Les grandes familles de mots




« Le dictionnaire du bénédictin »

La famille DICTER


Patriarche indoeuropéen : *DEIK-, « montrer, déclarer »


Les branches

1. Le principal ancêtre latin de cette famille est le verbe dicere qui a donné en français le verbe dire et ses formes conjuguées aux radicaux -dis- et -dit-. Appartiennent donc à la famille de dire :

dire, maudire, redire, contredire, dédire, médire, prédire, ...
disant, disait, interdisant, médisant, soi-disant, ...
édit, interdit, maudit, redite, condition, ...



2. Le participe passé de dicere, dictus, et aussi le verbe dictare, « dire à haute voix, répéter, dicter », sont à la source de mots français en -dict- :

dictateur, dictée, dicter, diction, dictionnaire, dicton, addiction, bénédiction, contradiction, interdiction, juridiction, malédiction, prédiction, valédictoire, verdict, vindicte, Bénédicte ... et aussi diktat (emprunt à l’allemand)


3. Issus de dicere, de dicare, « déclarer solennellement, consacrer à une divinité », ou de composés préfixés comme indicium, « indication », certains mots français de cette famille ont conservé le radical -dic-, aussi écrit -diqu- quand l’orthographe l’exige :

abdication, dédicace, indicateur, indicatif, indication, indice, indicible, judicieux, prédicateur, préjudice, revendication, ...
abdiquer, fatidique, indiquer, revendiquer, véridique
, ...


4. La famille française n’a pas de branche germanique mais elle a une branche grecque dont le principal représentant est δικη, dikê, « règle, droit, justice », avec son dérivé συνδικος, sundikos, « qui assiste qqn en justice ». En sont issus les mots syndic, syndicat, syndical et syndiquer.
Les invités masqués

1. Ce benêt de Benoît est bien déguisé ! Derrière ces doublets se cache le participe passé benedictus du verbe latin benedicere, « dire du bien de ». Grâce à la bénédiction du bénédictin, on sait heureusement encore à qui on a affaire ! Autres dérivés : bénir, bénitier.


2. dédier : vient du latin dedicare, « déclarer, révéler, consacrer, faire hommage ». D’où la dédicace, son nom d’action, sur lequel fut fabriqué plus tard le verbe dédicacer.


3. index : emprunt au latin index, « celui qui montre ». L’appartenance de ce mot à la famille se voit plus clairement à son génitif, indicis. Dérivés : indexer, indexation.
(Voir aussi Curiosité).


4. juger : issu de judicare (agglutination de jurem dicere), « dire le droit », mot déjà composé en latin, et que l’on retrouve intact dans juridique, de juridicus. Dérivés : juge, jugement.


5. prêcher vient du latin predicare. Celui-là aussi, heureusement que nous avons à notre disposition la prédication du prédicateur pour le reconnaître sous la patine du temps ! Autres dérivés :prêche, prêchi-prêcha.


6. venger et revanche viennent du latin vindicare, « venger », mais le plus vindicatif de tous, c’est le corse, vendetta ! L’élément vin- est d’origine incertaine ; peut-être de vim, accusatif de vis, « force, violence », auquel cas vim dicere signifierait « dire la violence (dont on a été victime) ». Autres dérivés :vengeur, vengeance, revanchard.


7. éconduire n’a, malgré les apparences, rien à voir avec conduire (voir famille DUC), si ce n’est sa conjugaison. Il vient du bas latin excondicere, « refuser », antonyme de condicere, « conclure un arrangement », dérivé de dicere. (Voir aussi « Homonymes et faux frères » ci-dessous.)
Curiosités

1. À propos de l’index : en dépit d’une vague ressemblance entre le grec δακτυλος, daktulos, « doigt » (> fr. dactylographie) et le latin digitus, même sens (> fr. digital), il n’y a en fait aucune racine indoeuropéenne commune pour désigner le doigt. Certains rattachent cependant digitus à la famille DICTER sur la base que le doigt, et tout particulièrement l’index, est ce par quoi l’on montre ou désigne.


2. Dans la riche famille de juger (< lat. jurem dicere), il y a beaucoup de mots qui relèvent des branches 2 (juridiction) et 3 (judiciaire, juridique) mais il y en a aussi beaucoup qui n’ont à voir qu’avec le premier élément jurem, accusatif de jus :
– des mots en -jur- : jurer, juron, juré, jury, juriste, conjuration, injure, injurier, abjurer, parjure, ...
– des mots en -just- : juste, justement, justice, justesse, justifier, justificatif, ajuster, ajusteur, ...

