Projet Babel forum Babel
Contact - Règles du forum - Index du projet - Babéliens
INSCRIPTION - Connexion - Profil - Messages personnels
Clavier - Dictionnaires

Dictionnaire Babel

recherche sur le forum
Les verbes impersonnels - Langues d'ici & d'ailleurs - Forum Babel
Les verbes impersonnels
Aller à la page 1, 2  Suivante
Créer un nouveau sujet Répondre au sujet Forum Babel Index -> Langues d'ici & d'ailleurs
Voir le sujet précédent :: Voir le sujet suivant
Auteur Message
Horatius
Animateur


Inscrit le: 11 Apr 2008
Messages: 695

Messageécrit le Monday 28 May 12, 15:10 Répondre en citant ce message   

Horatius - Cette discussion est issue du fil la fonction "sujet" en langue française
Alkumae a écrit:
gilou a écrit:
La notion de sujet grammatical est un vaste problème.
Déjà les grammairiens latins se posaient (très justement) la question du sujet dans plŭit "il pleut".

En ce qui me concerne, je pense que c'est une notion empirique, basée sur la constatation suivante: Les langues indo-européennes (dans leur grande majorité) et sémitiques ont un même marquage morphologique pour:
- L'actant unique d'un verbe mono-actanciel.
- L'agent d'un verbe bi-actanciel [Cette notion d'agent est sémantique. On oriente l'action verbale. Dans certaines langues, il y a parfois des verbes bi-actanciels sémantiquement non-orientés, mais c'est un phénomène minoritaire.]

La notion de sujet grammatical s'en déduit: le sujet défini comme étant est le terme associé à ce marquage morphologique.
Quand on a voulu transposer ce modèle, comme modèle universel à l'ensemble des langues, les problèmes ont commencé à se poser.

On a alors observé le phénomène usuel quand les faits ne collent pas avec une théorie: On plaque la théorie sur les faits pour les faire coller avec celle ci.
Cela aboutit souvent a des contorsions cocasses pour théoriser sur des phrases courantes dans certaines langues.

Le verbe latin à valence nulle plŭit se voit transformé en verbe mono-actanciel à sujet "zéro"... (les grammairiens latins déjà parlaient d'un sujet 'Jupiter' pour faire rentrer ce verbe dans le moule de la théorie )

Vous avez mentionné le plŭit "il pleut" et les grammairiens latins qui parlaient d'un éventuel sujet 'Jupiter' pour faire correspondre la théorie à la pratique. Je vous rappelle que déjà au IXe et VIIIe siècle ACN, Homère et Hésiode (et sûrement d'autres) utilisaient tel quel Ζευς ύει, "Zeus pleut".
Pour moi la question n'est donc pas : les grammairiens -latins ou grecs- essayaient-ils vainement de faire entrer le verbe pleuvoir dans un moule théorique? mais bien : la forme impersonnelle que nous avons en latin et en français n'est-elle pas l'héritage de l'utilisation grecque de Ζευς comme sujet? D'un point de vue linguistique historique, cela me semble probable.


Je n'en suis pas si sûr... et ce n'est pas l'interprétation traditionnelle. Ce n'est pas parce qu'Homère le dit que c'est forcément la structure originelle.
Chantraine note :
Citation:
"ύει : dans ce tour ancien, le procès est exprimé en tant que non personnel, comme pur phénomène, mais par une sorte de rationalisation on a pu dire Ζευς ύει."


Dernière édition par Horatius le Tuesday 29 May 12, 19:57; édité 2 fois
Voir le profil du Babélien Envoyer un message personnel
Alkumæ



Inscrit le: 27 May 2012
Messages: 15

Messageécrit le Monday 28 May 12, 19:11 Répondre en citant ce message   

Là, c'est moi qui n'en suis pas si sûr.

