Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 897 Lieu: Pays de Loire
|
écrit le Saturday 03 Aug 19, 9:16 |
|
|
trībŭlātĭōne(m) aurait pu donner **tribleison en AF, **triblaison en MF.
J'adore faire de la phonétique fiction |
|
|
|
|
embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3875 Lieu: Paris
|
écrit le Saturday 03 Aug 19, 10:00 |
|
|
Papou JC a écrit: | Oliv a écrit: | Lou tresor dóu felibrige indique pour le provençal travai un bas latin travallum = latin trībŭlum/trīvŏlum "traîneau pour fouler les gerbes" (qui viendrait de tĕrĕre "frotter"). |
Que pensent nos spécialistes de cette quatrième hypothèse ? Le mot travail aurait-il quelque chose à voir avec le mot tribulation ? |
Je ne sais pas ce qu'en pensent les spécialistes, mais ça rejoint l'une des nombreuses hypothèses listées sur la page Wiki :
Citation: | Il existe aussi le verbe latin tribulare « presser avec la herse, écraser (le blé) », au fig. en lat. chrét. « tourmenter ; torturer l'âme pour éprouver sa foi ». Du Cange relate le mot tribulagium qui désigne une corvée due au seigneur consistant à écraser le blé pour faire de la farine où à broyer des pommes pour faire du cidre. Le mot vient du mot latin tribulum qui est une herse destinée à cet effet. |
https://fr.wikipedia.org/wiki/Travail
http://www.languefrancaise.net/forum/viewtopic.php?id=12189 |
|
|
|
|
Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11198 Lieu: Meaux (F)
|
écrit le Saturday 03 Aug 19, 10:23 |
|
|
Cligès a écrit: | trībŭlātĭōne(m) aurait pu donner **tribleison en AF, **triblaison en MF.
J'adore faire de la phonétique fiction |
Avant d'en arriver là, voici ce que la phonétique tout court a donné : tribaylle, tribol, triboul, tribul, tribuil, triboil, tribouil, tribuel, tribuiel etc.
Mais i n'est pas a et, sauf en castillan, b n'est pas v.
Ne serait-ce pas l'origine du tribalhar gascon auquel Jeannotin s'est intéressé plus haut ?
Une remarque générale : je trouve assez fascinant et paradoxal qu'on ignore encore l'origine d'un mot comme travail qui a des cognats dans tant de langues européennes, dialectes compris.
Je vois que nous n'avons pas encore cité Pierre Guiraud. Je répare cet oubli. Voici ce qu'il dit de travail dans son Dictionnaire des étymologies obscures, p. 510
Tout postule un croisement entre tripalium « machine à ferrer les boeufs » et un roman *trabaculare d’après trabes « poutre » et trabicula « petite poutre ».
Trabicula a dû désigner le « chevalet » de la question (c’est aussi le sens de tréteau), d’où le lit de la femme en couches, métaphore qu’on retrouve dans gêner.
Quant au sens moderne « ouvrer », il procède, certes, de l’image populaire qui assimile le travail à une torture, mais il a des racines beaucoup plus profondes dans l’archétype du « travail » qui est celui de la « bête de somme ».
Les deux acceptions, l’ancienne et la moderne, correspondent aux emplois actif ou neutre de *trabaculare « torturer qqn » (c’est à dire l’étendre sur le chevalet) et « travailler » (c’est à dire supporter une charge comme un chevalet).
Voilà qui rejoint ceci :
Xavier a écrit: | travail : .... Godefroy parle d'un sens au Canada : brancard |
|
|
|
|
|
Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 897 Lieu: Pays de Loire
|
écrit le Saturday 03 Aug 19, 16:14 |
|
|
Vous savez que les mots ne nous sont pas livrés avec leur étymon ; d'ailleurs, la plupart de ceux-ci sont conjecturaux dans la mesure où nous manquons d'attestations pour les périodes primitives.
Il existe aussi des incertitudes concernant le mécanisme de certaines évolutions phonétiques, comme la "loi" de Bartsch, par exemple, ou même ce qu'on appelle classiquement la "diphtongaison" française.
Les dialectes sont un trésor, mais très malheureusement, c'est l'état moderne de la langue que l'on interroge ; quant aux manuscrits, ils ont des traits dialectaux peu accentués pour la raison que j'ai dite plus haut : la langue littéraire - je dirais presque la langue écrite, quand elle n'est pas le latin - est un outil modelé par les clercs.
