« Les primaires de la présidentielle »
La famille PREMIER
Patriarche indoeuropéen : *PER-, « en avant, devant, par, vers, contre, autour, ... »
Les branches
1. Parmi les principaux ancêtres latins de cette famille on trouve d’abord les deux prépositions
prae, « en avant, à cause de », et
praeter, « au-delà de, à l’exception de ». En sont issus les nombreux mots qui commencent par le préfixe
pré - ou par le radical
pre - :
préambule, précéder, précoce, prédilection, prédominer, préférer, préfixe, préjugé, préliminaire, prélude, prématuré, prémédité, prémices, premier, présider, prévenir, prévention, prévision, prévoir, ...
2. D’autres ancêtres latins de cette famille commencent par
pri-, comme
prior, « plus en avant, qui précède », et
privus, « particulier, propre à chacun ». En sont issus la plupart des mots qui commencent par
pri - ou qui contiennent le radical -
pri - :
primaire, primate, primauté, primerose, primesautier, primeur, primevère, primitif, primogéniture, primordial, prince, principe, principal, priorité, priver, privilège, apprivoiser, ...
3. D’autres ancêtres latins commencent par
pro-, comme
pro, « en avant, en faveur de, à la place de »,
proprius (<
pro privus), « qui appartient en propre, caractéristique », et d’autres ancêtres grecs commencent par
προ, pro et
προς, pros, « en avant », comme
πρωρα, prôra, « proue », et
πρωτος, prôtos, « le premier ». En sont issus tous les mots qui commencent par
pro - et leurs dérivés [
1] :
Branche latine :
prodige, propre, prou, proue, prouesse, copropriété, exproprier, impropre, malpropre, ...
Branche grecque :
problème, programme, prologue, pronostic, protagoniste, protéine, prothèse, protide, protocole, proton, prototype, ...
4. Mais
προ, pro n’est pas le seul ancêtre grec ; se rattachent aussi à cette famille les prépositions
παρα, para, « du côté de, auprès de », et
περι, peri, « en avant, au-dessus de, autour de ». En sont issus un certain nombre des mots qui commencent par
para - et tous ceux qui commencent par
péri - :
parabole, paradoxe, paragraphe, parallèle, paralysie, paraphrase, parasite ;
périmètre, péripétie, périphérie, périphrase, périscope, période, ...
5. En français cette famille ne semble pas avoir de branche germanique, du moins dans l’état actuel des connaissances [
2]. Ce n’est évidemment le cas ni de l’anglais ni de l’allemand (voir ci-dessous), langues dans lesquelles – suite à un changement phonétique normal du /p/ indoeuropéen en un /f/ germanique – figurent nombre de mots en -
f.r- qui se rattachent à la racine *PER-. On remarquera à cette occasion, dans un cas comme dans l’autre, combien les mots grammaticaux (prépositions et préfixes en l’occurrence), piliers quasi immuables des langues, sont restés insensibles aux influences tardives. C’est cela même, semble-t-il, qui fait du français une langue fondamentalement romane, et des deux autres des langues fondamentalement germaniques, et ce, quels que soient les pourcentages d’emprunts lexicaux réciproques.
Les invités masqués
Les doublets
prude et
preux – tout comme
prou (branche 3), qui ne survit que dans la locution
peu ou prou – sont issus du latin vulgaire *
prodis, « utile, efficace, courageux », d’où la
prouesse, le
prud’homme et la
prude. Ce dernier mot a pris au XVIIe s. le sens péjoratif actuel de “personne qui fait la modeste”, puis de “femme d’une réserve excessive ou affectée quant aux mœurs ou à la bienséance.” On en a un bon exemple dans
Le Misanthrope de Molière en la personne de « la prude Arsinoé ».
(Voir aussi
Forum Babel.)
Curiosités
1. Le
précoce abricot : une série de mots apparentés dans les langues romanes atteste l’histoire compliquée de ce terme, reflet de celle du fruit qu’il désigne. Originaire de Chine, l’abricot a commencé sa carrière méditerranéenne en Syrie. Les Grecs l’avaient appelé
arméniakon, “fruit d’Arménie”, parce que l’Arménie était sa provenance immédiate. Pour les Latins, la
pruna armeniaca se nommait aussi
praecoquum, “le (fruit) précoce”. Le mot, repassé en grec sous la forme
πραικοκιον, praikokion, fut d’abord adopté par les Arabes sous la forme
barqūq برقوق et ensuite sous la forme
albaricoque dans la péninsule ibérique, puis plus au Nord, et notamment en France.
En Égypte le mot
barqūq برقوق désigne actuellement la prune alors que l’abricot y est appelé
meshmesh مشمش .
