« Un despote impuissant »
La famille POTENTIEL
Patriarche indoeuropéen : *POT-, « puissant, maître »
Les branches
1. Les trois grands ancêtres de la branche latine sont les mots
potens, « puissant », part. prés. du verbe
posse, « pouvoir », l’adjectif
possibilis, « possible », et le verbe
possidere, « posséder », composé de
pos- et de -
sedere, « s’asseoir, siéger » (voir Curiosités). Les mots français qui en sont issus se distinguent par les radicaux -
poten- ou -
poss- :
potentiel, potentiellement, potentialité, potence, impotent, impotence, omnipotent, ventripotent, potentiomètre, potentat, plénipotentiaire, ...
possible, impossible, possibilité, impossibilité
posséder, possessif, possession, possédant, possesseur, déposséder, ...
2. Les mots
posse et
potens se sont beaucoup déformés au fil des siècles, au point que leurs plus vieux descendants, les diverses formes du verbe
pouvoir, ne leur ressemblent guère :
pouvoir, pouvais, ...
pourrai, ...
peux, peut
puisse, puissant, puissance, impuissant, ...
pu, pus, put, ...
3. La branche grecque se limite au seul nom
δεσποτης,
despotès, « maître de la maison » (<
dems-pote), d’où sont issus
despote et ses
dérivés, despotique et
despotisme.
NB : Il y bien un autre mot grec qui se rattache à *POT-, c’est le nom
ποσις,
posis, « époux » mais le mot français
époux, malgré le sens et les apparences, n’en est pas issu ; il vient du latin
sponsus ou
sposus, participe passé de
spondere, “promettre solennellement” – vieux mot juridique et religieux qui se rattache à une racine indoeuropéenne *SPEND-, “faire une libation, promettre” – d’où sont également issus les mots
répondre, réponse, responsable, riposte et
sponsor. [
1]
Les invités masqués
1. Il nous vient d’Italie :
podestat, de
potestà ou
podestà, terme qui désignait au Moyen Âge le premier magistrat de certaines villes italiennes et du midi de la France ; il détenait les pouvoirs exécutifs et judiciaires. Le mot italien vient du latin
potestas, « puissance, pouvoir »
2. Il nous vient d’Iran, via la Turquie, et constitue l’unique représentant de la branche iranienne :
pacha, ancien titre des généraux et gouverneurs dans l’empire ottoman, est un probable emprunt au persan
pād(i)šah, « roi », formé de
pād, « pouvoir » – mot qui se rattache à la racine *POT- – et de
šah, « roi » (> français
shah).
Curiosités
1. La présence du radical -
sed- (voir famille
SÉDIMENT) dans le verbe
posséder (<
pos-sedere) permet d’imaginer que le propriétaire d’une terre ou d’une maison fut probablement, à l’origine, celui qui pouvait de plein droit s’y asseoir, y siéger.
2.
potence vient du latin
potentia, “force, pouvoir, puissance”. Le mot est représenté en ancien français par un emprunt dans ce sens (v. 1120) mais y a connu un glissement sémantique à partir de l’idée d’appui, de soutien, vers le sens concret de “béquille” (sens qu’il a longtemps gardé avant d’être finalement remplacé par ce mot au XVIIIe s.). À partir du XIVe s.,
potence sert, dans le langage technique, à désigner une pièce d’appui constituée par un montant vertical et une traverse placée en équerre, ce qui était la structure même de la béquille. Il ne restait plus qu’à y accrocher une corde pour y pendre les
gibiers de potence.
3.
hôte est issu du latin
hospitem, accusatif de
hospes, qui avait déjà la double valeur de “celui qui donne ou reçoit l’hospitalité”.
Hos-pes est formé sur
hostis, “hôte”, d’une racine *GHOS-TI- (même sens), et sur un élément *
pet- supposé être une trace de *POT-, l’ensemble signifiant quelque chose comme “maître de l’hôte (c.-à-d. de l’étranger)”.
Hospes prit le sens de
hostis après que ce dernier eut pris celui d’ “étranger, ennemi” (cf. français
hostile). Le français
hôte a hérité du double sens du latin
hospes, mais la forme féminine
hôtesse désigne uniquement “celle qui reçoit”. L’
hôte reçu – masculin mais utilisé indifféremment pour les deux sexes – ne s’emploie guère que dans la locution “
être l’hôte de qqn”. Dérivés :
hospice, hôpital, hospitalier, hospitalité, inhospitalier, hospitaliser, hosto, hôtel, otage, ...