Homonymes et faux frères

1. Il y a police et police !
police (1): celui qui nous vient d’abord à l’esprit n’est pas de la famille. Il vient du latin politia, « organisation politique, gouvernement ». Employé par Cicéron pour désigner La République de Platon, le mot latin vient du grec politeia, « citoyenneté, ensemble des citoyens, constitution républicaine ou démocratique ». Dérivé de polis, « cité-état », il a probablement d’abord désigné la forteresse (cf. citadelle, "petite cité") au centre et en haut de la ville. Le mot fut introduit en français avec le sens de « réglementation ». L’usage moderne, « organisation du maintien de l’ordre », date de la première moitié du XVIIe s.
police (2): de l’italien polizza, « certificat, contrat ». S’il est de la famille, comme pourrait l’indiquer le radical -δειξ-, -deix- de son étymon grec supposé, il est bien déguisé ! Le mot italien est en effet peut-être issu du latin médiéval apodixa, lui-même emprunté au grec αποδειξις, apodeixis, « exposé, quittance, reçu », avec extraction du a par fausse coupe (l’ap- devenant la p-), et le passage de d à l propre à la prononciation byzantine. Le mot – qui devrait donc s’écrire *apodice – s’emploie en français essentiellement dans les noms composés police d’assurance et police de caractères (terme d’imprimerie).


2. Il y a édit et éditer !
édit est bien de la famille, comme on l’a vu plus haut (branche 1). Dérivé : édicter (inventé au XVIIe s. justement pour éviter la confusion avec le verbe éditer ci-après).
éditer est quant à lui formé sur l’adjectif édité tiré du part. pass. lat. editus, de edere, « produire, mettre au jour », qui se rattache probablement au verbe dare, « donner » (voir famille DONNER). Dérivés : éditeur, édition, éditorial, inédit.


3. Il y a éconduire et conduire !
éconduire est de la famille, comme nous l’avons vu plus haut.
conduire est issu du latin ducere (même sens), verbe à l’origine d’une famille assez riche de verbes en -duire et de noms de chefs parmi lesquels on trouve duc, doge, conducteur et le titre tristement célèbre de Duce ; et aussi douche et aqueduc. (Voir famille DUC).

Dans d’autres langues indoeuropéennes

esp. abdicar, bendito, condición, decir, dicho, dictar, edicto, juez, maldito

port. abdicar, benzer, condição, ditar, dizer, juiz, maldizente, veredicto

it. abdicare, benedetto, condizione, dettare, dire, dittatore, editto, giudice

angl. avenge, condition, contradiction, edict, interdict, judge, preach, predict, predicament, revenge, take, teach, toe, token, verdict

all. Abdikation, dichten, Dichter, Diktat, Zehe, Zeichen, zeigen, zeihen

rus. диктант, дикция, диктатор, индикатор

Annexe

en forme de divertissement où il est question d’un dictateur et de gens de robe

... et où l’on trouve une trentaine de vocables de la famille DICTER

Lesquels ?

Le juge Benoît rendit son verdict : « Prison à vie. » Ce n’était certes pas pour son addiction bien connue à la bénédictine que l’ex-général dictateur de la Sierra de Marfil venait d’être ainsi condamné. Pendant de trop longues années la population de cette république bananière d’Afrique ­– ancien petit royaume dont le roi, très contesté, avait dû abdiquer – avait souffert de la tyrannie de celui qui ne supportait pas la moindre contradiction et qui avait fait régner la terreur en s’entourant d’indicateurs et d’une police qui lui était dévouée corps et âme depuis le jour fatidique de sa prise de pouvoir à la faveur d’un coup d’État. Le général s’en était pris bien évidemment d’abord et surtout aux syndicats, les interdisant d’un trait de plume, car leurs revendications incessantes et les nombreuses manifestations qu’ils organisaient dans tout le pays lui étaient devenues insupportables. On peut comprendre qu’en entendant le verdict, les syndicalistes présents dans la salle d’audience eurent le sentiment d’obtenir enfin la vengeance qu’ils réclamaient depuis le début du procès.

Et maintenant, depuis sa cellule, l’ex-dictateur avait le temps de maudire ses opposants et ses ennemis, ce qu’il faisait plus volontiers que de se repentir de ses exactions et de ses crimes. Se prenant pour un personnage historique, il avait décidé d’écrire ses mémoires, mais sa mauvaise vue et un rhumatisme constant à l’index droit l’obligea assez vite à les dicter à sa fidèle et inconditionnelle ex-secrétaire, que le directeur de la prison, insensible au qu’en-dira-t-on, autorisait à rendre ce service quelques heures par semaines à son ancien patron.


De temps à autre le prisonnier recevait aussi la visite d’un moine, son confesseur de toujours pendant et après la dictature. On disait en plaisantant que ce religieux, qui n’était pourtant pas bénédictin, avait probablement fourni au général plus de bonnes bouteilles de la fameuse liqueur que de judicieux conseils de modération dans tous les domaines. Mais ces médisances et ces on-dit, s’ils étaient parvenus à ses oreilles, ne lui avaient pas porté préjudice ; loin d’être le benêt qu’on prétendait, il dédiait désormais la plus grande partie de son temps à la rédaction d’un savant dictionnaire et le reste à prêcher la bonne parole dans les églises du pays. Il se promettait bien de dédicacer un exemplaire de son ouvrage au directeur de la prison en échange des faveurs accordées à ce prisonnier à vrai dire un peu particulier et dont il connaissait si bien les faiblesses.


Jean-Claude Rolland








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par Jean-Claude Rolland

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