Le Bailly nous dit que le verbe est impersonnel "Il pleut" dans Hés. O.550 : ύει. Je suis donc allé regarder (vers 552 en fait), et la traduction que donne Evelyn-White est :
"a fruitful mist is spread over the earth[...] sometimes it turns to rain towards evening, and sometimes to wind[...]"
Serait-ce réellement impersonnel ? Je n'en suis vraiment pas convaincu.

En regardant le Bailly, à ύω, on voit comme sens premier : faire pleuvoir. Ce verbe se trouve même à la forme passive, il ne peut donc être impersonnel. Dans les textes les plus anciens (Iliade et Odyssée, Hésiode, Hérodote, et plus tard Lucien), Ζευς ou ϴεός est sujet de ύε ou ύει. Il semblerait à travers tous ces textes que Ζευς soit le sujet, exprimé ou non, de ύω. Vous m'avez dit plus haut qu'également les latins utilisaient cette tournure, avec Iupiter pour expliquer plŭit. L'interprétation traditionnelle serait donc bel et bien la pluie tombant par la volonté de leur dieu, car je ne connais pas plus traditionnel que les Grecs ou Latins.

EDIT : je viens de voir http://projetbabel.org/forum/viewtopic.php?t=17718 où sont différenciés traditionnel moderne et traditionnel dans l'Antiquité.

Ζευς ύει est une sorte une rationalisation: est-ce l'interprétation moderne? Si oui, ce point de vue, auquel je n'adhère pas actuellement, me semble plausible et défendable. Mais je ne connais pas suffisamment les hypothèses modernes pour m'y attaquer, apparemment sur Babel je pourrai un peu me familiariser avec ces théories et me faire une idée. Mais en tous cas, pour la tradition antique, il semblerait que le verbe pleuvoir ne soit pas impersonnel.

gilou a écrit:
Il y a bon nombre de langues ou on ne cherche pas a faire apparaître un sujet inexistant comme un deus ex-machina. Le nahuatl tōna "il fait chaud" est une forme verbale sans marque de personne, et elle n'en présuppose aucune (ni donc de sujet).

Apparemment, en grec, on ne cherche pas à faire "apparaître" un sujet, il est bien présent. Je ne connais absolument pas le nahuatl (ni n'en ai entendu parler jusqu'à présent... inculture, quand tu nous tiens!), mais ne serait-ce pas éventuellement le contraire de ce que dit Chantraine, une sorte de dépersonnalisation (empruntée à l'espagnol, ou directement au latin, où l'on a pensé que plŭit était impersonnel) ?


Pourquoi pensez-vous qu'il ne soit pas possible que pleuvoir ait un sujet? En se tournant vers le passé classique, il semblerait qu'un sujet lui soit attribué, d'où, qu'il soit sous-entendu par la suite.

Dans un autre registre, il serait peut-être de bon ton de déplacer la partie "pleuvoir" de nos messages vers le café ?
Voir le profil du Babélien Envoyer un message personnel
Athanasius



Inscrit le: 23 Feb 2009
Messages: 242
Lieu: Dinant

Messageécrit le Tuesday 29 May 12, 7:01 Répondre en citant ce message   

Quelque chose m'échappe dans certaines réflexions qui entourent l'extrait suivant:

Citation:
ύει [il pleut]: dans ce tour ancien, le procès est exprimé en tant que non personnel, comme pur phénomène, mais par une sorte de rationalisation on a pu dire Ζευς ύει [Zeus pleut].

Dans mes cours universitaires (histoire des religions, entre autres), j'ai appris que dans la mentalité «primitive»:

- les phénomènes naturels, souvent impressionnants, sont attribués à des êtres divins.

- le concret et le personnel précèdent l'abstrait et le rationnel;

Comment les (ou des) linguistes peuvent-ils alors soutenir en quelque sorte le contraire, en disant que la tournure dite impersonnelle, et «abstraite» («il pleut»), soit devenue personnelle et ait été ainsi «rationalisée» («Zeus/Dieu pleut»)?

