« La tendinite du tennisman »
La famille TENIR
Patriarche indoeuropéen : *TEN-, « tendre, étendre, étirer »
Les branches
1. Parmi les membres français de cette famille on trouve d’abord le verbe
tenir, il tient, du latin
tenere, « tenir, durer », et ses nombreux dérivés et composés :
tenailles, tenant, tennis, ténor, tenue, abstention, appartenir, contenir, content, contentieux, contention, décontenancer, détenir, détenteur, détention, détenu, entretenir, entretien, insoutenable, intenable, lieutenant, maintenance, maintenant, maintenir, maintien, manutention, mécontent, obtenir, retenir, retenue, soutenir, soutien, ...
(Pour l’adjectif
ténu, voir plus loin dans la partie « Homonymes ».)
2. On trouve aussi des descendants des composés préfixés de
tenere, où -
ten- est changé en -
tin-, comme dans
continere, « maintenir uni, contenir ». La plupart des mots français qui contiennent le radical -
tin- en sont issus :
abstinence, continent, continu, continuel, continuer, discontinu, impertinent, incontinence, pertinent, ...
3. Un autre ancêtre latin de la famille est le verbe
tendere, participe passé
tensus ou
tentus, « tendre (v.) » et ses nombreux composés. En sont issus la plupart des mots français qui contiennent les radicaux -
tend-, -tens- ou -
tent- :
tendre (v.),
tendance, tendeur, tendinite, tendon, attendre, détendre, entendre, étendre, intendance, prétendre, ...
tension, extension, intense, ostensible, ...
tente, tenture, attente, attention, détente, entente, intention, prétention, ...
(Pour l’adjectif
tendre, voir plus loin dans la partie « Homonymes ».)
4. Cette famille a enfin des ancêtres grecs dont les principaux sont le nom
τονος, tonos, « ligament tendu, intensité, tension, ton de la voix, mode musical », et le verbe
τεινειν, teinein, « tendre », part. prés.
τεινουσος, teinousos, et part. passé
τετανος, tetanos. En sont issus :
ton, tonalité, toner, tonifier, tonique, tonus, atone, baryton, détonner, diatonique, entonner, intonation, monotone, sonotone, ...
hypoténuse : formé de
υπο, hupo, « sous », et du participe présent de
teinein.
tétanos : participe passé substantivé de
teinein.
Les invités masqués
1. Après son
rê- initial, il cache bien son
t :
rêne vient d’un latin vulgaire *
retina, issu du classique
retinaculum, même sens. Ce dernier mot est un dérivé de
retinere, « retenir », composé préfixé de
tenere.
La
rétine de l’œil est sans rapport avec *
retina :
rétine vient, comme
réticule,
rets et
réseau, du latin
rete, “rets, filet”, la rétine présentant un réseau de vaisseaux sanguins.
2. Sous son -
oi-, il cache bien son
n :
toise vient de
tensa, part. passé substantivé de
tendere, au sens de « étendue », d’où la valeur de « mesure de longueur » prise par le mot français. Dérivés :
toiser, entretoise.
Curiosités
1.
hypertension, hypertendu, hypotension, hypotendu : voilà des mots dont le premier élément est d’origine grecque et le deuxième d’origine latine ; ils sont donc un peu métissés. Le cas n’est pas rare (cf.
automobile, paramilitaire, hypermarché, etc.).
2.
maintenant est issu du latin
manu tenendo, « pendant que l’on tient ou que l’on a quelque chose dans sa main ». De là l’expression a développé une idée de rapidité du geste, de promptitude, qui a abouti au sens de « aussitôt ». On retrouve ce sens de « avoir » pour
tenir (cf. esp.
tener) dans le proverbe
Un « tiens » vaut mieux que deux « tu l’auras ».
3.
tennis : du français
tenez, impératif de
tenir, ce mot fut d’abord le nom donné au jeu de paumes, à cause de l’exclamation du serveur. Emprunté par l’anglais au XIVe s. sous la forme
tenetz, acclimatée en
tennes, teneys, tenys, tenise, enfin
tennis, forme sous laquelle il repassa la Manche cinq siècles plus tard.
Homonymes et faux frères
1. Il y a
tendre et
tendre !
L’adjectif
tendre est issu du latin
tener, gén.
teneris, même sens. De toutes les langues indoeuropéennes, seul le latin présente cette forme. Néanmoins, et bien qu’il soit difficile de saisir le lien sémantique entre la
tension et la
tendresse, les étymologistes pensent que ce mot est probablement aussi de la famille. Dérivés :
tendresse, tendrement, attendrir, attendrissant.
2. Il y a
tenue et
ténue !
