« Une salve pour les sauveteurs »
La famille SOLDAT
Patriarche indoeuropéen : *SOL- ou *SAL-, « entier, massif »
Les branches
1. L’un des principaux ancêtres latins de cette famille est l’adjectif
solidus, « massif, solide ». Substantivé, il devint à l’époque de Constantin le nom d’une monnaie stable, (
nummus) solidus, en or massif. Ses descendants français, où il est toujours question soit d’argent, soit de solidité, se reconnaissent à leurs radicaux -
solid-, -
sold- ou -
soud- :
solide, solidification, solidifier, solidité, solidaire, solidariser, solidarité, ...
solde, solder, soldat, soldatesque
souder, soudeur, soudure, soudard, soudoyer
2. Un autre groupe d’ancêtres latins est constituée de mots en
salv- ou
salu- comme l’adjectif
salvus, « entier, intact ; sain et sauf, en bonne santé », et le nom
salus, gén.
salutis, « bon état, santé, sauvegarde », dont le verbe dérivé
salutare signifiait « souhaiter bonne santé à qqn, le saluer ». En sont issus tous les mots français en
salv-,
sauv- ou
salu- :
salve, salvateur, salvation
sauf (fém.
sauve),
sauver, sauveur, sauvetage, sauveteur, sauvette, sauvegarde[
1]
salut, saluer, salutaire, salutation, salubre, salubrité
3.Dans un certain nombre de mots latins comme
sollers, « habile dans tous les arts »,
sollicitudo, « inquiétude », ou
solemnitas, « solennité, fête solennelle », apparaît un premier élément
sol(l)- qui vient d’un mot archaïque
sollus, lequel n’est autre que la variante osque de
solidus. En sont issus presque tous les mots en
sollici-,
souci- (altération du précédent) ou
solen- :
solliciter, solliciteur, sollicitude, sollicitation
souci, soucier, soucieux
solennel, solenniser, solennité
4. Il y a aussi une branche grecque dans cette famille, dont le principal représentant est l’adjectif
holos,
ολος, « entier ». Ses descendants français se reconnaissent au radical
hol- :
holocauste, holisme, catholique
5. Il ne semble pas qu’on puisse – en dépit de ressemblances formelles et sémantiques – rattacher à cette famille un certain nombre de mots propres au domaine germanique (all.
heil et angl.
heal, holy, whole, les prénoms
Oleg et
Olga). Nos sources font dériver ces mots d’une racine *KAILO- qui n’a que des représentants européens.
Les invités masqués
1. « Un sou est un sou », certes, mais ce fut d’abord un
sol, première syllabe de
solidus, le nom de la pièce de monnaie en or massif de l’époque de Constantin (branche 1).
2. Par l’intermédiaire de formes comme
salje et
saulje, le nom de la
sauge est issu du latin
salvia, même sens, ainsi nommée à cause de ses vertus médicinales (branche 2).
3. L’adjectif
olographe, issu du grec
holographos via le bas latin
holographus, « écrit entièrement de la main de son auteur » (branche 4), devrait s’écrire
holographe mais il a perdu très tôt son
h initial. Le mot n’est plus guère employé que dans l’expression juridique
testament olographe, où il a le même sens qu’en latin.
Curiosités
1.
catholique est issu, via le latin chrétien
catholicus, du grec ecclésiastique
καθολικη εκκλησια, katholikê ekklêsia, « église universelle ». L’adjectif
katholikos est dérivé de l’adverbe
katholon, « en général », amalgame de la préposition
kata et de l’accusatif de
holos (branche 4). Au 20e s. ; abrégé familièrement en
catho. Dérivé principal :
catholicisme.
2.
holocauste représente un emprunt au latin chrétien
holocaustum, « (sacrifice hébreu dans lequel la victime offerte à Dieu est) entièrement consumée par le feu », du grec ecclésiastique
ολοκαυστον, holokauston, de
holos (branche 4) et
kauston, adjectif verbal de
καίω, « allumer, faire brûler ».
Issue de ce dernier verbe, il y a une petite famille intéressante où l’on trouve
calme (de la mer, par temps chaud),
chômage (repos par temps chaud),
cautère, caustique, et
encre, doublet populaire de
encaustique, technique de peinture à la cire fondue.