On peut se demander si ce n'est pas exactement le contraire, et cela pour tous les verbes dits impersonnels; deux exemples:

- En latin, decet, «il convient» («il est décent»), pourrait avoir signifié à l'origine: «Dieu [ou un autre être divin] accepte/reçoit (comme décent)» (decet est apparenté au grec δέχομαι, «recevoir»);

- En grec ancien, δεῖ, «il faut» (apparenté à δεῖ, «il lie/attache», cf. le rapport entre ligatio et obligatio), pourrait avoir signifié d'abord: «Dieu lie/oblige/impose».

Pure hypothèse? Sans doute, mais hypothèse qui me paraît au moins aussi recevable que son contraire. En tout cas, ce qu'écrit Alkumae sur l'emploi le plus ancien de ὕει, «il [Zeus] pleut», va dans ce sens, et non dans le sens opposé.
Voir le profil du Babélien Envoyer un message personnel
Alkumæ



Inscrit le: 27 May 2012
Messages: 15

Messageécrit le Tuesday 29 May 12, 12:04 Répondre en citant ce message   

Athanasius a écrit:

- les phénomènes naturels, souvent impressionnants, sont attribués à des êtres divins.

- le concret et le personnel précèdent l'abstrait et le rationnel;


C'est ce que je serais tenté de croire également. Ca me semble logique, et ce genre d'expression liée au phénomènes naturels aurait évolué ensuite vers la forme impersonnelle, de même qu'avant de déclarer le soleil une étoile, l'homme l'a déifié.
Voir le profil du Babélien Envoyer un message personnel
Mechthild



Inscrit le: 01 Sep 2011
Messages: 119
Lieu: Wien/Vienne, Autriche

Messageécrit le Tuesday 29 May 12, 14:53 Répondre en citant ce message   

Athanasius a écrit:
En latin, decet, «il convient» («il est décent»), pourrait avoir signifié à l'origine: «Dieu [ou un autre être divin] accepte/reçoit (comme décent)» (decet est apparenté au grec δέχομαι, «recevoir»);

Que faire, dans ce cas, des autres verbes impersonnels comme miseret (il me désole), pudet (j'en ai honte), iuvat (il m'amuse)? L'hypothèse "Dieu accepte comme amusant etc." ne me paraît pas vraiment satisfaisante.
Peut-être ces expressions ont été formées d'après l'exemple de decet?
Voir le profil du Babélien Envoyer un message personnel
Alkumæ



Inscrit le: 27 May 2012
Messages: 15

Messageécrit le Tuesday 29 May 12, 15:23 Répondre en citant ce message   

Concernant miseret, je vois chez Lucrèce "avoir pitié" (dicolatin.com). Il pourrait s'agir également d'une construction à l'origine avec le mot Iupiter ou deus, qui ferait alors des phrases où ce verbe apparait comme impersonnel quelque chose du genre : "Il me désole de voir ..." qui serait à la base "que Jupiter ai pitié en voyant ..."

Mais la question ici n'est pas de discuter de l'existence de verbes impersonnels, mais de leur origine. Nous ne pouvons nier l'existence actuelle - même éventuellement dans l'antiquité grecque ou latine - des constructions impersonnelles telles que Il pleut (morphème de personne bloqué sur la 3e personne du singulier), mais d'où sortent-ils ? La question à se poser est la suivante :
- Les formes impersonnelles ont-elles été utilisées telles quelles à l'origine // ou // sont-ce là une évolution de constructions personnelles qui ont été au fil du temps transformées et établies comme impersonnelles, voire même donnant lieu à la formation de nouvelles formes impersonnelles basées sur un modèle impersonnel qui ne l'était pas à l'origine ?
Voir le profil du Babélien Envoyer un message personnel
gilou



