« Les préparatifs de l’appareil du parti »
La famille PART
Patriarche indoeuropéen : *PER∂-, « part ; produire ; procurer » [1]
Les branches
1. Un des grands ancêtres – tous latins – de cette famille (ou groupe de familles) est le nom
pars, génitif
partis, « part accordée ». En sont issus presque tous[
2] les mots qui contiennent le radical -
part-, et ils sont nombreux :
part, partage, partance, partenaire, parti, partial, participer[3], particule, particulier, partie, partiel, partir, partisan, partitif, partition, aparté, appartement, compartiment, contrepartie, départ, départager, département, départir, impartial, la plupart, repartir, répartir, ...
NB : avec son
t final,
rempart a l’air d’appartenir à ce groupe mais il relève en fait du groupe suivant. Il est en effet dérivé d’un verbe
remparer sorti d’usage.
2. Trois autres grands ancêtres de la famille sont des verbes en -
par- :
– le verbe
parare, « préparer, apprêter, arranger »,
– le verbe
pario, p.p.
partus, « enfanter, produire »,
– un hypothétique verbe *
parere, « procurer, fournir » dont
parens, génitif
parentis, « le père ou la mère », serait le participe présent[
4].
En sont issus nombre de mots qui contiennent le radical -
par- :
Issus de
parare :
parachute, parade, parages, parapet, parapluie, parasol, paravent, parer, pare-, parure, appareil, déparer, désemparé, imparable, préparer, rempart, réparer, s’emparer, séparer, ...
Issus de
pario, partus : parturiente, parturition, et l’élément final -
pare, tels
ovipare, vivipare, etc.
Issus de *
parere :
parent, parental, parentèle, apparenté, ...
3. Il faut enfin citer deux autres mots en -
per- : le verbe
imperare, « commander en maître, ordonner », probable dérivé préfixé de
parare, et un probable dérivé préfixé de *
parere, le nom bas latin
repertorium, « inventaire ». En sont issus un certain nombre de mots contenant le radical -
per- :
Issus de
imperare :
empereur, impérial, impératrice, impératif, impérativement, impériale, impérialiste, impérialisme, impérieux.
Issus de
reperire :
répertoire, répertorier.
Les invités masqués
1. Dans -
parti- (branche 1), il a perdu son
ti :
parcelle, d’un latin populaire *
particella, du latin classique
particula, diminutif de
pars. Dérivé :
parcellaire.
2. Dans -
part-, il a remplacé le
a par un
e :
pertuisane (voir Curiosités).
3. Doublet populaire de séparer (branche 2), on n’y reconnaît plus son étymon latin :
sevrer, du latin populaire *
seperare, altération du lat. class.
separare. Dérivé :
sevrage.
4. Dans -
per- (branche 3), il a remplacé le
e par un
i, et il est bien le seul de sa famille :
empire. À croire qu’il souhaitait rimer avec
pire (voir la famille
PÉTITION)...
5. Il a changé son élément final -
per en -
vre :
pauvre, du latin
pauper, même sens. Ce dernier mot est en effet probablement analysable en *
pau-per, « qui produit peu ». Dérivés :
pauvreté, pauvrement, pauvret, pauvresse, paupérisme, appauvrir....
Curiosités
1.
avoir maille à partir : dans cette locution verbale,
partir conserve le sens – qu’il n’a nulle part ailleurs – de
partager,
répartir, et
maille, ici doublet de
médaille, celui de « monnaie de très faible valeur ». Mais le sens de « avoir de l’argent à partager » s’est perdu et la locution ne signifie plus maintenant que « avoir un différend ».
2.
pertuisane vient comme
partisan de l’italien :
partigiana pour l’un et
partigiano pour l’autre. La hallebarde du partisan, arme blanche en usage du XVe au XVIIe s., aurait donc dû normalement s’appeler la partisane. Le mot a probablement subi l’influence de
pertuis, dérivé de l’ancien verbe
pertuiser, “faire un trou”, doublet de
percer.
3.
vipère : emprunt au lat. class.
vipera, « vipère ». Le mot est peut-être une contraction de
vivipara, fém. de
viviparus, « vivipare ». On croyait en effet autrefois que la vipère ne pondait pas d’œufs.
Vipera avait abouti en ancien fr. à
guivre, wivre, voivre, et
vouivre[
5], série encore vivante dans les dialectes. (Pour
vivi-, voir la famille
VIVRE).
Homonymes et faux frères
1. Il y a
appareiller et
appareiller !
–
appareiller (1), relié à
appareil, issu du latin
parare, est donc de la famille. Son nom d’action est
appareillage.
–
appareiller (2), relié à
pareil, issu du latin
par, et dont le nom d’action est
appareillement.
