Les grandes familles de mots




« Le type de l’étudiant obtus  »

La famille STUDIO


Patriarche indoeuropéen : *(S)TEU-, « pousser, presser, frapper, battre »


Les branches

1. Les ancêtres de la branche latine sont d’abord des mots en stu- : les verbes studere, « avoir de l’attachement pour, s’appliquer à », et stupere, « être frappé de stupeur », ainsi que les noms studium, « attachement, zèle, soin, goût pour l’étude », et stuprum, « honte, déshonneur, débauche, viol, adultère ». À quelques exceptions près facilement reconnaissables (les mots en étud-) ce radical -stu- se retrouve chez tous les descendants

– de studere, studium : studieux, studio, estudiantin, étude, étudier, étudiant

– de stupere : stupeur, stupéfaction, stupéfier, stupide, stupidité

de stuprum : stupre

Un autre verbe latin, tundere, participe passé tusus, « frapper à coups répétés avec un marteau », est l’ancêtre d’un petit groupe de mots reconnaissables à leur radical -tus- :

contusion, contusionner, obtus, obtusité



2. Le grec avait un verbe τυπτω, tuptô, « frapper », de la même famille, mais c’est surtout le nom τυπος, tupos, « coup, marque d’un coup, image », qui a été prolifique. On le retrouve dans tous les mots en -typ- :

type, typé, typique, typiquement, typographe, typo, typologie, archétype, atypique, prototype, stéréotype, linotype, télétype, …



3. L’ancêtre germanique de la famille serait la forme reconstituée *stukkaz, « bâton », devenue *stok en francique, avec le sens de « souche, tronc d’arbre ». On la retrouve dans les mots en -stoc- ou -stock-, ces derniers empruntés à l’anglais :

estoc, estocade (Voir Curiosités)

stock, stocker, stockage, stockfish, déstocker



4. Quant à l’ancêtre celtique, ce serait la forme reconstituée *tsukka, « bâton ». En sont issus les noms souche et chouquette, ce dernier dérivé de chouque, variante normanno-picarde de souche, avec influence de chou (à la crème).

Les invités masqués

1. Avec son o à la place du u de son ancêtre tundere, il se fait passer pour un dérivé de tondre : contondant, qui ne subsiste guère que dans le syntagme instrument contondant.


2. C’est un doublet d’estoc mais il est moins fidèle à ses origines : étau est en effet lui aussi issu de l'ancien bas francique *stok, « souche, tronc d'arbre ».


3. De son étymon, il ne lui reste que le préfixe : percer est issu d’un latin populaire *pertusiare, “faire un trou, perforer”, dérivé de pertusum, supin du verbe classique pertundere, même sens, dérivé préfixé de tundere. Dérivés : percement, perçant, percée, transpercer, … et aussi pertuis, plus fidèle à ses origines. (Voir Curiosités).


4. Qu’il soit issu de tundere ne saute pas aux yeux : touiller vient effectivement du verbe latin tudiculare, “broyer les olives”, issu de tudes, “marteau”, et lui-même de tundere. Même étymon pour l’anglais to toil, “travailler dur et longtemps”... comme un étudiant studieux. Dérivés : bistouille et ratatouille.

Curiosités

1. Il y a deux mots estoc, deux doublets homographes en quelque sorte, qui ont un grand ancêtre commun, le francique *stok, « souche, tronc d’arbre » (cf. allemand Stock, « bâton »), du germanique *stukkaz de même sens.

– L’un est directement issu du francique : cet estoc-là, le moins connu des deux, survit avec le sens de « souche » comme terme de sylviculture. Au figuré, il a jadis signifié « origine d’une famille », par exemple dans la locution de haut estoc, « de haute naissance ».

– L’autre a fait le détour via le moyen néerlandais stoken, « piquer, pousser ». Il représente le déverbal de l’ancien français estochier puis estoquer (XIIe - XIIIe s.). C’est un terme d’escrime signifiant « pointe de l’épée », comme en atteste l’ancienne locution verbale férir d’estoc, «  frapper avec la pointe de l’épée » ; d’où le dérivé estocade.


2. pertuis est un dérivé de l’ancien verbe pertuiser, “faire un trou”, lui-même dérivé de pertucar ou pertucer, issus du latin populaire *pertusiare, qui est à l’origine de percer. Le mot a désigné couramment un trou, une petite ouverture, un col de montagne. Il a disparu de l’usage courant mais subsiste en toponymie (Pertuis, Le Pertuis, Maupertuis, Pertus, Perthus, etc.), en terminologie nautique et hydraulique – le pertuis est notamment l’ancêtre de l’écluse –, et dans le nom du millepertuis, la fleur aux “mille trous”.

Homonymes et faux frères

1. Il y a contondant et tondant !

tondant est le participe présent de tondre, qui n’est pas issu du latin tundere, tusus mais de tondere, tonsus, « tondre ». Dérivés : tonte, tondeuse, tonsure, toison.


2. Il y a étau et étal !

Ils sont tous deux d’origine francique mais comme d’autres mots en -stal- (stalle, installer, piédestal), étal – dont le pluriel est étals – est issu de *stal, « position, demeure, étable ». Dérivés : étaler, étalage, étalagiste, étalement, détaler.


3. percevoir est issu du latin percipere, dérivé préfixé du verbe capere, « saisir, prendre, contenir » (Voir la famille CAPTER.) Dérivés : perception, percepteur, apercevoir.


4. pertuisane vient comme partisan de l’italien, partigiana pour l’un et partigiano pour l’autre. La hallebarde du partisan, arme blanche en usage du XVe au XVIIe s., aurait donc dû normalement s’appeler la partisane. (Voir famille PART). Étant donnée la fonction du signifié, le mot a facilement subi l’influence de l’ancien verbe pertuiser.

Dans d’autres langues indoeuropéennes

esp. arquetipo, contundir, contusión, estudiar, estudio, estupendo, estúpido, estupor, estupro, tipo

port. arquétipo, contundir, contusão, estudar, estudo, estupendo, estúpido, estupor, estupro, tipo

it. ottuso, pertugiare, studiare, studio, stupire, stupro

angl. contuse, obtuse, pierce, steep, steeple, stint, stub, study, stupefy, stupendous, stupid, toil, type

all. Staupe, stäupen, Stoss, stossen, stottern, stutzen, tüpfeln, tupfen

rus. контузия, студент, студия, типография, штудировать, штука








Les grandes familles de mots

par Jean-Claude Rolland

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