Inscrit le: 02 Jan 2007
Messages: 1528
Lieu: Paris et Rambouillet

Messageécrit le Tuesday 29 May 12, 19:20 Répondre en citant ce message   

Athanasius a écrit:
Comment les (ou des) linguistes peuvent-ils alors soutenir en quelque sorte le contraire, en disant que la tournure dite impersonnelle, et «abstraite» («il pleut»), soit devenue personnelle et ait été ainsi «rationalisée» («Zeus/Dieu pleut»)?
C'est très facile à soutenir.
Je vais d'abord prendre une analogie:
- Les anciens constatent que l'on tombe malade.
- Ils ne disposent pas de l'appareil théorique leur permettant d'expliquer la cause du phénomène.
- Ils proposent donc une explication recevable dans le cadre de leurs système du monde (les dieux/sorcières/tirs d'elfes sont a l'origine de la maladie)

C'est la même chose ici:
- Les anciens constatent que pluit a la forme d'un verbe à la 3e personne du singulier.
- Ils ne disposent pas de l'appareil théorique leur permettant d'expliquer la cause du phénomène (cet accord).
- Ils proposent donc une explication recevable dans le cadre de leurs système du monde (Un dieu est l'actant implicite auquel réfère l'accord verbal)

Alors que l'accord de pluit a la 3e personne du singulier est tout à fait logique d'un point de vue grammatical: la 3e personne est la personne qui n'est pas marquée vis a vis d'un des deux participants à l'acte de parole, et même chose pour le singulier qui est la forme non-marquée vis à vis de la pluralité. C'est une règle générale pour les verbes sans actants, cet accord (dans les langues ou le verbe est accordable) a la forme la plus neutre. Je n'y connais pas d'exception.

Pour moi, la rationalisation théologique est une explication à posteriori d'un phénomène qui a une explication grammaticale simple.

Citation:
Que faire, dans ce cas, des autres verbes impersonnels comme miseret (il me désole), pudet (j'en ai honte), iuvat (il m'amuse)? L'hypothèse "Dieu accepte comme amusant etc." ne me paraît pas vraiment satisfaisante.
C'est tout à fait autre chose, parce qu'ici, on a un actant implicite, le locuteur.
Je ne connais pas assez la situation latine, mais dans nombre de langues, les verbes de sensation ou de sentiments (ie décrivant un état physique ou psychologique non-contrôlable) ont souvent une syntaxe spécifique.
Voir le profil du Babélien Envoyer un message personnel
Alkumæ



Inscrit le: 27 May 2012
Messages: 15

Messageécrit le Wednesday 30 May 12, 0:19 Répondre en citant ce message   

C'est également facile à démentir :
- Les anciens savent que pluit a la forme d'un verbe à la 3e personne du singulier.
- Ils connaissent la cause de ce phénomène, la 3e personne du singulier représente Iupiter, de la même manière que dans la Grèce antique il représentait Ζευς.
- Ils ont donc une explication recevable (Un dieu est l'actant implicite auquel réfère l'accord verbal, qu'il n'est pas nécessaire de préciser puisque le phénomène est clair aux yeux de tous).
- Les linguistes modernes n'acceptent pas cette explication et la font donc passer pour une rationalisation à postériori de la part des anciens.

Tout comme il est impossible de comprendre le Moyen Age en Occident sans tenir compte de la position qu'y occupait la Chrétienté, il n'est pas possible de comprendre les choix de l'Antiquité sans inclure leur mythologie dans l'équation.
Les plus anciens textes grecs où ύει apparait sont précédés de Ζευς. Pour moi, la théorie de la rationalisation théologique à postériori est une explication moderne d'un phénomène qui a une explication grammaticale simple, à savoir : le sujet divin est sous-entendu.
Mais nous pouvons tourner en rond longtemps de la sorte.

Je répète donc la question qu'il faut, pour moi, se poser :
- Les formes impersonnelles
1) ont-elles été utilisées telles quelles à l'origine et la rationalisation théologique dans l'Antiquité est-elle une tentative de faire entrer les verbes impersonnels dans un système linguistique ne le permettant pas ?
2) sont-ce là une évolution de constructions personnelles qui ont été au fil du temps transformées et établies comme impersonnelles, voire même donnant lieu à la formation de nouvelles formes impersonnelles basées sur un modèle impersonnel qui ne l'était pas à l'origine ?