2. Le
parvis (de l’église) et le
paradis : doublets – l’un populaire et l’autre savant – dérivés du latin chrétien
paradisus, ce dernier du grec
παραδεισος, paradeisos, désignant un parc clos pour bêtes sauvages et employé seulement à propos des parcs des rois et des nobles perses. Par extension, jardin d’agrément. Dans la Genèse biblique, c’est l’autre nom du “jardin d’Éden”. Le mot grec est emprunté au persan *
pardez (devenu
pālēz, “jardin”) qui signifiait “enclos”, son premier élément,
par-, correspondant au grec
περι-, peri. [
3]
3. Les
péripatéticiens et les
péripatéticiennes : de
περιπατειν, peripatein, “aller et venir, se promener en conversant”, de
περι, peri, “autour”, et
πατειν, patein, “marcher sur, fréquenter”. D’où
περιπατετικος, peripatetikos, “qui aime à se promener en discutant”, employé en philosophie à propos d’Aristote et de ses disciples, à qui le Maître enseignait en déambulant dans les allées du Lycée.
Quant aux
péripatéticiennes, elles aussi déambulent, mais dans certaines rues de nos villes, et pour des raisons qui n’ont plus grand chose à voir avec la philosophie...
Deuxième élément du mot, le verbe
patein se rattache quant à lui à une racine *PENT- dont les divers descendants ne manquent pas d’intérêt. On trouve en effet parmi eux
- le grec
ποντος, pontos, “mer, voie de communication” (> fr.
le Pont, le Pont-Euxin, l’Hellespont),
- le latin
pons, “pont” (> fr.
pont, pontife),
- le germanique *
finthan, “tomber sur, trouver” (> angl.
find),
- l’iranien *
path- (> angl.
path, via le germ. *
patha-, “chemin, route”),
- le vieux slave *
ponti d’où est issu le mot russe
путь, put’, “la voie, le chemin”, mot que l’on retrouve en composition dans
спутник, Spoutnik, “le compagnon de voyage”, et
Распутин, Raspoutine, “le dévoyé”.
4. Par leur
pr- initial ou radical, le verbe
prendre (n. d’act.
préhension), son participe passé
pris , et tous leurs composés, sont aussi de la famille. Ce verbe est en effet issu, via le latin
pre(he)ndere, « saisir, prendre », d’une forme indoeuropéenne complexe *(PER)-GHE(N)D- dont la base est *GHED-. Cette graphie de base rend bien compte de l’étymon germanique *
getan et de son descendant anglais universellement connu,
get, mais moins bien des descendants romans, qui, comme leurs étymons latins, commencent tous par le préfixe
pr- et sont le plus souvent dotés d’un infixe nasal -
n-. Entre préfixe et infixe, la partie *GH- du radical se réduit à
h- dans les formations savantes (-
préhend-), ou disparaît carrément dans les formations populaires (-
prend-).
Les mots
proie et
prédateur sont issus de la même source.
5.
parangon : emprunté à l’italien
paragone, « pierre de touche, modèle, comparaison », déverbal de
paragonare, « comparer, éprouver avec la pierre de touche », lui-même emprunté au grec
παρακοναν, parakonan, composé du préfixe
παρα- et de
ακοναν, « aiguiser », verbe dérivé de
ακονη, akonê, « pierre à aiguiser ». Le mot a pris au XVe s. son sens moderne de « modèle, type accompli », notamment dans la locution
un parangon de vertu.
6.
perestroïka : « restructuration de fond en comble », du slavon
pere-, « autour, de nouveau », représentant slave de la famille, -
stroi-, « construire », -
ka-, « processus ». Nom historique donné à la politique sociale et économique de Mikhail Gorbatchev de 1985 à 1991.
7. Le verbe latin
praebere, « présenter, fournir », est à l’origine de deux mots un peu vieillis, l’un populaire :
provende, et l’autre savant :
prébende, à ne pas confondre. La
provende, ce sont “les choses à fournir, les vivres, les provisions de bouche”, alors qu’une
prébende est un “revenu fixe accordé à un ecclésiastique”, ou le titre qui donne droit à ce revenu.
Homonymes et faux frères
1. Il y a
para - et
para - !
-
para- (1), auquel nous avons ici affaire, représente le préfixe grec
παρα-, para-, tiré de la préposition
παρα qui s’est prêtée à exprimer une grande quantité de sens très divers, depuis la ressemblance jusqu’à la différence, les deux notions naissant de la juxtaposition spatiale et du sens premier de “auprès de”. En français,
para- exprime souvent l’idée de contigüité, de proximité spatiale, ou d’appartenance à un domaine proche. Il figure d’abord dans de nombreux termes empruntés au grec (
paragraphe, parasite, etc.), le plus souvent via le latin, ou adaptés du grec. Puis il apparaît comme élément formant dans le système morphologique du français. Il indique la ressemblance plus ou moins prononcée (et souvent trompeuse), la marginalité, voire l’anomalie, glissant de l’idée de “proximité” (
paramilitaire, parapharmacie, paramédical) vers celle d’ “exclusion” (
paralittérature).
