Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Thursday 07 Jun 07, 22:35 |
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Mluvite a écrit: | Or, aurum, aura, aurore, Ahura Mazda :
la racine i.e. est-elle commune : le brillant, le lumineux ? |
Ainsi que vient de le dire semensat, mais en utilisant la théorie des laryngales, il faut partir d'un thème eurindien :
*h₂eu-s- / *h₂u-es- : briller, dans les tons chauds, roses et dorés
(u peut se réaliser w ; dans les langues citées ici, h₂e > a et h₂u > au en grec et u dans les autres langues)
La racine verbale
Elle est directement attestée en sanskrit védique, VAS- « briller », présent ucchati (*h₂u-s-sko-ti), parfait uvāsa (*h₂u-h₂u-os-a), adj. verb. uṣṭa (*h₂u-s-to-).
Le nom de l'or
Sur le thème *h₂eu-s-, on construit un neutre *h₂eu-s-on à valeur d'agent inanimé, « or » (ce qui brille) qui est attesté dans les langues italiques par le sabin ausom et, avec l'évolution phonétique (rhotacisme) du « s » intervocalique et la fermeture du « o », par le latin aurum.
Dans les langues romanes, la diphtongue au accentuée s'est quelquefois conservée (roumain, provençal aur), simplifiée (sarde lar) ou assimilée (portugais ouro) mais, le plus souvent, elle s'est contractée (italien, espagnol oro, français or).
On notera aussi des emprunts par des langues non romanes : irlandais or, gallois aur, albanais ar.
En baltique d'autres extensions ont été utilisées, *h₂eu-s-os, vx-lituanien ausas, lituanien áuksas (k inexpliqué), ou *h₂eu-s-is, vx-prussien ausis.
On notera aussi une formation secondaire dans arménien os-ki.
Sur le thème *h₂u-es- on trouve tokharien A wäs et, avec évolution sémantique, finnois vas-ki « cuivre ».
*** Le mot aura au sens de « émanation, souffle » n'appartient pas à cette famille. Il vient directement du latin aura « air en mouvement » qui est un emprunt au grec αὔρα « souffle, brise de mer » (voir là-dessus le mot du jour aura). Il reste cependant possible que, pour les nimbes divins, une contamination sémantique se soit produite avec « auréole » qui, lui, vient de l'adjectif dérivé latin aureolus « d'or ».
L'évolution phonétique régulière du latin aura aboutit au vx-français ore « brise », d'où par suffixation augmentative (cp. rive > rivage) : « orage ».
Le nom de l'aurore
Les nuances de couleur de la racine se rencontrent aussi dans le lever du soleil, phénomène présidé par une déesse (aux doigts de roses, comme chacun sait) qui en porte le nom. On s'est souvent servi ici du suffixe *-(e/o)s- qui produit des noms d'agents féminins (sauf en latin, où on a donc dû utiliser une féminisation secondaire) :
sanskrit *h₂u-s-os > uṣāḥ, Uṣāḥ
latin *h₂eu-s-os-eh₂ > aurōra, Aurōra
grec *h₂eu-s-os > hom. ἠώς « Éos », attique ἕως [héōs] (le η homérique est issu d'un ā, la chute du σ intervocalique produit normalement une aspiration initiale qui subsiste en attique mais qui est éliminée par psilose dans les dialectes grecs d'Asie)
Pour le même usage, un autre suffixe formateur de noms d'agent, *-r-, éventuellement thématisé *-ro-, féminisé *-reh₂- ou *-ri- a produit des noms de l'aurore ou liés à elle :
sanskrit *h₂u-es-er > *vasar > vasar-han « qui tue à l'aurore [les demons de la nuit] », épiclèse d'Agni (RV I.122.3), et vāsara adj. « du matin », n. « jour »
grec *h₂eu-s-ro-s > *αυρος > ἄγχ-αυρος « proche du matin » et le diminutif αὔριον « vers le matin > demain » d'où le grec mod. αύριο [ávrio] « demain »
(sur l'évolution sémantique matin > demain, on comparera l'allemand Morgen « matin », adv. morgen « demain »)
balto-slave *h₂eu-s-reh₂ > lituanien aušrà « aurore », et peut-être, avec le développement d'un « t » euphonique, lett. àustra « aurore », vx-slave za ustra « au matin »
celtique *h₂u-ōs-ri- > moyen-irl. fāir « lever du soleil », gall. gwawr « aurore », bret. gwere laouen « étoile du matin » (qui me fournit une transition naturelle)
L'étoile matutine
Indissolublement liée à l'aurore est la planète Vénus qui, selon ses phases, annonce et précède le lever du soleil. Appelée en latin luci-fer « qui apporte la lumière » (de *leuk- « luire » et *bher- « porter »), ses noms sont, comme en breton, fréquemment formés sur celui de l'aurore :
grec ἑωσ-φόρος « qui apporte l'aurore » [heōsphóros], de ἕως « aurore » et *bher- « porter »