- Et plus important :
3) est-il possible de démontrer l'une ou l'autre possibilité ?

Si non, cette discussion elle-même n'a aucune utilité car chacun tentera de faire adhérer l'autre à une théorie possiblement fausse.
Voir le profil du Babélien Envoyer un message personnel
Athanasius



Inscrit le: 23 Feb 2009
Messages: 242
Lieu: Dinant

Messageécrit le Wednesday 30 May 12, 10:23 Répondre en citant ce message   

gilou a écrit:
C'est la même chose ici: les Anciens constatent que pluit a la forme d'un verbe à la 3e personne du singulier etc.

Gilou, justement, ce n'est pas «la même chose»; et encore moins en ce qui concerne la tournure grecque (qui apparaît bien avant la latine).

Vous mettez au contraire davantage le doigt sur l'opposition formelle entre historiens des religions et linguistes (linguistes du moins partisans de la théorie que vous défendez).

Pour reprendre votre terminologie, et en gardant le parallèle avec le raisonnement sur la maladie, les historiens des religions diront:
- Les Anciens constatent que la pluie tombe (et non, en caricaturant un peu, que la forme verbale pluit apparaît brusquement, comme un véritable deus ex machina, avant même le phénomène qu'elle décrit!).
- Ils ne disposent pas de l'appareil théorique leur permettant d'expliquer la cause du phénomène.
- Ils proposent donc une explication recevable dans le cadre de leur système du monde: Dieu est à l'origine de la pluie: «Dieu fait pleuvoir/Dieu pleut».

Pour tenter de répondre en même temps aux questions posées par Alkumae à la fin de son dernier message, on peut ajouter qu'aussi loin qu'on remonte dans le temps, c'est-à-dire vers les manifestations les plus anciennes connues de la pensée «primitive», qu'il s'agisse de mythologie ou de langage, on constate que c'est un Dieu qui pleut.

Rappelons la description mythologique de la plus ancienne pluie connue: celle de l'époque de Deucaléon et Pyrrha: c'est Zeus qui fait pleuvoir.

On peut mentionner aussi la célèbre pluie d'or qui a fécondé Danaé: c'est Zeus qui pleut.

Tournons-nous vers l'Ancien Testament: dès le début de la Genèse, l'auteur décrit le temps où il n'y avait pas encore de plantes ou d'herbes, «car le Seigneur Dieu n'avait pas (encore) fait pleuvoir sur la terre» (2, 5).

A l'époque de Noé, ce même Dieu ordonne à Noé de construire son arche: «Car moi, je vais faire venir le déluge, une inondation sur la terre» (6, 17).

Inutile de rappeler tous les exemples homériques et hésiodiques cités par Alkumae.

Quand, chez Hérodote, Crésus prie pour que le bûcher sur lequel il se trouve cesse de brûler, il invoque Zeus qui l'exauce en faisant tomber la pluie.

Aucune trace concrète, dans tout cela, d'un «il pleut» impersonnel.

Ma question initiale est donc restée sans réponse: comment, en disant que la tournure impersonnelle «il pleut» a été créée la première, peut-on sérieusement soutenir le contraire de ce que nous apprennent non seulement les historiens des religions, mais aussi les témoignages les plus reculés des Anciens eux-mêmes?


Dernière édition par Athanasius le Wednesday 30 May 12, 12:08; édité 1 fois
Voir le profil du Babélien Envoyer un message personnel
Athanasius



Inscrit le: 23 Feb 2009
Messages: 242
Lieu: Dinant

Messageécrit le Wednesday 30 May 12, 11:02 Répondre en citant ce message   

Mechthild a écrit:
Que faire, dans ce cas, d'autres verbes impersonnels comme miseret, pudet, iuvat? [...] Peut-être ces expressions ont été formées d'après l'exemple de decet?

L'hypothèse de l'origine «personnelle» de tous les verbes dits impersonnels n'est pas incontestable. Je ne faisais que la formuler et ne prétends pas l'avoir prouvée, très loin de là!

