Les grandes familles de mots




« L’esclave de Cléopâtre »

La famille CLOVIS


Patriarche indoeuropéen : *KLEU-, « entendre, renommée »




Note préliminaire : Bien que cette racine ne soit à l’origine que d’un petit nombre de mots français, il a semblé intéressant de l’inclure dans la série des « grandes familles » au vu de son importance anthroponymique internationale.

Les branches

1. LA BRANCHE GRECQUE :


Il existe bien, en latin, un verbe clueo, « s’entendre dire, avoir la réputation de », et un adjectif inclutus, « célèbre, illustre », qui se rattachent à notre racine, mais ils sont restés sans descendance française.


C’est donc vers la langue grecque qu’on se tournera d’abord pour y trouver les principaux ancêtres de la famille que sont le verbe κλείω [kleíô], « appeler, nommer », l’adjectif κλειτός, [kleitós], « illustre », et surtout le nom κλέος [kléos] « bruit qui court ; réputation, renom, gloire », qui se transforme en κλεο- comme premier composant et en -κλῆς [-klês] comme composant final de nombre d’anthroponymes dont nous ne citerons que les plus célèbres. Priorité à la Muse, dont le nom est directement dérivé du verbe.

Clio

En grec : Κλειώ [Kleiô], « celle qui donne la gloire »

Clio est la Muse de l’Histoire. Elle est généralement représentée sous la figure d’une jeune fille couronnée de lauriers, tenant dans sa main droite une trompette, qui représente la renommée, et dans la gauche un livre où sont consignés les récits du passé.

Cléopâtre

En grec : Κλεοπάτρα [Kleopátra], « gloire de son père »

Septième du nom, célèbre pour son nez et sa beauté, la dernière reine d’Égypte se distingue par son destin hors du commun qui fut mêlé à ceux de Jules César et de Marc Antoine. Aussi habile séductrice que fin politique, elle lutta pour sauvegarder une civilisation millénaire à laquelle elle était particulièrement attachée.

Damoclès

En grec : Δαμοκλῆς [Damoklês], « gloire du peuple »

Courtisan de Denys l’Ancien, tyran de Syracuse, Damoclès entra à jamais dans la légende par l’épée – L’épée de Damoclès – que Denys fit suspendre à son insu au-dessus de sa tête au cours d’un banquet pour lui montrer que la vie ne tient qu’à un fil.


Héraclès, lat. Hercules, fr. Hercule

En grec : Ἡρακλῆς [Hêraklễs], « gloire d’Héra »

Célèbre pour sa force physique, c’est l’un des héros les plus vénérés de la Grèce antique. Les mythologies grecque et latine lui prêtent un très grand nombre d’aventures dont les plus célèbres sont ses douze « travaux », Les travaux d’Hercule.

Dérivé : herculéen.


Héraclite d’Éphèse

En grec : Ἡράκλειτος ὁ Ἐφέσιος [Hêrákleitos ho Ephésios], même sens que le précédent.

Philosophe présocratique de la fin du VIe siècle av. J.-C. dont les idées-forces sont le feu comme principe du monde, l’union des contraires, le mobilisme, et l’éternel retour.


Périclès

En grec : Περικλῆς [Periklếs], « entouré de gloire, très glorieux »

Né et mort à Athènes (495 - 429 av. J.-C.), Périclès fut un éminent et influent stratège, orateur et homme d’État durant l’âge d’or de la cité, plus précisément entre les guerres médiques et la guerre du Péloponnèse. Périclès s’illustra également dans la promotion des arts. Il eut une influence si profonde sur la société athénienne que son époque est parfois appelée Le siècle de Périclès.


Sophocle

En grec : Σοφοκλῆς [Sophoklễs], « renommé pour sa sagesse »

Né à Colone (496 ou 495 - 406 ou 405 av. J.-C.), Sophocle est, avec Eschyle (qui l’a précédé) et Euripide (qui lui a succédé), l’un des trois grands tragédiens grecs dont l’œuvre nous soit partiellement connue. Il écrivit cent-vingt-deux pièces (dont une centaine de tragédies), mais seules sept nous sont parvenues, dont Antigone, Electre, Œdipe roi et Œdipe à Colone.