-
para- (2) est tiré de mots empruntés à l’italien, comme
parasol et
paravent, ou adaptés de cette langue, comme
parapet. Il est dérivé de
parare, “protéger”, qui correspond au français
parer, avec l’idée de protection contre quelque chose que ce verbe a dans les locutions
parer un coup, parer à toute éventualité, parer au plus pressé. (Voir la famille
PART).
2. Il y a
pré -,
pré ,
près et
prêt !
-
pré est issu du latin
pratum, même sens, d’origine inconnue. Dérivé :
prairie.
-
près est issu du latin
presse, « de près » (voir la famille
PRESSE). Dérivés :
après, auprès, ...
-
prêt (adj.) et
prêt (n.m.) sont issus du latin
praesto, « sous la main », d’origine inconnue. On a proposé une parenté avec la racine *STA- (famille
STATION). Dérivés :
prestation, prestidigitateur, prêteur, apprêt,...
3. Il y a
prieur et
prier !
En dépit des apparences, et même s’il prie souvent dans son
prieuré , le nom du
prieur n’a rien à voir avec le verbe
prier.
Prieur est issu du latin
prior, « le premier (d’une communauté religieuse) », alors que
prier est issu du latin
precari, même sens. Dérivés :
précaire, imprécation.
4. Il y a
prime et
prime !
- L’adjectif
prime vient du latin
primus, « premier ». Il est donc bien de la famille mais il est peu usuel ; on ne le trouve plus guère que dans les locutions
dans sa prime jeunesse et
de prime abord.
- Le nom féminin
prime vient du latin
praemium (<
prae emere), « ce que l’on prend ou reçoit avant les autres, récompense, butin », via l’anglais
premium prononcé /primiom/. Par son préfixe il est donc aussi de la famille.
Quant à son deuxième élément, le verbe
emere, « prendre, recevoir, acheter », il est à l’origine de mots comme
consumer, résumer, assumer, périmé, exemple, somptueux, prompt, ... et des doublets
rançon (populaire) et
rédemption (savant).
5. Il y a
pris et
prix !
Le nom
prix est issu du latin
pretium dont l’étymologie reste obscure. Une hypothèse le rapproche du vieux slave
protivu, russe
против, protiv, “contre”, et du grec
προτι, proti, “contre, sur, vers, etc.”. Une autre hypothèse le rapproche du latin
interpres (> fr.
interprète), “intermédiaire”, avec l’idée commune de “commerce, échange”. Mais comme on ne sait pas d’où vient le radical -
pres de
interpres, on n’est pas très avancé. Quoi qu’il en soit, il importe de ne pas confondre un commissaire-
priseur avec un commissaire
priseur ... de tabac !
6. Il y a
prude et
prudent !
L’adjectif
prudent vient de
prudens, lui-même issu de
providentia, « la sagesse qui consiste à prévoir ».
Prudence, providence et
prévoyance ont donc le même étymon (voir la famille
VIDÉO). Dérivés :
prudence, prudemment, imprudent, imprudence, imprudemment.
7.
prolétaire : du latin
proletarius, “citoyen de la dernière classe, qui ne fournit à la cité d’autre ressource que sa progéniture (en latin,
proles)”.
Prolifique, le
prolétariat ? Ah ! la
prolifération des
prolétaires ! (Pour -
fération, voir la famille
FERTILE).
Dans d’autres langues indoeuropéennes
esp.
para, paraíso, paralelo, periferia, pero, por, prever, primero, principio, prioridad, privar, proa, propio, protón
port.
para, paraíso, paralelo, primária, primeiro, principal, princípio
it. :
per, prima, primo, principe, principio, privato, programma, proprietà
angl.
before, far, first, for, forbid, forefather, foremost, forget, former, forth, frame, from, further, improve, paradise, paramount, parapernalia, pride, priest, prime, principle, prior, private, prone, proper, protein, prow
all.
fern, First, früh, für, Fürst, Priester, primieren, Prinz, Prinzipal, Prior, Priorität, Privat, ver-, verbieten, verdienen, vergessen, verlieren, vor
rus.
паразит, первый, перед, перестройка, премьер, премия, приоритет
Notes
1- La racine *PRO-KwE-, « près, proche », est considérée par certains comme une extension de *PER-. En sont issus
proche, approche, reproche, etc. De même, les racines *PER-(T)- (famille PORT), et *PR-EM- / *PR-ES- (famille PRESSE) sont probablement d’autres extensions de *PER-.
2- Certains auteurs situent le verbe
fournir (angl.
furnish) parmi les descendants de la branche germanique.
3- On voit que l’idée constitutive de “jardin” repose en Perse comme en Europe et probablement ailleurs sur la notion de “clôture, enclos”. « Lieu enclos », c’est en effet le sens de la racine indoeuropéenne *GHOR-TO- d’où sont issus
jardin (branche germanique),
hort-, cohorte, court (de tennis) et
cour (< lat. cohortus),
-gorod, -grad (en toponymie, branche slave).