« Pétanque, footing, et pédalo »
La famille PIED
Patriarche indoeuropéen : *PED-, « pied »
Les branches
1. Les deux principaux ancêtres latins de cette famille sont les noms
pes, gén.
pedis, ancêtre de notre
pied, et
pedica, ancêtre de notre
piège. En sont issus la plupart des mots français qui contiennent le radical -
pie - :
piédestal, piéger, Piémont, piétaille, piétiner, piéton, piètre, empiéter, marchepied, trépied, ...
2. Parmi les autres membres français de la famille on trouve des mots qui contiennent le radical latin original -
ped - de
pes, pedis, ou bien des mots dans lesquels ce radical s’est transformé au fil des siècles en -
pet -, comme
peton, ou en -
pêch -, comme
empêcher, du bas latin
impedicare, “prendre au piège, entraver” :
pédale, pédestre, pédicure, pedigree, bipède, expédient, expédier, palmipède, quadrupède, ...
pétanque, peton, ...
empêchement, empêcheur, se dépêcher, ...
3. Le principal ancêtre grec de la famille est
πους, pous, gén.
ποδος, podos, « pied », dont le radical
-ποδ-, -pod- se transforme en
-πεζ-, -pez- dans
τραπεζα, trapeza, « objet à quatre pieds, table ». En sont issus
antipodes et
trapèze.
Le diminutif de
πους, pous est
ποδιον, podion, “petit pied”. Ce dernier mot, via le latin
podium, « petite éminence ; socle, support » est à l’origine de notre propre
podium, bien sûr, mais aussi de
puy, appui, et probablement
répudier [
1].
4. Dans la famille, n’oublions pas enfin les cousins germains – et sportifs – venus en courant d’outre-Manche ou d’outre-Atlantique ; ils sont issus du germ. *
fōt- :
football, babyfoot et
footing. [
2]
Les invités masqués
1. De
-ποδ-, -pod- (branche 3) ils n’on conservé que le
po :
polype et
poulpe, doublets issus du grec
πολυπους, polupous, « à plusieurs pieds », dont
pieuvre est en fait le troisième descendant, en dépit d’une forme qui le fait s’apparenter davantage aux descendants du latin
pes, pedis (branche 1).
2. De
-ποδ-, -pod- (branche 3) il n’a conservé que le
p :
Œdipe, du grec
Οιδιπους, Oidipous, « les pieds enflés », parce que Laïos, son père, prévenu par Apollon du danger que constituerait son fils, l’avait fait exposer en lui liant les pieds. Dérivé :
œdipien. On retrouve le premier élément du mot dans
œdème.
3. De -
ped- (branche 2) il a perdu le
d :
péage, du latin populaire *
pedaticum, « droit de mettre le pied ». Par sa forme et son sens, on croit souvent, à tort, que ce mot est étymologiquement apparenté à
payer (voir la famille
PACTE). L’erreur est compréhensible car, outre la proximité des formes, il désigne d’abord le droit, la taxe qu’on lève sur les personnes, les animaux, les marchandises pour le passage d’un pont, d’un chemin, d’une route. Au XVIIe s.,
péage ne se dit plus que du droit pris sur les voitures transportant des marchandises pour l’entretien des grands chemins. Par métonymie, le mot désigne aussi l’endroit où l’on paie ce droit de passage, sens qu’il a encore aujourd’hui à l’entrée des autoroutes à péage.
4.
piger est probablement une variante dialectale de
piéger (branche 1), d’où le sens de « saisir, comprendre ». [
3] Dérivé :
pige.
5. De -
ped- (branche 2) il a perdu le
d et changé le
e en un
i :
pion, de l’espagnol
peon, « fantassin », du bas latin
pedo, gén.
pedonis. Dérivé :
pionnier.
6.
pitre (bouffon, clown) est probablement une variante franc-comtoise de
piètre (branche 1). Dérivé :
pitrerie.
Quant à
piètre, il est issu du latin
pedester, « qui va à pied » ; c’est donc le doublet populaire de
pédestre. Du fait de l’infériorité du piéton par rapport au cavalier – également sensible dans les mots
pion et
piétaille –,
piètre a développé le sens péjoratif de « mauvais ». [
4].
7. Il est méconnaissable :
calibre (Voir Curiosités).
