« Le prince est occupé, il chasse »
La famille CAPTER
Patriarche indoeuropéen : *KAP-, « prendre, attraper »
Les branches
1. Il existe en français un certain nombre de verbes en -
cevoir, tous préfixés, dont on connaît la conjugaison un peu particulière, avec ses formes en -
cev-, -
çoi- et -
çu. L’ancêtre commun de tous ces mots et de leurs dérivés est le verbe latin
capere, part. pass.
captus, « saisir, prendre, contenir », l’étymon de chacun étant un dérivé préfixé – avec changement vocalique – de ce verbe (ex. lat.
recipere > fr.
recevoir). Il s’agit de
apercevoir, concevoir, décevoir, percevoir, recevoir, pour l’infinitif, et de
aperçois, aperçu, concevoir, conçu, etc. pour les autres formes, et
receveur.
2. Tous les mots français en -
capt-, radical de
captus, participe passé de
capere, en sont issus :
capter, capteur, captif, captiver, captivité, capture, ...
Dans certains mots latins – comme l’infinitif
capere lui-même – et dans un certain nombre de mots français qui en sont issus, ce radical -
capt- se réduit à -
cap- :
capable, incapable, capacité, ...
3. Dans les très nombreux dérivés latins préfixés de
capere, comme
recipere, receptus, « retirer, ramener, reprendre, recevoir, admettre », ou
suscipere, susceptus, « se charger de », on peut voir que le radical -
cap- s’est transformé en -
cip-. Tous les mots français en -
cip- en sont issus :
anticiper, émanciper, excipient, incipit, municipal, participe, participer, principal, principauté, principe, récipient, ...
4. Dans les participes passés des dérivés de
capere, comme
receptus et
susceptus, on voit que le radical -
capt- s’est transformé en -
cept-. Tous les mots français en -
cept- en sont issus :
accepter, concept, contraception, déception, excepter, intercepter, perceptible, perception, précepte, précepteur, réceptacle, réceptif, réception, susceptible, ...
5. Il y a enfin, dans la riche famille latine de
capere, des mots comme
occupare, « prendre d’avance, occuper » où l’on voit que le radical -
cap- s’est changé en -
cup-. Les mots français qui en sont issus se reconnaissent à ce même radical : il s’agit des seuls verbes
occuper et
récupérer et de leurs dérivés.
6. Cette riche famille, qui n’a pas de branche grecque [
1], a cependant une branche germanique issue d’un hypothétique *
hafnō-. Le français n’en a hérité que le mot
havre et l’emprunt à l’anglais
behaviourisme mais l’anglais et l’allemand ont reçu une bonne part de l’héritage, notamment leurs équivalents de notre verbe
avoir (Voir à la fin dans ces deux langues les mots commençant par
h).
Les mots français
avoir et
habiter sont quant à eux issus du latin
habere, lequel remonte à une racine indoeuropéenne *GhAB- concurrente de *CAP- pour traduire l’idée de « prendre, saisir, avoir ». [
2]
Les invités masqués
1. Dans
capt-, il a perdu le
p :
catch, un cousin d’outre-Manche. En fait, comme bien d’autres mots anglais (
interview, pedigree, tennis, ...), il avait d’abord passé la Manche dans le sens sud - nord puisqu’il est issu de l’ancien picard
cachier, « attraper, chasser ». Dérivé :
catcheur.
2. Celui-là, il est bien vénitien ! Dans -
capt-, il a remplacé le
c par un
g et caché le
p :
régate, du vénitien
regata, « défi », dérivé de
regatar, « rattraper, rivaliser », du bas latin *
recaptare.
3. Dans -
cept-, il a transformé
p en
t ce qui lui donne un faux air de terminaison diminutive en -
ette :
recette, issu de
recepta, féminin singulier du participe passé de
recipere.
4. Heureusement que le -
cip- de sa
principauté révèle ses origines car de -
cept-, il ne conserve pratiquement que le
c : dans son deuxième élément, après le préfixe
prin- (famille
PREMIER) :
prince, du latin
princeps, « chef, prince ». Dérivés :
princesse, princier.
5. Il a trois accents en français mais aucun en latin, et c’est un des rares mots en -
cep- de la famille [
3] :
récépissé, infinitif parfait de
recipere, abréviation de
cognosco me recepisse, « je reconnais avoir reçu ».
6. Quant à ceux-là, depuis la transformation du
c en
ch, ils ne sont plus du tout reconnaissables :
acheter, chasser, chétif (voir Curiosités ci-après). [
4]
Curiosités
1.
acheter est issu d’un latin populaire *
accaptare, dérivé du classique
captare, « chercher à prendre », fréquentatif de
capere. Du sens de « prendre, obtenir », on est passé progressivement à « échanger contre de l’argent ». Dérivés :
achat, acheteur, rachat, racheter.