germanique *ausr-wendel dans norrois Aurvandill, lombard Auriwandalo, vx-haut-all. Orendil, anglo-saxon Ēarendel, ce dernier ayant été réactualisé par Tolkien en Eärendil dans sa mythologie elfique (le second membre du composé est obscur, on en a rapproché le nom des Vandales)
lituanien aušrinnis « la petite aurore », de aušrà « aurore »
grec moderne αυγερινός [avierinós] « la petite aurore », de αυγή [avyí] « aurore », du grec ancien αὐγή [augē] « lumière vive » qui se dit du soleil, du feu et du regard (l'atténuation du sens se retrouve en albanais : agój « faire jour », agume « aube »)
Le côté de la lumière
L'eurindien possède un suffixe *-t(e)ro- qui a servi à former des comparatifs mais qui, primitivement, marque le choix entre deux membres d'un couple (*kʷo-tero > skr. katara, grec πότερος « lequel des deux ? ») ou, par ellipse, un de deux termes d'une opposition naturelle (skr. aśva « cheval », aśvatara « mulet »). Combiné à la racine *h₂eu-s- « briller », il a pu servir à désigner la direction d'où venait la lumière, mais de façon fort différente selon les cultures !
En latin, l'opposition se fait par rapport au nord : *h₂eu-s-tro > auster « vent (= direction) du Sud », d'où l'adjectif austrālis « du Sud, austral »
En germanique, privilégiant le lever du soleil, l'opposition se fait par rapport à l'ouest : *h₂eu-s-tro > germ. commun *austrō, d'où norrois austr « Est », anglo-saxon ēasterra « oriental », Ēstr-anglī « Anglais de l'Est » (Bede), vx-haut-all. Östar-rīhi « royaume de l'Est » (all. Österreich, latinisé Austria, fr. Autriche). À la même série appartiennent les désignations latines Austrogoti, Ostrogotae, pour désigner les plus orientaux des Goths.
Mais, soit simplification, soit suffixation alternante, c'est une forme *austa qui donnera le nom de l'Est le plus répandu, all. Osten, néerl. oost, angl. east
*** En dépit de la ressemblance phonétique, le français « Orient » n'appartient pas à la famille. Il provient du latin oriēns (< *h₃er-ye-nt-s), participe présent de orior « se lever » (cp. « Levant »). La racine est *h₃er- (*-yo- est un formateur de présents) « mettre en mouvement », on la retrouve ailleurs, souvent avec un élargissement u et un présent à infixe nasal *h₃r-n-eu-ti : skr. ṛnoti « aller, atteindre », hittite arnuzi « faire atteindre », grec ὄρνῡμι « s'élancer », mais d'autres formations sont attestées : skr. ṛchati (*h₃r-ske-ti), grec ὀρούω (*h₃r-ou-yo-).
Le retour de la lumière
De même que, dans le cycle diurne, l'aurore avec le retour de la lumière marque la fin des terreurs de la nuit, de même, dans l'année, le printemps clot les rigueurs de l'hiver avec les premiers beaux jours. Un nom du printemps a donc été formé sur le thème *h₂eu-s- au moyen d'une vieille extension alternante *-(r/n)- (r aux cas directs, n aux cas obliques) qui, vu son archaïsme, a subi quelques vicissitudes mais qui se laisse globalement reconnaître :
sanskrit *h₂u-es-e(r/n)- : vasara « été », vasanta « printemps »
avestique *h₂u-es-r- : locatif vaŋri [vahr-i] « au printemps »
grec *h₂u-es-r- : *ϝέσαρ > ἔαρ [éar] « printemps »
latin *h₂u-es-(r/n)- : uēr (<*uesr) « printemps », uernus (< *uesnus) « printannier »
norrois *h₂u-es-r- : vār « printemps »
On a vu plus haut qu'en Inde, en Grèce et à Rome, une déesse, Uṣāḥ, Éos ou Aurora, personnifiait l'aurore. Comme pour beaucoup de divinités naturalistes, on ne sait que très peu de choses de leur culte et nous les connaissons surtout à travers les mythes. Il reste cependant probable qu'elles intervenaient d'une façon ou d'une autre dans les rituels printanniers et on a effectivement gardé le nom (ou une épiclèse ?) de la germanique, formé avec le suffixe *tor- de noms d'agent, ou, plus exactement, celui de sa fête de printemps (suffixe secondaire *-ōn) :
germanique *h₂eu-s-tr-ōn : germ. comm. *austrō, angl. Easter, all. Oster « Pâques » (la fête de Celle qui éclaire)
Quelques curiosités
En sanskrit, usra (< *h₂u-s-ro-) « matinal, rougeâtre » signifie aussi « vache ». La métaphore peut étonner mais, en fait, elle est très banale en Inde védique où il y a une identité conceptuelle entre les eaux, les aurores et les vaches, toutes trois sources de bienfaits. La plupart des exploits d'Indra consiste à délivrer une de ces trois entités qu'un démon retient prisonnières.