Mais l'exemple du latin decet, «il convient [il est “recevable”]», me paraît éloquent du fait qu'en grec, δέχομαι, «recevoir», est indubitablement un verbe personnel; on serait donc tenté, tout au moins dans ce cas-ci, de conclure: l'emploi personnel précède l'impersonnel. Et on pourrait citer d'autres exemples analogues.
Voir le profil du Babélien Envoyer un message personnel
gilou



Inscrit le: 02 Jan 2007
Messages: 1528
Lieu: Paris et Rambouillet

Messageécrit le Wednesday 30 May 12, 15:18 Répondre en citant ce message   

Athanasius a écrit:
gilou a écrit:
C'est la même chose ici: les Anciens constatent que pluit a la forme d'un verbe à la 3e personne du singulier etc.

Gilou, justement, ce n'est pas «la même chose»; et encore moins en ce qui concerne la tournure grecque (qui apparaît bien avant la latine).

Vous mettez au contraire davantage le doigt sur l'opposition formelle entre historiens des religions et linguistes (linguistes du moins partisans de la théorie que vous défendez).

Pour reprendre votre terminologie, et en gardant le parallèle avec le raisonnement sur la maladie, les historiens des religions diront:
- Les Anciens constatent que la pluie tombe (et non, en caricaturant un peu, que la forme verbale pluit apparaît brusquement, comme un véritable deus ex machina, avant même le phénomène qu'elle décrit!).
- Ils ne disposent pas de l'appareil théorique leur permettant d'expliquer la cause du phénomène.
- Ils proposent donc une explication recevable dans le cadre de leur système du monde: Dieu est à l'origine de la pluie: «Dieu fait pleuvoir/Dieu pleut».
Je ne pense pas du tout que cela fonctionne ainsi: La constatation vient avant l'explication, et la constatation de la chute de la pluie vient avant l'explication des causes de cette chute.
Il y a d'abord constatation d'un phénomène, et verbalisation afin de communiquer l'existence du phénomène à d'autres (quand je communique 'il pleut', j'exprime un phénomène constaté, sans en chercher la cause, pas plus que quand je dis 'c'est rouge' je ne cherche à savoir si c'est dieu, Picasso ou une baie de garance la cause de la coloration constatée, et je ne vois pas pourquoi il devrait en être différemment pour les anciens grecs ou romains). Et il y a une explication logique a l'emploi d'une troisième personne du singulier dans une telle situation.

Citation:
comment, en disant que la tournure impersonnelle «il pleut» a été créée la première, peut-on sérieusement soutenir le contraire de ce que nous apprennent non seulement les historiens des religions, mais aussi les témoignages les plus reculés des Anciens eux-mêmes?
Tout simplement parce que si les compétences des historiens des religions touchent à l'histoire des religions, elles n'ont aucune validité en ce qui concerne la mécanique du fonctionnement des langues. Quand les linguistes constatent un phénomène général dans les langues du monde (utilisation de la 3e personne du singulier pour ce type d'énoncé verbal exprimant la constatation d'un phénomène météorologique), et que son explication en termes purement linguistiques (utilisation de la forme la plus neutre) est simple et suffisante, ils n'ont aucune raison d'aller chercher des explications supplémentaires dans des concepts qui me semblent quelque peu datés comme celui de 'la mentalité primitive' à la Levy-Strauss.

Si néanmoins quelqu'un a des exemples de langue qui exprime le fait de pleuvoir par un verbe (et non une tournure 'la pluie tombe') qui serait au féminin (donc dans une langue ou la 3e personne est différente selon qu'elle a un actant masculin et féminin, comme dans certaines langues sémitiques) et ou la mythologie de la population parlant cette langue associe la pluie à une déesse, je suis preneur.
Voir le profil du Babélien Envoyer un message personnel
Athanasius



Inscrit le: 23 Feb 2009
Messages: 242
Lieu: Dinant

Messageécrit le Wednesday 30 May 12, 17:02 Répondre en citant ce message   

gilou a écrit:
Il y a d'abord constatation d'un phénomène, et verbalisation afin de communiquer l'existence du phénomène à d'autres.