À la racine *GHOS-TI- se rattachent également :
– le grec ancien
ξενος, xenos, “étranger” (> fr.
xénophobe, proxénète, Xénophon),
– le germanique *
gastiz, d’où sont issus l'anglais
guest, “invité”, les mots allemands
Gast, (id.), et
Gastarbeiter, “travailleur étranger, immigré”, [
2]
– et le slave
гость, gost’, d’où sont issus les mots russes
гость, gost’, “hôte (reçu ou recevant)”,
гостеприимство, gostepriimstvo, “hospitalité”,
господь, Gospod', "le Seigneur",
господин, gospodin, "monsieur, maître".
Homonymes et faux frères
1. Il y a
peux, peut et
peu !
- Les deux premiers sont des formes du verbe
pouvoir.
- Quant à
peu, il est issu du latin populaire *
paucum, du latin classique
paucus, « peu nombreux ». Dérivé :
pauciflore, terme de botanique.
2. Il y a
puis (v.),
puis (adv.),
puy et
puits !
- Le premier
puis est une forme du verbe
pouvoir, variante littéraire de
peux.
- Le deuxième
puis est issu du latin populaire *
postius, du latin classique
post, « après, depuis, en arrière, derrière » ou de son dérivé
postea, « ensuite, après, depuis ». Dérivés :
depuis, puisque, puîné, post-, postérité, posthume, poterne,...
–
puy est de la famille de
PIED. Graphie ornée de
pui, il est issu du latin
podium pris dans son sens géographique de “petite éminence”. Le français
appuyer, le castillan
apoyar, et l’italien
appogiare (> français
appogiature) sont issus d’un latin populaire *
appodiare, lui aussi dérivé de
podium, mais ici au sens de “socle, support”.
–
puits a une histoire compliquée. D’abord
puz, puiz et
puis, il est issu du latin
puteus, « trou, fosse », spécialement « puits de mine » et « puits d’eau vive », mot dont la finale en -
eus laisse supposer une origine étrusque. La voyelle du français est due à un développement anormal qui s’explique probablement par l’influence du francique *
putti, restitué par l’ancien haut allemand
putti, le mot germanique étant lui-même emprunté au latin. Ainsi
puits serait un exemple de ces formes hybrides dues au bilinguisme de la France du nord après l’invasion des Francs. La graphie actuelle
puits (XVIe s.) réintroduit un -
t- étymologique pour éviter l’homographie avec l’adverbe
puis. Dérivés :
puiser, épuiser, épuisement, épuisant, inépuisable.
3. Il y a
pu, put, pus (v.), et
pus (n.) !
– Les trois premiers sont des formes du verbe
pouvoir.
– Le nom
pus est un emprunt de la Renaissance au latin
pus, puris, également employé comme terme d’injure, lui-même rattachable à une racine indoeuropéenne *PŪ-. Dérivés :
purulent, pourrir, puer, punaise, pustule, putain, putois, putréfier, suppurer...
4. Il y a
pote et
despote !
L’argotique
pote (=
copain, camarade, ami) sonne comme s’il était l’antonyme de
despote. D’un point de vue sémantique, c’est un peu vrai, mais il a une toute autre origine : c’est probablement une forme apocopée de
poteau, mot qui s’est appliqué à une personne dès l’ancien français, d’après l’idée figurée de « soutien » (1259), et qui fut employé au sens d’« ami » dès 1400.
Dans d’autres langues indoeuropéennes
esp.
déspota, hospital, hostal, huésped, poder, poderoso, poseer, posible
port.
déspota, hospede, hospital, poder, possuir, possível, potência
it.
despota, ospedale, podestà, possedere, possibile, potente, potere
angl.
despot, hospital, omnipotent, possess, possible, potential, power
all.
Despot, Hosteß, Impotenz, possessiv, Potential, Potenz
rus.
госпиталь, господь, господин, деспот, импотенция, паша, хоспис
NOTES :
1 Faut-il en déduire que le mari grec était un homme de pouvoir et le mari latin un homme responsable ? Nous n’irons pas jusque là, mais il est tout de même intéressant de constater cette différence.
2 Attention : l’angl.
ghost, “fantôme”, est issu de la racine *GHEIS-.