3.
solliciter est emprunté au latin
sollicitare, « remuer totalement, agiter fortement ; inquiéter, tourmenter ; exciter ; attirer l’attention », verbe dérivé de
sollicitus, « entièrement remué ; fortement troublé, inquiet ». Par voix orale
sollicitare a abouti à
soucier. On a vu plus haut (branche 3) l’origine de l’élément
sollus.
Le second élément,
citus, est le participe passé passif du verbe
ciere, « mettre en mouvement, amener à soi, appeler, invoquer », éliminé à l’époque impériale par son fréquentatif
citare. Ce dernier et son frère grec
kinein, « mouvoir », sont les ancêtres d’une petite famille où l’on trouve, comme descendants du premier,
citer et ses dérivés (
exciter, inciter, etc.), et, comme descendants du second,
cinéma, cinétique et
kinésithérapeute.
Homonymes et faux frères
1. Il y a
sol,
sol et
sol ![
2]
– L’un est l’ancienne forme de notre
sou, comme on l’a vu plus haut.
– Un autre, plus terre à terre, est, comme son doublet
seuil, issu du latin
solum, « partie plate et inférieure d’un tout ; surface de la terre ».
– Quant au troisième, c’est le nom de la note de musique placée sur la gamme diatonique entre
fa et
la.[
3]
2. Il y a
sous et
sous !
– L’un est le pluriel de notre
sou,
– et l’autre est la préposition antonyme de
sur. (Voir la famille
SOUS–SUR).
3. Il y a
souci et
souci !
– L’un est bien de la famille, comme on l’a vu plus haut (branche 3 et Curiosité 3),
– mais l’autre, le nom de la fleur, est issu du bas latin
solsequia, « qui suit le soleil », via les formes intermédiaires
soussie, solcie, solsie, soucy et
soulci. (Pour -
sequia, voir la famille
SECOND.)
4. Il y a
soude et
soude !
– L’un est la troisième personne du présent du verbe
souder (branche 1).
– mais l’autre, réfection de
soulde et
soudre, est un nom féminin issu de l’arabe صودا
ṣūdā via l’italien
soda. Le mot arabe désignait une plante utilisée en médecine pour combattre la migraine et dont les cendres produisent la soude.
5. Les verbes
absoudre, dissoudre et
résoudre appartiennent à une autre famille, celle du patriarche indoeuropéen *LEU-, parmi les descendants duquel on trouve aussi
solution, aérosol, luxe et
analyse.
Dans d’autres langues indoeuropéennes
esp.
salvo, salvar, salva, salvador, salud, saludo, salubre, salvia, sólido, solidaridad, saldar, soldar, sueldo, soldado, consolidar, solicitar, solemne, católico, holocausto
port.
salvo, salvar, salva, salvador, salude, saudação, salubre, sólido, solidariedade, saldar, soldar, soldo, soldado, consolidar, solicitar, solene, católico, holocausto
it.
salvo, salvare, salvatore, salute, saluto, salutare, salubre, salvia, solido, saldo, saldare, soldo, soldato, solenne, solerte, sollecito, sollicito, sollecitare
angl.
safe, save, sage, salubrity, salutary, salutation, salute, salvage, solder, soldier, solemn, solicit, solicitous, solid, solidarity, solidity, consolidate, catholic
all.
Salve, Salbei, solidarisch, Sold, Soldat
rus.
католик, католикос, консолидация, солдат, салют, солидарность, солидный
Notes :
1- ... et
Sauveté en toponymie, par ex.
La Sauveté, en Saintonge, et
St Martin-la-Sauveté, dans le Forez. Une sauveté était au Moyen Âge une juridiction jouissant d’une immunité.
2- Pour le n. fém.
sole, ses homonymes et leurs dérivés, question trop complexe pour entrer dans le cadre de cet ouvrage, voir
Dictionnaire historique de la langue française, Dictionnaires Le Robert, article "sole".
3- L’origine du mot
gamme et des noms de notes de musique est donnée dans divers ouvrages, notamment p. 86 et 87 de l’excellent
Motamorphoses de Daniel Brandy, Casterman 1986 - Points 2006.