Voir le sujet précédent :: Voir le sujet suivant |
Auteur |
Message |
Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
|
écrit le Tuesday 13 Jul 10, 10:36 |
|
|
La grande famille des amarantes (pour les botanistes, famille des Amaranthacées) contient toutes sortes de plantes bien connues, ou qu'elles soient comestibles (épinard, blette, betterave, quinoa, etc.), ou qu'elles soient ornementales comme la queue-de-renard. Cette famille a absorbé l'ancienne famille des chénopodes (pour les botanistes, famille, aujourd'hui désuète, des Chénopodiacées) mais mon goût n'ira pas aujourd'hui vers la taxinomie végétale, plutôt vers quelques noms qui ont excité ma curiosité.
Les nom des chénopodes seront examinés plus tard (c'est fait) mais aujourd'hui, c'est le h perdu de « amarante » qui m'intrigue. Est-ce la paronymie avec « amante » ou celle avec « marrante » qui a conduit Sainte-Beuve à écrire :
Citation: | la branche d'amarante, symbole de la vertu qui ne se flétrit jamais |
et Jules Laforgue, prenant à la fleur une couleur :
Citation: | brodé sur un écu de peluche amarante |
En remontant même jusqu'à Ovide qui, nous montrant les compagnes de Perséphone cueillant des fleurs (dans la scène où la déesse va être enlevée par Hadès) :
Ovide, Fastes, IV, 437-439 a écrit: | illa legit calthas, huic sunt violaria curae,
illa papavereas subsecat ungue comas :
has hyacinthe, tenes ; illas, amarante, moraris
l'une cueille des soucis, l'autre cherche des violettes, une autre coupe avec l'ongle les pavots chevelus ; hyacinthe, tu retiens les unes, et toi, amarante, tu arrêtes les autres |
Alors que nos bons botanistes maintiennent le genre Amaranthus dans la famille des Amaranthaceae et que notre bon Wikipedia le justifie par l'étymologie :
Citation: | Amaranthus vient du grec ancien Αμάρανθος, formé du privatif a-, « sans » et de maranthos, « qui se fane » (elle est de ce fait un symbole de l'immortalité). L'amarante a la réputation de ne pas se faner. Certaines espèces sont d'ailleurs utilisées dans les bouquets secs. |
Que les étymologistes amateurs soient soulagés, ils ont de la compagnie ! Car les gugusses ne sont pas nos bons auteurs mais les botanistes, que l'on constate si souvent être de piètres linguistes, tout comme le rédacteur de Wikipedia qui va jusqu'à inventer des mots grecs par respect de l'ignorance !
Car, oui, le latin amarantus vient bien du grec mais, sans non plus la moindre aspiration, la plante s'y nomme ἀμάραντον (sans qu'on sache s'il s'agit de notre amarante ou de l'immortelle, Helichrysum stoechas), un neutre obtenu par substantivisation de l'adjectif ἀμάραντος « qui ne flétrit pas ».
Il faut partir d'un verbe μαραίνω qui a d'abord eu le sens d'étouffer un feu, comme Hermès enfant qui, après avoir fait sacrifice d'un bœuf qu'il avait dérobé à son frère Apollon, prend soin d'effacer les traces :
Homère, Hymne à Hermès, v. 140 a écrit: | ἀνθρακιὴν δ᾽ ἐμάρανε, κόνιν δ᾽ ἀμάθυνε μέλαιναν
il étouffa les charbons puis dispersa la cendre noire |
Puis il prend le sens général de « dépérir », d'où, pour désigner la consomption, le dérivé μαρασμός qui conduira, avec aujourd'hui surtout un sens figuré, à notre « marasme ». Enfin, il prendra le sens de « faner, flétrir », sens qu'il garde encore en grec moderne.
Il ne fait guère de doute que ce μαραίνω est, avec une suffixation probablement analogique, issu de la racine *mr- « mourir », largement attestée, et qu'ainsi le dérivé privatif ἀμάραντος « qui ne meurt pas » a donné à la fleur qui ne fane pas le nom d'amarante, de formation tout-à-fait parallèle (le a- privatif du grec est une ancienne nasale) à celui d'immortelle, fleur tout aussi robuste.