Le mot latin
par, génitif
paris, « pair », reste d’origine obscure en l’absence d’un terme indoeuropéen commun pour la notion d’égalité. Dérivés :
pair, impair, paire, pareil, appareiller, dépareiller, comparer, comparaison, (in)comparable, comparatif, pari, parier, parieur, parité, disparité, paritaire.
2. Il y a
empire et
empirer !
Le nom, nous l’avons vu, est de la famille, mais le verbe est dérivé de l’adjectif
pire (voir la famille
PÉTITION).
Et pour l’adjectif
empirique, voir la famille
PORT.
3. Il y a
para- et
para- !
-
para- (1) est de la famille ; il est tiré de mots empruntés à l’italien, comme
parasol et
paravent, ou adaptés de cette langue, comme
parapet. Il est dérivé de
parare, « protéger », correspondant au français
parer, avec l’idée de protection contre quelque chose qu’a ce verbe dans les locutions
parer un coup, parer à toute éventualité, parer au plus pressé. C’est la troisième personne du présent de ce verbe que l’on retrouve dans les noms composés du type
pare-boue, pare-brise, pare-chocs, etc.
-
para- (2) représente quant à lui le préfixe grec
παρα-, -
para-, tiré de la préposition
παρα, para qui s’est prêtée à exprimer une grande quantité de sens très divers, depuis la ressemblance jusqu’à la différence, les deux notions naissant de la juxtaposition spatiale et du sens premier de “auprès de”. En français,
para- exprime souvent l’idée de contigüité, de proximité spatiale, ou d’appartenance à un domaine proche. Il figure d’abord dans de nombreux termes empruntés au grec (
paragraphe, parasite, etc.). Puis il apparaît comme élément formant dans le système morphologique du français, indiquant la ressemblance plus ou moins prononcée (et souvent trompeuse), la marginalité, voire l’anomalie, et glissant de l’idée de “proximité” (
paramilitaire, parapharmacie, paramédical) vers celle d’ “exclusion” (
paralittérature). (Voir la famille
PREMIER).
4. Il y a
parages,
parage, et
parage !
-
parages (1), au pluriel, hérité d'un
parage singulier, terme de marine signifiant « espace déterminé de la mer », correspondant au castillan
paraje, « lieu où se trouve un bateau », issu du verbe
parar, « s'arrêter », du latin
parare (branche 2). Ce n'est qu'au XIXe s. que le pluriel est passé dans l'usage courant avec le sens général d' « environs, voisinage » en particulier dans la locution d'abord familière
dans les parages.
-
parage (2) est l'action de
parer, d'orner, terme technique (viticulture, boucherie).
-
parage (3) est un ancien mot dérivé de
pair. Il signifie « origine, extraction », ne survit guère que dans la locution
de haut parage, « de haute naissance ».
5.
portion et
proportion, du latin
portio, portionis, ne seraient pas liés à
part, comme on l’a longtemps pensé, mais aux doublets
raison, ration, issus du latin
ratio, gén.
rationis.
6. Pour d’autres mots en -
per-, voir la famille
PORT.
Dans d’autres langues indoeuropéennes
esp.
amparar, aparato, apartar, compartir, comprar, disparar, emperador, paradero, paraje, parapeto, parcial, pariente, parir, parte, particular, partido, partir, parto, repertorio, separar
port.
amparar, aparato, comprar, parte, particular, partida, partido
it.
imparare, imperatore, parare, parata, parente, parte, partenza, partire, partorire, puerpera, reparto, riparazione, scompartimento
angl.
apparatus, departure, imperative, parade, parent, part, partner, party, prepare, repair, repertory, separate, sever, several
all.
Appartement, Parade, paradieren, Part, Partei, parteilich, Partie, Partikel
rus.
аппарат, император, парад, парашют, партия, партнёр
Notes :
1 Les connaissances étymologiques actuelles ne permettent pas d’affirmer l’existence d’un ancêtre indo-européen commun *PER∂- pour les familles que nous avons regroupées dans ce chapitre bien qu’il n’y ait pas toujours entre elles de liens sémantiques très clairs. L’homonymie étant un phénomène linguistique probablement aussi vieux que le langage, il n’est pas interdit de penser que ces familles sont peut-être issues de racines homonymes.
2 Les trois exceptions sont
parterre, partout et
parthénon.
3 Pour l’élément -
cip- de
participer, voir la famille
CAPTER.
4 C’est du moins la théorie de l’étymologiste italien G. Devoto. Ce dernier fait remarquer non sans quelque raison que, morphologiquement, le participe présent de
pario est
pariens, et qu’en outre, d’un point de vue sémantique, c’est la mère qui enfante et elle seule.
5
La Vouivre est le titre d’un roman de Marcel Aymé.