Ce que nous venons de dire pour l’adj.
tendre peut être redit pour l’adj.
ténu, issu du lat.
tenuis, même sens, dont le féminin,
ténue, ne doit pas être confondu avec le nom
tenue. On le rattache cependant plus facilement à la famille que l’adj.
tendre en arguant du fait qu’un corps élastique bien tendu est aminci et moins résistant [
1]. Dérivés :
atténuer, exténuer, ...
3. Il y a
tente, tenter ... et
tante !
–
tente est de la famille puisqu’il est issu du latin
tenta, féminin de
tentus, participe passé de
tendere.
–
tenter est issu du latin
temptare, « toucher, tâter, faire l’essai de » (cf. angl.
temptation, to attempt). Dérivés :
tentant, tentative, tentation, tentacule, attentat, intenter, ...
Le verbe
temptare est sans étymologie connue ; cependant il a été confondu avec
tentare, « agiter, inquiéter », fréquentatif de
tendere, au point que la distinction entre ce qui appartient proprement à l’un ou à l’autre verbe est difficile. [
2]
–
tante est probablement une altération d’origine enfantine (
tata) de l’ancien français
ante (cf. angl.
aunt), lequel remonte au lat. class.
amita, « sœur du père, tante paternelle ».
4. Il y a
toise et
toison !
–
toise, malgré son déguisement, est bien de la famille comme on l’a vu plus haut.
– mais
toison est issu du bas latin
tonsio, « action de tondre », de la famille de
tondere, « tondre », sans rapport avec *TEN-. Dérivés :
tondre, tondeuse, tonte, tonsure, et peut-être aussi l'adjectif (rare)
tomenteux.
5. Il y a
toner, tonnerre et
tonne !
–
toner (n.m.) est un récent réemprunt à l’anglais. Issu de l’angl.
tone, « ton », lui-même issu du français
ton, il est bien de la famille.
Une variante de l’angl.
tone est
tune, d’où est issu
tuner, lui aussi emprunté par le français au milieu du XXe s.
–
tonnerre est issu du latin
tonitrus ou
tonitruum, même sens. Certains étymologistes le rattachent aussi à la famille de
ton, mais d’autres préfèrent le rapprocher de ses équivalents germaniques (all.
Donner, angl.
thunder) issus du nom du dieu
Thor. Ce qui n’exclut pas la possibilité d’une racine indoeuropéenne commune. Dérivés :
tonner, étonner, étonnant, étonnement, détonation, détonateur, tonitruant.
–
tonne est issu du lat. médiéval
tunna ou
tonna, « grand tonneau », lui-même probablement d’origine gauloise. Dérivés :
tonneau, tonnelle, tonnage, entonnoir [
3], ...
6. Il y a
rêne, reine, et
renne !
–
rêne est de la famille, comme on l’a vu plus haut.
–
reine est issu du latin
regina, même sens. (Voir la famille
ROI.)
–
renne est d’origine scandinave, via l’allemand
Reen.
Quant au nom de la ville de
Rennes, il est d’origine celtique, et lui vient du nom de ses habitants gaulois, les
Redones ou
Riedones.
7.
étendard est sans rapport avec le verbe
étendre. C’est un doublet de
standard ; l’un et l’autre appartiennent à la branche germanique de la famille
STATION.
Dans d’autres langues indoeuropéennes
esp.
atención, contener, continuar, hipotenusa, portento, sostén, tenaz, tenazas, tender, tener, teniente, tenis, tenor, tensión, tenue, tétanos, tienda, tieso, tono
port.
atenção, contender, continuar, entender, hipotenusa, portento, tenaz, tender, ter, tenda, tenente, tênia, tênis, tenor, tensão, tênue, teso, tétano, tom, tono
it.
attendere, attento, contento, intendere, intento, intenzione, ostento, redina, stendere, tenace, tenda, tenente, tenere, tenore, tenue, teso
angl.
abstain, attend, attenuate, contend, continue, entertain, extend, intend, obtain, rein, retinue, tenant, tend, tendency, tenet, tense, tent, tetanus, tone
all.
Attentat, dünn, Dünne, Kontinent, monoton, Tennis, verdünnen
rus.
гипотенуза, контейнер, континент, лейтенант, претензия, тенденция, теннис, тенор, тон, тонус, тяга, тянуть
Notes
1- Pour les mêmes raisons, l’anglais
thin, « mince », se rattache probablement à la racine *TEN-.
2- C’est notamment le cas du verbe
tancer, issu d’un latin populaire *
tentiare, dont on ne sait s’il est lui-même issu de
tentare ou de
temptare.
3- Il y a
entonner et
entonner ! Un
entonnoir ne sert pas à entonner une chanson mais à entonner (terme technique) un liquide, c’est à dire à le verser dans un
tonneau.