Curiosités
1.
babouche : d’abord
papouch et aussi
babuc par l’italien, est emprunté au turc
pāpuš, “chaussure”, lui-même repris au persan
pāpuš, “(chaussure) qui couvre (
puš) le pied (
pāi)”.
2.
calibre est issu de l’arabe قالب [qālab ou qālib] « moule, forme à chaussure », et celui-ci du grec καλόπους [kalopous], “forme en bois pour fabriquer des chaussures”, composé de καλον « bois » et de πούς « pied ». Dérivés :
calibrer, calibrage.
3.
pedigree : de l’anglais
pedigree, lui-même issu du français
pied de grue, à cause de l’analogie de forme entre l’empreinte de cet oiseau et les trois petits traits rectilignes utilisés dans les registres officiels anglais pour indiquer les degrés ou les ramifications d’un arbre généalogique à trois branches.
4.
pétanque est issu du provençal
pé tanco, « pied fixé ». Dans ce jeu, on lance sa boule en ayant le pied fixé au sol, sans prendre d’élan.
Le deuxième élément,
tanco, appartient quant à lui à une famille romane dans laquelle on trouve notamment l’occitan
estancar, « barrer un cours d’eau », le catalan
tancar, « fermer », et les mots français
étang et
étanche. Cette famille a des origines obscures, tout comme d’ailleurs le lat.
stagnare, « stagner », avec lequel elle est probablement apparentée. Entre autres hypothèses, nous nous permettons de proposer un rapport entre tous ces mots et l’angl.
tank, « réservoir ». Ce mot, qui a d’abord désigné les réservoirs d’irrigation de l’Inde, est un emprunt à un mot indien,
tankh ou
tanken selon les dialectes, eux-mêmes peut-être issus du sanskrit
tadaga, « étang, lac ».
5.
piédestal est emprunté à l’italien
piedistallo (ou
piedestallo), terme d’architecture désignant un support servant de soubassement à une colonne, une statue, un vase. Le mot est composé de
piede, « pied », et de
stallo, « support », proprement « séjour, demeure », issu du même mot germanique que les mots français
étal, étaler, stalle, et
installer.
6.
pyjama : de l’anglais
pyjamas (ou
pajamas), lui-même issu de l’ourdou
paejama ou
pajama, “vêtement de jambes”, lui-même issu du persan
pāi, “pied, jambe” et
jama, “vêtement”.
Homonymes et faux frères
1. Il y a
puy, puits et
puis !
-
puy est de la famille, comme on l’a vu plus haut (branche 3). Graphie ornée de
pui, il est issu du latin
podium pris dans son sens géographique de “petite éminence”. Le fr.
appuyer, l’esp.
apoyar, et l’it.
appoggiare (> fr.
appogiature) sont issus d’un latin populaire *
appodiare, lui aussi dérivé de
podium, mais ici au sens de “socle, support”.
-
puits a une histoire plus compliquée. D’abord
puz, puiz et
puis, il est issu du latin
puteus, « trou, fosse », spécialement « puits de mine » et « puits d’eau vive », mot dont la finale en -
eus laisse supposer une origine étrusque. La voyelle du français est due à un développement anormal qui s’explique probablement par l’influence du francique *
putti, restitué par l’ancien haut allemand
putti, le mot germanique étant lui-même emprunté au latin. Ainsi
puits serait un exemple de ces formes hybrides dues au bilinguisme de la France du nord après l’invasion des Francs. La graphie actuelle
puits (XVIe s.) réintroduit un -
t- étymologique pour éviter l’homographie avec l’adverbe
puis. Dérivés :
puiser, épuiser, épuisement, épuisant, inépuisable.
-
puis est issu du latin classique
post via son dérivé
postea ou un latin populaire *
postius. Dérivés :
depuis, puisque.
- il y a enfin un autre
puis, forme littéraire de
peux (v.
pouvoir).
2.
pêcher, pêche et
pécher sont sans rapport avec
empêcher / dépêcher (branche 2) :
-
pêcher est issu du latin
piscari, de même sens, lui-même dérivé de
piscis, « poisson ». Dérivés :
pêche, pêcheur, pêcherie, repêcher, piscine, pisciculture.
