« Une datcha dans la dot de Dorine »
La famille DONNER
Patriarche indoeuropéen : *DŌ-, « donner »
Les branches
1. L’un des principaux ancêtres latins de la famille est le verbe
donare, « faire don », dont le nom d’action est
donum, « don ». Sont reconnaissables par ce radical -
don- les mots français
don, donation, donne, donnée, donner, s’adonner à, maldonne, pardon, redonner ...
2. Un autre des ancêtres latins de cette famille est le verbe
dare, « donner », dont le participe passé est
datus. Sont reconnaissables par ce radical -
dat- les mots français
date, dater, datif, dation, antidater, datation, horodateur, postdater
3. Le verbe
dare a des composés préfixés en -
dere dont le participe passé est en -
ditus, par exemple
addere, « ajouter », participe passé :
additus. Sont reconnaissables par ce radical -
dit- les mots français
addition, déperdition, éditer, éditeur, édition, éditorial, extradition, inédit, perdition, reddition, tradition, ...
4. Parmi ces composés préfixés en -
dere de
dare, trois d’entre eux,
perdere, reddere et
vendere, sont devenus en français des verbes dont l’infinitif se termine par
-dre :
perdre, dérivés :
perdant, perte, éperdu, éperdument
rendre, dérivés :
rendement, rentable, rente, rentier
vendre, dérivés :
vendeur, vendeuse, vente, revendeur, revendre, revente
5. Il y a aussi des ancêtres grecs dans cette famille, notamment le nom
δωρον, dôron, « don », d’où sont issus notamment les prénoms
Dora, Dorian, Dorine, Dorothée, Isidore, Pandore, Théodore, ainsi que les noms de mois du calendrier républicain :
fructidor, messidor, thermidor.
6. Enfin quelques mots français en -
dos- ou -
dot- ont des ancêtres grecs qui sont :
δοσις, dosis, « action de donner, ce qu’on donne »
:
dose, doser, dosage
ανεκδοτος, anekdotos, « inédit »
:
anecdote, anecdotique
αντιδοτος, antidotos, « donné (comme remède) contre »
:
antidote
Mais
dot, doter et
dotation sont d’origine latine ; leur radical -
dot- est celui de
dotis, génitif de
dos, « dot ».
Les invités masqués
1. On le reconnaît encore à son
do- :
doué, participe passé de
douer, du lat.
dotare, même sens.
2. Toujours bien déguisés, ceux-là, et pour cause ! :
trahir, du lat.
tradere (<
trans dare) « transmettre, livrer », et
traître, du lat.
traditor, « celui qui transmet ».
Tradition et
trahison sont donc des doublets. Dérivés :
trahison, traîtrise, traîtresse.
C’est du même verbe lat.
tradere qu’est issu le français
extrader. Dérivé :
extradition.
Curiosités
1.
abandonner vient probablement de
à ban donner = donner à ban, « laisser au pouvoir de quelqu’un ».
Ban est un vieux mot germanique que l’on retrouve dans
bannir, banlieue, banal, bannière, aubaine. (Voir la famille
FABLE).
2.
datcha : une
дача, datcha a d’abord été en Russie une propriété
donnée par un prince, avant de devenir une résidence secondaire à la campagne.
Homonymes et faux frères
1. Il y a
date et
datte !
datte est issu du grec
δακτυλος, daktulos, « doigt » – par l’intermédiaire du provençal ou de l’italien et du latin – à cause de la forme du fruit. Dérivés :
dattier, dactylo, ptérodactyle, ...
2. Il y a
dé et
dé !
–
dé (1) : c’est le
dé qu’on jette pour jouer. Le mot est d’origine obscure, mais l’étymon le plus souvent proposé est un participe passé neutre substantivé de
dare, « donner ».
–
dé (2) : c’est le
dé à coudre. Le mot est issu du bas latin
digitale, « ce qui couvre le doigt », neutre substantivé de l’adjectif
digitalis, dérivé de
digitus, « doigt » [
1]. Dérivés :
doigté, digicode, digit, digital, digitale, digitaline, digitaliser.
3. Il y a
don et
don !
Le « Don » des Espagnols Don Juan et Don Quichotte, plus fidèlement orthographié « Dom » dans les noms italiens comme "Dom Giovanni" ou "Dom Camillo", est issu du latin
dominus, « maître de maison, maître, seigneur », féminin
domina, de
domus, « maison ». Nombreux dérivés :
domestique, domicile, dôme, dame, demoiselle, donzelle, madone, majordome, donjon, domaine, dominer, danger[
2],
dimanche, domino, damier, damer, Dominique, ...
4. Il y a
éditer et
édit !
–
éditer est bien de la famille. Il est formé sur l’adjectif
édité tiré du part. pass. lat.
editus, de
edere, « produire, mettre au jour », qui se rattache probablement au verbe
dare.
– mais
édit est emprunté au lat.
edictum, supin du verbe
edicere, « proclamer, ordonner » (famille
DICTER). Dérivé :
édicter (inventé au XVIIe s. justement pour éviter la confusion avec le verbe
éditer).
5. Le
dos français est sans rapport avec le
dos latin (branche 6, fin). Il est issu du latin populaire
dossum, du latin
dorsum, « dos horizontal, échine, croupe des animaux ».
Dorsum est un mot populaire employé par les esclaves dans le théâtre de Plaute, et qui a supplanté le mot normal
tergus (cf. fr.
tergiverser). On ne lui connaît pas de meilleure étymologie que celle qui le rattache à
deorsum, composé de
de et de
vorsum, variante de
versum, « en bas, vers le bas » (famille
VERS). Dérivés :
adosser, dossier, dorsal, tournedos.
Dans d’autres langues indoeuropéennes
esp.
dádiva, dar, data, don, donar, dotar, dote, perder, rendir, renta
port.
dar, doar, editar, perder, perdoar, render, tradição, trair, vender
it.
dare, data, dazio, doario, donare, dono, dotare, dote, traditore, vendere
angl.
condone, data, date, donation, dower, edition, pardon, perdition, render, surrender, rent, tradition, traitor, treason
all.
addieren, Addierung, Anekdote, datieren, Datum, edieren, Pardon, Rente
rus.
анекдот, дар, дата, дать, дача, доза, издание, продавец, самиздат, традиция
Notes :
1 On peut voir une vague ressemblance entre le grec
daktulos et le latin
digitus, mais il n’y a en fait aucune racine indoeuropéenne commune pour désigner le doigt. Certains font dériver
digitus de la racine *DEIK- (famille
DICTER), le doigt étant ce par quoi on montre ou désigne (cf.
index).
2 Le mot
danger vient du bas latin *
dominarium, “pouvoir”, dérivé de
dominus, “maître, seigneur”. Le mot aurait été employé en Gaule du Nord pour
dominium, “propriété, droit de propriété”, d’où “domination, puissance” et “droit”. Le sens moderne (XIVe s.) s’est probablement dégagé de la locution
en danger de, “au pouvoir de qqn, à sa merci, sous sa coupe”, d’où l’évolution vers le sens de “en craignant l’action de”.