En soi, ce raisonnement n'est pas absurde; mais ce qui semble ici purement spéculatif, c'est d'affirmer qu'il y a eu justement, pour décrire ce phénomène, au départ (au lieu de «la pluie tombe», par exemple, ou «le ciel est pluvieux», ou encore «l'air pleut») une tournure impersonnelle: «il pleut», alors que tous les textes les plus anciens vont en sens contraire.

Si l'on acceptait votre point de vue, il se serait alors passé ceci: les Anciens constatent d'abord, avec un verbe impersonnel: «il pleut»; ensuite, dans les différentes traditions citées, et cela chaque fois au moment où on voit apparaître les textes, ils en sont au «stade» où ils écrivent: «Dieu pleut»; on laisse passer encore quelque siècles, et les Anciens, toujours aussi religieux mais nostalgiques, et ayant perdu le goût de «rationaliser», reviennent globalement à l'ancien impersonnel: «il pleut».

Ma foi, cela me paraît un peu compliqué mais pourquoi pas?

gilou a écrit:
Les linguistes [...] n'ont aucune raison d'aller chercher des explications supplémentaires dans des concepts qui me semblent quelque peu datés comme celui de «la mentalité primitive» à la Levy-Strauss.

Et je ne disais d'ailleurs pas avoir adopté ces concepts. A moi aussi, ils paraissent datés (car les vérités changent vite, ai-je appris récemment sur ce forum).

gilou a écrit:
Si néanmoins quelqu'un a des exemples de langue qui exprime le fait de pleuvoir par un verbe qui serait au féminin [...], je suis preneur.

Je n'ai pas un tel exemple à vous proposer, mais ayant effectué encore une petite enquête dans l'antique Egypte, je vous en livre les résultats, à vous ainsi qu'aux autres intéressés:

Dans les Mémoires de littérature (Paris, 1768), l'Abbé Barthélemy écrit (article «Rapports de la langue égyptienne avec la langue grecque», p. 229):

Citation:
Parmi les verbes grecs, empruntés des Egyptiens, je cite d'abord ὕω, «pleuvoir»; les Egyptiens disaient [caractères coptes] (hoii).

Plus exactement, en ancien égyptien, on disait hwi (houi) et hii.

Indépendamment de la question de l'historicité de cet emprunt (très possible, particulièrement intéressante dans le cadre de notre discussion, mais non indispensable), il faut remarquer que le hiéroglyphe qui sert à écrire le verbe - hiéroglyphe attesté très tôt en Egypte - est un homme frappant avec un bâton, ce qui fait entrer le mot dans la catégorie des verbes d'action plus ou moins violente et... personnels!

Selon les dictionnaires de Faulkner et de Gardiner, hwi/hii signifie d'ailleurs en premier lieu «frapper/battre», «pleuvoir» étant un sens secondaire.

Signalons aussi que selon Plutarque, Isis et Osiris, § 34, le verbe «pleuvoir» est étroitement associé à l'idée d'engendrer et au dieu Osiris. Il fait remonter l'association de ces notions à l'historien Hellanicos (un peu antérieur à Hérodote), et plus précisément aux prêtres égyptiens qu'Hellanicos avait fréquentés, ce qui atteste l'ancienneté de cet enseignement.
Voir le profil du Babélien Envoyer un message personnel
Mechthild



Inscrit le: 01 Sep 2011
Messages: 119
Lieu: Wien/Vienne, Autriche

Messageécrit le Wednesday 30 May 12, 20:11 Répondre en citant ce message   

En grec, il y a aussi le verbe βρέχειν dont le premier sens est "arroser" mais qui donne aussi la forme βρέχει "il pleut" (ce qui signifie aussi "XY pleut/fait pleuvoir").
Le fait que la première signification soit transitive semble confirmer que la tournure "Zeus pleut" est plus ancienne.
Voir le profil du Babélien Envoyer un message personnel
gilou



Inscrit le: 02 Jan 2007
Messages: 1528
Lieu: Paris et Rambouillet

Messageécrit le Wednesday 30 May 12, 22:07 Répondre en citant ce message   

Athanasius a écrit:
gilou a écrit:
Il y a d'abord constatation d'un phénomène, et verbalisation afin de communiquer l'existence du phénomène à d'autres.