Quant aux botanistes, qui ne connaissent souvent du latin et du grec que ce qui leur sert à forger des noms, ils sont si habitués à utiliser le suffixe -anthe (du grec ἄνθος « fleur ») qu'ils l'ont évidemment reconnu dans amaranthe …
Dernière édition par Outis le Saturday 17 Jul 10, 9:53; édité 1 fois |
|
|
|
|
gilou
Inscrit le: 02 Jan 2007 Messages: 1528 Lieu: Paris et Rambouillet
|
écrit le Tuesday 13 Jul 10, 14:02 |
|
|
L'amarante est un élément essentiel dans la civilisation aztèque, qui arrive en seconde position après le maïs dans cette culture pour son rôle alimentaire et cérémoniel.
L'amarante est un des piliers de l'alimentation aztèque (avec le maïs, le chia [cette dernière plante, bourrée de qualités diététiques, mériterait d'être plus connue dans nos contrées], le haricot et la courge). On consomme ses feuilles, et, en période de disette, ses graines.
Le terme de base est huauhtli /waw-λ(i)/, avec donc une racine waw-
On a de nombreux noms pour les diverses variétés d'amarante:
tlīlhuauhtli /λīl-waw-λ(i)/ "noir-amarante" -> amarante noire
tlapalhuauhtli /λapal-waw-λ(i)/ "rouge-amarante" -> amarante rouge
xōchihuauhtli /šōči-waw-λ(i)/ "fleur-amarante" -> amarante jaune
michihuauhtli /miči-waw-λ(i)/ "?-amarante": amarante blanche (Argemone mexicana)
texohhuauhtli /tešoh-waw-λ(i)/ "bleu clair-amarante" -> amarante bleue
chīchīlhuauhtli /čīčīl-waw-λ(i)/ "rouge piment-amarante" -> amarante violacée. Aussi huauhchīchīlli /waw-čīčīl-λ(i)/
nexhuauhtli /neš-waw-λ(i)/ "gris cendre-amarante" -> amarante grise
tezcahuauhtli /teska-waw-λ(i)/ "miroir-amarante" -> amarante à graines noires et brillantes (les miroirs sont fabriqués à partir d'une pierre noire)
teōhuauhtli /teō-waw-λ(i)/ "dieu-amarante": amarante rouge vif (sans doute une variété d'amarante sauvage au gout amer, mangée en période de disette. Le teō à peut être le sens ici d'authentique, vrai (ie sauvage, non cultivée))
tōtolhuauhtli /tōtol-waw-λ(i)/ "dinde dindon-amarante": une variété d'amarante à graines blanches.
etc.
Je vous fais grâce des dizaines de noms et verbes ou la racine apparaît. Noter néanmoins les termes suivant:
huauhquilitl /waw-kili-λ/ "amarante-légume vert": Feuilles d'amarante qui étaient bouillies et que l'on mangeait en légume.
huauhquilmōlli /waw-kil[i]-mōl-λ(i)/ "amarante-légume vert-ragoût sauce épaisse": Sauce ou bouillie de feuilles d'amarante (et de piments)
huauhātōlli /waw-ātōl-λ(i)/ "amarante-atole" atole (boisson épaisse faite avec du maïs cuit, moulu et délayé dans de l'eau) préparée à partir de graines de maïs et d'amarante.
tzohualli /tsowal-λ(i)/ pâte de graines d'amarante (le plus souvent, de l'amarante blanche, d'où parfois le terme plus précis de michihuauhtzohualli), employée et consommée à l'occasion de certaines cérémonies religieuses, par exemple sous forme de tortilla à base de cette pâte, le tzohuallaxcalli /tsowal-λaškal-λ(i)/ (tlaxcalli: tortilla), préparées à l'occasion du 'baptême' d'un petit garçon. Ici encore, je vous fais grâce des nombreux termes décrivant les différentes sortes de gâteaux à usage cérémoniel à base de pâte d'amarante. Noter néanmoins qu'on donne à manger du tzohualli aux futures victimes de certains sacrifices humains.