Une glose d'Hésychius ἠϊκανός· ὁ ἀλεκτρυών [ēï-kanós : le coq] peut s'interpréter comme « celui qui chante à l'aurore » d'un locatif *h₂eu-s-i et d'une racine *ken- « chanter » (lat. canō, irl. cechan). On retrouve là le nom germanique du coq (got. hana, all. Hahn) et on a une métaphore équivalente dans le sanskrit uṣaḥkala « coq (= qui fait du bruit à l'aurore) » (mot de lexique).
On a prétendu tirer du thème *h₂u-es- « briller de couleurs chaudes » le nom latin Vesuvius du célèbre volcan qui domine Naples. Mais la dérivation n'est pas claire et d'autres explications ont été proposées …
Les dieux Indo-aryens
Dans le nom de Ahura Mazda (contracté plus tard en Ormazd), le dieu du mazdéisme iranien, le terme ahura est probablement à prendre au sens de « seigneur » et il est un correspondant phonétique exact du sanskrit asura « démon » !
Mais la contradiction n'est qu'apparente. Si, dans l'Inde classique, les dieux sont appelés sura et les démons a-sura « non sura », ce n'est l'effet que d'une fausse dérivation (sura ne veut rien dire !). En fait, les Asuras semblent être une classe de dieux anciens qui, après avoir collaboré avec les Devas (les dieux jeunes) dans le Barattage de la Mer de Lait en vue d'obtenir la liqueur d'immortalité, se sont ensuite opposés à eux dans une lutte sans fin pour la possession de celle-ci. Et, d'ailleurs, les choses ne sont pas si claires puisqu'à plusieurs reprises le titre d'Asura s'applique à des Devas et, en particulier, à l'un des plus puissants d'entre eux, Varuṇa.
Le plus vraisemblable est de voir le rapport entre Asuras et Devas comme plus ou moins parallèle à celui qui existe en Grèce entre Titans et Olympiens.
*** L'étymologie de asura n'est pas complètement élucidée mais supposer que le mot repose sur *h₂eu-s- ne fait que compliquer les choses en nécessitant une métathèse *h₂es-u- que rien ne justifie.
Une vieille hypothèse, nettement plus convaincante, part d'une racine *h₂en- liée au souffle (skr. aniti « respirer », grec ἄνεμός « vent », lat. anima « souffle, âme ») qui, avec un suffixe -su à valeur désidérative aurait d'abord donné asu (< *h₂n-su avec vocalisation de n) « vie, force vitale » et, enfin, avec un vague suffixe secondaire d'appartenance -ra : asura « qui est lié à la vie », à comprendre peut-être « toujours vivant ».
Cela peut sembler a priori un peu vague mais prend une valeur intéressante si on rapproche *h₂en-su- de la rune nordique ansuz (la quatrième du Futhmark) qui symbolise le souffle vital et dont le nom est lié au germanique *ans « dieu » qu'on trouve dans le nom des Ases (norrois Áss, pl. Aesir).
Du point de vue de la religion comparée, on ne peut pas facilement rapprocher les Ases nordiques des Asuras indiens car, dans les mythes de fin du monde (Ragnarökr et Mahābhārata), les Ases sont les gentils et les Asuras les méchants, mais certains indices suggèrent qu'il ne s'agit peut-être que d'évolutions divergentes d'un fond mythique commun …
Dernière édition par Outis le Saturday 09 Jun 07, 8:25; édité 4 fois |
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