2. LA BRANCHE GERMANIQUE

L’ancêtre germanique à qui la langue française doit quelques vieux prénoms francs en C(h)lod- est la forme reconstituée *khludai, « entendu, réputé » (cf. anglais loud, « sonore, bruyant »). Les deux plus célèbres noms français dotés de ce composant initial sont :

Chlodovech

« glorieux combattant »

Plus connu sous le nom de Clovis (466 - 511), il fut d’abord roi des Francs saliens, puis de tous les Francs. Il accrut considérablement le territoire du petit royaume dont il hérita à la mort de son père. Il unifia une grande partie des royaumes francs, repoussa Alamans et Burgondes et annexa les territoires des Wisigoths dans le sud de la Gaule. Le règne de Clovis nous est connu par la description qu’en fit l’évêque gallo-romain Grégoire de Tours.

Clodoald

« gloire et pouvoir »

Petit-fils de Clovis, il est plus connu sous le nom de saint Cloud (522 - 560). Il préféra renoncer à la royauté – et à ses longs cheveux – pour devenir ermite et moine. Sa vie exemplaire lui valut d’être reconnu par l’Église comme un saint, et d’être le premier prince franc qu’elle ait honoré d’un culte public.

Dérivé : clodoaldien (gentilé de la ville de Saint-Cloud).



3. LA BRANCHE SLAVE

Le grand ancêtre est ici le slavon слава [slava], « gloire, renommée »[1], mais d’autres mots slavons comme слово [slovo], « mot », et славянин [slovenin], « slave » lui sont probablement apparentés. Le mot слава [slava] est à la source du suffixe -слав [-slav] – devenu parfois -slas en français – de très nombreux anthroponymes, parmi lesquels :

Ladislas, polon. Władysław, Ładysław

En cyrillique : Владислав [Vladislav], « pouvoir et gloire »

Notamment : Władysław IV, roi de Pologne (1595 – 1648)

Stanislas, polon. Stanisław

En cyrillique : Станислав [Stanislav], « devenir et gloire »

Notamment : Stanisław Leszczyński (1677 – 1766), qui fut cinq ans roi de Pologne, puis maria sa fille Marie à Louis XV et termina sa vie comme duc de Lorraine et de Bar. Souverain éclairé, il dota sa capitale, Nancy, du magnifique ensemble édifié autour de l’actuelle place Stanislas. À sa mort, la Lorraine fut rattachée au Royaume de France.

Venceslas, tch. Václav

En cyrillique : Вячеслав [Viatcheslav], « le plus glorieux »

Notamment : Saint Venceslas Ier de Bohême (907 – 929 ou 935), souverain tchèque et patron de la République tchèque.

Iaroslav

En cyrillique : Яровслав [Yaroslav], « ardent et glorieux »

Notamment : Iaroslav le Sage, grand-prince de Kiev (978 – 1054)

Et aussi

Bohuslav, « gloire de Dieu » (B. Martinu), Mstislav, « vengeance glorieuse » (M. Rostropovitch), Sviatoslav, « saint et glorieux » (S. Richter), etc.

Et enfin l’ethnonyme slave lui-même et ses dérivés : slavon, slavisant, slaviser, slovaque, slovène, yougoslave,…

Le nom de Slaves est mentionné pour la première fois en 500 après J.-C. : il désigne des peuples indoeuropéens du Nord, voisins des Baltes et des Germains sur le plan ethnolinguistique, mais apparus tardivement dans l’Histoire. Ce nom signifie très probablement « les glorieux ».

Les invités masqués


1. De Clovis il a perdu le C initial et transformé le v en u : Louis – et a fortiori le moins usuel Ludovic – est en effet issu du bas latin Ludovicus, lui-même de Chlodovechus, forme latinisée de Chlodovech. (Voir aussi l’Annexe).