Le terme n'a pas toujours un emploi positif: le verbe dérivé michihuauhyōtia /michi-waw-yō-tia/ signifie ajouter de la pâte d'amarante blanche (ou du lait blanchâtre d'amarante) à quelque chose, ie couper un produit avec un produit de moins bonne qualité.
Dernière édition par gilou le Wednesday 14 Jul 10, 11:54; édité 1 fois |
|
|
|
|
Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
|
écrit le Wednesday 14 Jul 10, 8:13 |
|
|
Est-ce que ces huauhtli contiennent parmi leurs variétés le quinoa d'Amérique du Sud qui, en tant que chénopode, est aussi une Amaranthacée ? |
|
|
|
|
gilou
Inscrit le: 02 Jan 2007 Messages: 1528 Lieu: Paris et Rambouillet
|
écrit le Wednesday 14 Jul 10, 11:46 |
|
|
Que je sache, le quinoa (Chenopodium Quinoa) n'a pas été cultivé en Amérique centrale, seulement en Amérique du sud (ou un autre chénopode, Chenopodium Pallidicaule est aussi exploité). Les aztèques consommaient un autre chénopode local, Chenopodium Berlandieri Nuttalliae (et pour être complet, il y a eu sans doute une exploitation de Chenopodium Berlandieri Jonesianum et de Chenopodium album en Amérique du nord). Ils en cultivaient diverses formes, certaines pour les feuilles (comme nos épinards), d'autres pour les inflorescences (penser broccoli) et d'autres enfin pour les graines. Le nom en espagnol mexicain est huauzontle et provient très probablement du nahuatl huauhtzontli /waw-tson-λ(i)/ "amarante-cheveux étamines": étamines d'amarante.
Pour les amarantes, ce sont les variétés Amaranthus Cruentus et Amaranthus Hypochondriacus qui sont cultivées au Mexique, tandis que l'on cultive la variété Amaranthus Caudatus dans les Andes, appelée quihuicha en espagnol sud-américain.
La racine nahuatl waw- n'a pas un usage limité aux amarantes, puisqu'elle serait aussi employée pour le chénopode sus-mentionné, et pour une plante d'une autre espèce encore (Argemone mexicana).
Le terme quechua pour quinoa est kinwa (certains dialectes ont en plus de cette forme de base des variantes kinuwa et kiwna), et celui pour quihuicha, kiwicha, peut être un dérivé diminutif (-cha) sur kiwi, café (la plante). L'influence de ces mots explique probablement une dernière variante dialectale (relativement rare) de kinwa, kiwina dérivée de kiwna.
Références:
On the Origins of the Cultivated Chenopods - Ch. Heiser Jr & D. Nelson - Genetics
Domestication of Plants in the Americas: Insights from Mendelian and Molecular Genetics - B. Pickersgill - Annals of Botany |
|
|
|
|
Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11201 Lieu: Meaux (F)
|
écrit le Wednesday 05 Feb 20, 11:45 |
|
|
Outis a écrit: | Il ne fait guère de doute que ce μαραίνω est, avec une suffixation probablement analogique, issu de la racine *mr- « mourir », |
Je suggère que cette racine (*mer- ?) soit ajoutée au titre et dans l'index. |
|
|
|
|
embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3875 Lieu: Paris
|
écrit le Wednesday 05 Feb 20, 16:12 |
|
|
Je me demande si on doit vraiment indiquer cette racine dans l'index dans la mesure où elle est juste mentionnée mais non étudiée. D'autre part elle n'est pas parfaitement identifiée *mer- ou*mr- ?
Du reste, d'une manière générale, les racines, qui ne sont pas des mots, ont-elles vocation à figurer dans l'index des MDJ ?
J'en ai ajouté une ou deux à ta demande, Papou, mais je me demande a posteriori si c'était judicieux. Se pose d'ailleurs la question de l'identification de la langue (IE, indo-européen ?) |
|
|
|
|
dawance
Inscrit le: 06 Nov 2007 Messages: 1897 Lieu: Ardenne (belge)
|
écrit le Thursday 06 Feb 20, 0:40 |
|
|
Des "Précieuses ridicules", si je ne me trompe : "Ne dites pas qu'elle est de amarante, dites plutôt qu'elle est de ma rente !" |
|
|
|
|
|