En latin
acheter se disait
emere, mot d’où sont issus
consumer, résumer, assumer, périmé, exemple, somptueux, prompt, ... et les doublets
rançon et
rédemption. [
5]
2.
chasser est issu d’un bas latin *
captiare, forme parallèle de
captare. Dérivés :
chasse, chasseur, chasseresse, pourchasser.
En latin,
chasser se disait
venari, d’où sont issus
veneur et
vénerie, termes de chasse à courre.
3.
chétif, issu du latin
captivus, est donc le doublet populaire de
captif. Il a suivi la même évolution phonétique qu’
acheter. (Voir plus haut). Il a signifié “prisonnier”, notamment "du démon, du malin", d’où, ensuite, “malingre, maigre”.
4.
émanciper : emprunt au latin classique juridique
emancipare, “libérer de l’autorité paternelle”, formé de
ex- et
mancipare, “vendre”. Ce verbe vient de
mancipium, “droit de propriété, propriété”, composé de
manus, “main”, et
capere. Dérivé :
émancipation.
5.
municipal : du latin
municipalis, adjectif de
municipium, “ville (du Latium ou de l’Italie) possédant le droit de cité romaine, tout en continuant à vivre selon ses propres lois”. Ce nom est dérivé de
municeps, “citoyen d’un municipium”, extension de “celui qui prend part aux charges”. En effet,
municeps est composé de -
ceps et de
munia, “charges officielles”, archaïsme pour
munus, “charge” (cf.
commun, immunité, munificence, rémunérer). Dérivé :
municipalité.
Homonymes et faux frères
1. Il y a
recouvrer et
recouvrir !
–
recouvrer est de la famille : il vient du latin
recuperare ; c’est donc un doublet de
récupérer (branche 5). Dérivé :
recouvrement.
–
recouvrir est un dérivé de
couvrir, lui-même issu du lat.
cooperire, « couvrir entièrement ». Dérivés :
couvert, couverture, couvercle, découvrir, découverte, ...
Il y avait en latin classique deux verbes antonymes formés sur la même base :
aperire, « ouvrir » (> fr.
apéritif) et
operire, « fermer ». En latin vulgaire, pour exprimer le sens de « couvrir, fermer »,
cooperire a complètement éliminé
operire ; quant à
aperire, tout en gardant le sens d’ « ouvrir », il est devenu *
operire sous l’influence de
cooperire. En d’autres termes, à un couple hypothétique *
avrir / *
ouvrir issu du latin sans changements de sens, la langue française a préféré le couple
ouvrir / couvrir, et est allé chercher dans la
fermeté l’expression de la
fermeture.
2. Beaucoup de mots français en -
cap- sont issus d’une autre grande famille, celle des descendants du latin
caput, gén.
capitis, « tête » :
cap, cape, capitaine, capital, capituler, caporal, capot, caprice, capuche, décapiter, escapade, rescapé, etc. (Voir la famille
CAPITAL).
3. Les mots en -
cup- de la famille de
cupide (
Cupidon, cupidité, concupiscent, etc.), sont sans rapport avec
occuper ou
récupérer ; ils sont issus du latin
cupere, « désirer ».
Dans d’autres langues indoeuropéennes
esp.
acatar, caber, cazar, concebir, ocupación, ocupar, percance, percibir, recatar, recado, recato, rechazar, recibir, regatear, regazo
port.
acatar, caber, caçar, capaz, conceber, ocupar, perceber, recebe
it.
accettare, cacciare, capace, capire, cattivante, cattivo, occupare, ricevere
angl.
behave, caption, catch, chase, conceive, cop, deceive, haft, have, haven, heave, heavy, incipient, occupation, occupy, perceive, purchase, receive
all.
akzeptieren, Behuf, haben, Habicht, Hafen, Haft, haften, happen, haschen, Häscher, Hebel, heben, Hefe, Heft, heften, heftig, Prinz
rus.
концепт, оккупант, принц, принцип
Notes
1- Les mots grecs
καπτειν, kaptein, « happer hâtivement », et
κωπη, kôpê, « poignée, manche » se rattachent à la racine *KAP- mais ils n’ont pas eu de descendance française.
2- ... et concurrente d’une autre racine au sens proche, *GHED-. (Voir
prendre dans la famille
PREMIER).
3- S’il n’y a aucun doute pour
princeps, mot latin utilisé comme adjectif dans
édition princeps, « première édition d’un livre », les choses sont moins claires pour
forceps.
4- Certains considèrent
châsse, caisse, capsule (issus du lat.
capsa, « boîte, caisse en bois circulaire »),
câble, cabas, et
acabit, ces deux derniers d’origine provençale, comme faisant aussi partie de cette famille ; entre autres arguments, sachant que
capere est devenu
caber en castillan, l’hypothèse n’est pas infondée.
5- Le verbe
emere n’a pas non plus été conservé dans les autres langues romanes. Il a été remplacé au IIe s. par
comparare, « procurer » d’où sont issus l’italien
comprare et l’espagnol
comprar. Le français
comparer est issu d’un autre verbe lat.
comparare homonyme qui signifie « apparier ».