Dérivés : louis (d’or), Louise, Louisette, Louisiane, louisianais, …


2. Il enserre le s de slave entre un e et un c : esclave. (Voir Curiosités ci-après).

Curiosités


1. esclave est un emprunt au latin médiéval sclavus, même sens, proprement « slave ». Il s’agit probablement d’une formation régressive à partir de *sclavone, « slave », pris pour un accusatif et issu du slave primitif *slovēninŭ, même sens ; la même évolution a eu lieu en grec médiéval (cf. formes Σκλάβος [Sklábos], Σκλαβηνός [Sklabênós]).

Le changement de sens slaveesclave, comparable à celui qu’a connu le mot nègre quelques siècles plus tard (cf. être le nègre de qqn), s’explique par le grand nombre de Slaves réduits en esclavage dans les Balkans par les Germains, les Byzantins et les Vénitiens pendant le haut Moyen Âge.

Dérivés : esclavage, esclavagiste.


2. ciao, forme de salutation familière devenue courante en français dans la deuxième moitié du XXe s., est empruntée à l’italien du Nord ciao, langue dans laquelle ce mot a la même fonction. Tout comme esclave, cette forme est issue du latin sclavus via la forme vénitienne sc'ia(v)o, « esclave », utilisée pour prendre congé de quelqu’un, comme on disait autrefois en français, un peu cérémonieusement, « [Je suis votre] serviteur ».

Homonymes et faux frères


1. Il y a clod- et claud- !
L’élément claud- se retrouve dans les mots claudiquant, claudiquer et claudication, issus de l’adjectif latin claudus, « boiteux », mot auquel le prénom Claudius (fr. > Claude) est probablement apparenté.


2. Il y a cloud et clou !
clou est issu du latin clāuus, même sens, d’une racine indo-européenne *KLĀU -, « cheville, goupille », dont la descendance française est assez riche : clé, clavier, conclave, cloison, cloître, conclure, etc.


3. Il y a -ocle et -ocle !
La terminaison -ocle de monocle, par exemple, est issue du nom latin oculus, « œil », d’une racine indo-européenne *OKw-, « voir, œil », dont la descendance française est, elle aussi, assez riche. (Voir famille OCULAIRE).


4. clitoris est un emprunt au grec κλειτορίς [kleitoris], mot d’origine inconnue, probablement sans rapport avec l’adjectif κλειτος.


5. péricliter n’a de rapport ni avec Périclès ni avec Héraclite ni avec le latin tardif perinclitus. C’est un emprunt au verbe latin periclitari, « faire l’essai, risquer de », d’où « être en péril », dérivé de periculum, « péril ». (Voir famille PORT).

Dans d’autres langues indoeuropéennes


esp. eslavo, esclavo, ínclito, perínclito, Ladislao, Luis

port. eslavo, escravo, ínclito, perínclito, Luís

it. ciao, ìnclito, perìnclito, schiavo , slavo, Luigi

angl. listen, loud, slave, slavic, Lewis, Slav, Slavonic

all. Ablaut, Umlaut, lauschen, laut, slawisch, Ludwig, Slawe, Slawin

rus. слава, славить, славный, слово, словарь, словарный, словесность, словесный, славословить, Людовик, Хлодвиг

Annexe

Jacques Prévert - Les belles familles (Paroles)

Louis I
Louis II
Louis III
Louis IV
Louis V
Louis VI
Louis VII
Louis VIII
Louis IX
Louis X (dit le Hutin)
Louis XI
Louis XII
Louis XIII
Louis XIV
Louis XV
Louis XVI
Louis XVII
Louis XVIII
et plus personne plus rien...
qu’est-ce que c’est que ces gens-là
qui ne sont pas foutus
de compter jusqu’à vingt ?

Notes


1- La Slava est aussi une tradition religieuse de l’Église orthodoxe serbe qui célèbre le jour de la fête du saint patron de la famille ; toutes les familles serbes ont leur saint patron ; les Serbes sont le seul peuple chrétien à la pratiquer en majorité.








Les grandes familles de mots

par Jean-Claude Rolland

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