En soi, ce raisonnement n'est pas absurde; mais ce qui semble ici purement spéculatif, c'est d'affirmer qu'il y a eu justement, pour décrire ce phénomène, au départ (au lieu de «la pluie tombe», par exemple, ou «le ciel est pluvieux», ou encore «l'air pleut») une tournure impersonnelle: «il pleut», alors que tous les textes les plus anciens vont en sens contraire.
Je ne connais pas assez le cas du grec (Ζεὺς ὗε chez Homère, ὁ θεὸς ὕει chez Hérodote, ὕει ailleurs) pour me prononcer, mais ce n'est pas le cas du latin pour les souvenirs que j'en ai ("dum pluit in terris" me vient en tête).
Voir le profil du Babélien Envoyer un message personnel
Athanasius



Inscrit le: 23 Feb 2009
Messages: 242
Lieu: Dinant

Messageécrit le Wednesday 30 May 12, 22:30 Répondre en citant ce message   

Mechthild a écrit:
En grec, il y a aussi le verbe βρέχειν.

C'est en effet le verbe utilisé dans la version des Septante de Genèse 2, 5 («Dieu n'avait pas plu etc.»), cité plus haut, là où Jérôme traduit par pluerat.

A propos de ce verbe, voici un extrait de l'Etymologicon magnum, 211, 54 ss., s.v. βρέχω, qui devrait intéresser tous les intervenants:

Le Etymologicon magnum a écrit:
On ne trouve pas [toutes] les formes actives de ce verbe, puisque les verbes dits actifs employés au cas direct [c'est-à-dire sans sujet explicitement exprimé] n'ont pas de première ni de deuxième personne. Car on ne dit pas «je (ἐγώ) pleus», ni «tu (σύ) pleus», mais on dit «pleut» (βρέχει), «neige», «tonne», à savoir «Dieu pleut etc.»

Toute pensée et tout discours, pour être parfait, doit être composé d'un nom et d'un verbe; par exemple: «Platon dit», «Démosthène parle». Sans eux, il n'y a aucune perfection. Car si je dis: «lit» [du verbe «lire»], je devrais dire aussi le sujet: «Théodore» ou quelqu'un d'autre. C'est qu'il peut y avoir de nombreux lecteurs.

Mais quand on demande: «Pleut?» (βρέχει; ), ou: «Tonne?», pourquoi n'ajoute-t-on pas de sujet? Eh bien! c'est parce qu'il n'y a qu'une seule personne pour faire ces choses, c'est-à-dire: Dieu.

Il en va de même pour le roi [ou: l'empereur]. On dit par exemple: «a accordé des honneurs», «a créé des licteurs». Nul besoin de préciser le sujet, parce qu'il n'y a qu'une seule personne pour faire ces choses.


L'extrait me paraît intéressant en ce sens que les verbes «pleuvoir» et apparentés (donc, liés à des phénomènes naturels) n'y sont pas considérés comme impersonnels, mais très explicitement comme personnels, et dont le sujet, invariablement le même, est sous-entendu. Or ce dictionnaire date du milieu du XIIe siècle.

Ce qui m'amène à la question: quels sont en fait les textes (anciens ou modernes) qui, les premiers, ont commencé à parler de «sujet impersonnel», du moins pour les verbes liés aux phénomènes naturels?
Voir le profil du Babélien Envoyer un message personnel
Montrer les messages depuis:   
Créer un nouveau sujet Répondre au sujet Forum Babel Index -> Langues d'ici & d'ailleurs Aller à la page 1, 2  Suivante
Page 1 sur 2









phpBB (c) 2001-2008