Dans le cas de travail, ce qui est troublant, j'en conviens, c'est l'accord de nombreuses langues romanes.
Pour le reste, non possumus.
Comment s'explique tribaylle phonétiquement ? |
|
|
|
|
Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11198 Lieu: Meaux (F)
|
écrit le Saturday 03 Aug 19, 16:19 |
|
|
Citation: | Comment s'explique tribaylle phonétiquement ? |
Nous comptons sur vous pour nous le dire ! |
|
|
|
|
Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
|
écrit le Saturday 03 Aug 19, 20:37 |
|
|
Papou JC a écrit: | et, sauf en castillan, b n'est pas v.
Ne serait-ce pas l'origine du tribalhar gascon auquel Jeannotin s'est intéressé plus haut ? |
Dans les dialectes d'oc, si justement, le -p- latin intervocalique donne un -b- : lat. sāpōne(m) > prov. saboun, lat. capra > prov cabro.
Le rhodanien travai, avec son -v- intervocalique, sent l'emprunt au français, à l'exemple des mots de l'italien standard. Le provençal maritime a trabai qui, lui, doit être le vieux mot autochtone. |
|
|
|
|
Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 897 Lieu: Pays de Loire
|
écrit le Saturday 03 Aug 19, 21:11 |
|
|
Le problème est que je n'explique pas tribaylle à partir de tribulatio, il faudrait supposer quelque chose comme **tribaculum pour justifier le yod.
Mais j'y songe : tribaculum = trois bâtons ! Certainement un engin de torture cousin du tripalium !
Je m'arrête car Cratyle n'est pas loin... |
|
|
|
|
Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11198 Lieu: Meaux (F)
|
écrit le Saturday 03 Aug 19, 23:33 |
|
|
travailler = bâcler trois fois !!! Nous avons ailleurs un peu parlé de baculum... |
|
|
|
|
Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
|
écrit le Sunday 04 Aug 19, 11:56 |
|
|
Le FEW range tribaylle sous l'étymon *trĭpaliare et précise : mfr. tribaylle (Bordeaux 1419). Je me demande si ce n'est pas tout simplement un gasconnisme dans un texte (une charte ?) certes en français, mais bordelais. On a déjà vu que tribailh était la forme normale en gascon.
On touche ici les limites des recherches dans les dictionnaires, contre quoi Cligès nous avait avertis, et qui coupent les mots du contexte qui permet de les comprendre : ici un probable contact de langues. |
|
|
|
|
Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11198 Lieu: Meaux (F)
|
écrit le Sunday 04 Aug 19, 12:07 |
|
|
Arrêtons un peu avec cette ridicule bataille des Textes contre les Dictionnaires. Les deux sont évidemment complémentaires. On n'a jamais dit que les uns remplaçaient les autres ou étaient plus utiles.
S'il fallait brûler les dictionnaires et redépouiller tous les textes à la recherche des mots ...
Mais il y a de bons textes et de bons dictionnaires, comme de mauvais textes et de mauvais dictionnaires. Et des insuffisances ou erreurs dans les deux.
À nous de les débusquer, en collaborant, si possible. |
|
|
|
|
Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 897 Lieu: Pays de Loire
|
écrit le Sunday 04 Aug 19, 20:23 |
|
|
Les documents indispensables aux médiévistes sont les concordances, hélas peu nombreuses, anciennes et fondées parfois sur des éditions douteuses. Ce sont les concordances qui nous renseignent sur la fréquence de tel mot ou de telle expression chez tel auteur, sur certaines ressemblances dans le vocabulaire relatif à certaines notions d'un auteur à l'autre, sur les "néologismes" de formes ou de sens, sans oublier de regarder les variantes des manuscrits non retenues par l'éditeur. On peut aussi s'en servir pour aider à la recherche de la paternité d'un texte anonyme, mais à propos duquel les spécialistes ont de fortes présomptions (les œuvres "de jeunesse" de Chrétien, par exemple). Mais cela avec prudence, bien sûr ; c'est un moyen parmi d'autres. |
|
|
|
|
Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 897 Lieu: Pays de Loire
|
écrit le Saturday 21 Mar 20, 21:12 |
|
|
Voici comment j'établis l'histoire phonétique du mot travail :
IIe s. trĭpāliu(m) > *trĭpāl̮u Le l se combine avec le i (un yod en fait) pour donner un l « mouillé ».