-
pêche (nom de fruit) est issu du latin populaire
persica, du latin classique
persicum (pomum), « fruit de Perse ». Dérivé :
pêcher.
-
pécher est issu du latin
peccare, « broncher, faire un faux pas » [
5], d’où « commettre une faute, une erreur ». Dérivés :
péché, pécheur, peccadille, impeccable, ...
3.
pédagogue et
pédéraste sont issus du grec παις [pais], gén.
paidos, « enfant ».
L’élément -
agogue est issu du grec αγειν [agein], « conduire ». (Voir famille
AGIR)
L’élément -
éraste est issu du grec ερως [erôs], « désir des sens, amour », d’où
érotique.
Pour
pédant, d’origine italienne, les choses sont moins claires, car le mot pourrait bien être issu de
(pedagogo) pedante, « accompagnateur à pied », avec emploi substantivé de l’adjectif.
orthopédie est formé du grec ορθός [orthos], « droit » et de παιδεία [paideia], « éducation des enfants (au physique et au moral) », autre dérivé de παις.
4.
piété et
pitié : doublets issus de
pietas, « sentiment de dévotion envers les dieux, les parents, la patrie ». Les deux mots ne se sont différenciés qu’au XVIe s. Dérivés :
pieux, impie, pitoyable, impitoyable, s’apitoyer, expier, ...
5. Enfin ne sont de la famille ni
pièce (< lat. vulg. *
pettia) ni
pierre (< grec
petra, d’où
pétrole, « huile de pierre ») ni
pieu (< lat.
palus, voir la famille
PACTE) ni
épier (< germ. *
speha, voir la famille
SPECTACLE) ni
péter (< lat.
pedere) ni
petit (< lat. vulg. *
pittittus) ni
pétrir (< lat.
pinsere, pistus).
Dans d’autres langues indoeuropéennes
esp.
apearse, apeadero, apoyar, despejar, expedición, fútbol, impedir, despedir, peaje, peatón, pedestal, peón, pezuña, pie, pionero, podio, pólipo, poyo, pulpo, trapecio, tropezar
port.
apoiar, expedição, impedir, pé, pioneiro, podal, poio, pólipo, trapézio, tropeçar
it.
appoggiare, marciapiede, pedone, piede, podismo, poggio, spedire
angl.
fetch, fetter, foot, impeach, impede, octopus, pedal, pedestrian, pedigree, pioneer, pyjamas
all.
Depesche, Fuss, fussen, füsseln, Pedal, Pionnier, Podest, Polyp, Trapez
rus.
антипод, депеша, педаль, пешка, пионер, полип, футбол, экспедиция
Notes
1-
Répudier, du latin
repudiare, “repousser du pied, rejeter, refuser” (ancien français
repuier), ne semble pas – comme on a pu parfois le croire – avoir grand chose à voir avec
pudeur. À moins que la pudeur n’ait elle-même, à l’origine, quelque chose à voir avec le fait de repousser du pied ... Mais dans l’état actuel des connaissances, le verbe latin
pudere, « avoir honte, faire honte », n’est rattachable à aucune racine indoeuropéenne.
2- Comme on l’a vu à propos de la famille
PREMIER, rappelons qu’il est normal qu’au son /p/ à l’initiale en indoeuropéen correspondent les sons /p/ en latin et en grec, et /f/ en germanique.
3- Pour en savoir plus sur les origines contestées et l’évolution sémantique complexe de
piger, on lira avec profit les deux longs articles du
Dictionnaire historique de la langue française (Le Robert) consacrés à ce verbe.
4- De
piètre à
pire, il n’y a donc qu’un pas que certains franchissent en proposant de rattacher les mots latins
pejor et
pessimus (> fr.
pire, pessimisme) à la famille de PIED. D’autres préfèrent y voir des descendants de la racine indoeuropéenne *PET- (famille
PETITION), au sein de laquelle on trouve à la fois les idées de plume, d’aile, d’essor, d’élan, et de chute. (> fr.
pétition, répéter, appétit, penne, panne, pignon, hélicoptère, ...)
5- Certains rattachent néanmoins
pécher à
pied car son sens initial de « trébucher » leur donne à penser que
peccare, mot usuel et familier, serait issu d’un *
pecco (non attesté) qui serait à
pes ce que
mancus, « manchot » est à
manus, « main ».