IIIe s. *trĭpāl̮u > *trẹpal̮ọ
Le grand bouleversement vocalique fait disparaître les quantités latines au profit des timbres et fusionne :
a) les ĭ et ē latin en un son unique ẹ,
b) les ŭ et ō en un son unique ọ.
Les deux transformations sont illustrées ici.
Note : la forme trepalium est attestée en 576 ; à cette date, la graphie semble retarder notablement sur l’évolution (v ci-dessous), mais ne pas oublier que le scribe écrit en latin.
IVe s. *trẹpal̮ọ > *trapal̮ọ
Une assimilation avec le a de la voyelle accentuée fait passer le ẹ ou le ĕ libre ou entravé à a (cf balance < *bĭlancea ; aronde < hĭrunda (class. hirundinem) ; dauphin < dĕlphīnu(m).
Ve s. *trapal̮ọ > *traβal̮ọ > *traval̮ọ
Le p intervocalique se sonorise, puis se spirantise en changeant son point d’articulation (car β est instable en français).
VIe s. *traval̮ọ > *traval̮e̥
La voyelle finale se « décolore » en s’affaiblissant.
VIIe s. *traval̮e̥ > *travail̮
Elle finit par s’amuïr (seul le a final a survécu dans le e dit « muet »).
XVIe-XVIIe s.*travail̮ > travail [travaj]
Le l mouillé passe au son yod. On sait que certains individus, par affectation, resteront longtemps attachés au son l̮ dans des mots comme bouteille, bataille, fille, etc… du fait que les grammairiens jugeaient le yod « vicieux » et « propre à la petite bourgeoisie parisienne » (Hindret en 1687). |
|
|
|
|
dawance
Inscrit le: 06 Nov 2007 Messages: 1897 Lieu: Ardenne (belge)
|
écrit le Tuesday 24 Mar 20, 17:53 |
|
|
Je ne peux être convaincu pour plusieurs raisons. Sémantiquement, il n'est pas possible de confondre un trépied avec un "quadrupied", tel qu'est le travail du maréchal-ferrant.
J'ai aussi de grandes difficultés à avaler l'assimilation régressive, le i devenant a et le passage de p à v.
Le passage de trabaculum à travail est nettement plus digestif: b passant à v (très courant) et -aculum passant à -ail ( tel spiraculum > soupirail)
Avant de s'engager définitivement, je convie les Babéliens qui ne l'ont pas fait, à consulter Wartburg au mot lat. trabs, poutre et les nombreuses pages consacrées à ses dérivés, notamment tous les dialectes provinciaux trabà, entraver (attacher un animal).
Voir aussi le dico étymologique italien: trabaccolo dal lat. trabàculum chiusa formata di travi da tràbes trave. (cfr trabacca).
trabàcca da trabs o tràbes mediante un aggettivo *trabàcus fatto di travi.
Propr. Ricovero fatto o coperto di travole ; indi Padiglione da campo, da guerra.
NB: travailler et travail se disent en wallon ovrer et ovrèdje |
|
|
|
|
Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 897 Lieu: Pays de Loire
|
écrit le Tuesday 24 Mar 20, 21:33 |
|
|
Bloch-Wartburg dérive bien travail de *tripalium, attesté sous la forme de trepalium en 578.
Il allègue les mots trabem et ses dérivés, ce qui est en effet possible, mais, comme je l'ai indiqué, ce traitement n'est pas isolé, même si son processus divise les spécialistes, ce que j'eusse dû préciser d'ailleurs. J'ai donné trois autres exemples, en voici d'autres encore :
trimaculum > tramail (-culum subit bien sûr la même évolution que -lium),
*fenare > faner,
*glenare > glaner,
silvaticum > salvage> sauvage,
mercatum > marché,
pervenire > parvenir, ce qui fera passer per à par vu son emploi fréquent comme préfixe (Bourciez).
Et il y a d'autres exemples.
En italien aussi, travail se dit ordinairement lavoro et travailler lavorare.
Là au moins, pas de pb étymologique... |
|
|
|
|
Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
|
écrit le Wednesday 25 Mar 20, 13:04 |
|
|
dawance a écrit: | J'ai aussi de grandes difficultés à avaler l'assimilation régressive, le i devenant a et le passage de p à v. |
Le passage de -p- intervocalique à -v- est pourtant le traitement normal du français, avec une masse énorme d'attestations. |
|
|
|
|
|