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Jacques
Inscrit le: 25 Oct 2005 Messages: 6531 Lieu: Etats-Unis et France
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écrit le Tuesday 16 May 06, 21:23 |
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Ces messages sont extraits du MDJ sabot : le rapport étymologique entre "savate" et "sabot" étant soumis à discussion, il a paru préférable de les traiter à part.
Le savetier ne fait pas que des savates. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11198 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Monday 26 Dec 11, 7:31 |
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Dans le MDJ sabot, Papou JC, le 10 avril 2010, a écrit: | Pour savate, en revanche, les choses sont claires : il vient de l’italien ciabatta ou du castillan zapato, eux-mêmes issus du turc çabata passé à l’arabe sous la forme sabbāṭ سباط . Ah ! comme il est tentant d'y voir aussi l'étymon de sabot ...
Le patronyme espagnol Zapatero signifie "savetier, cordonnier". |
Plus informé qu'il y a un an et demi, j'en sais aujourd'hui un peu plus sur savate ... ou plutôt un peu moins :
- Pour l'AED, l'arabe sabbāṭ est issu de l’espagnol zapato. C'est une hypothèse qui peut surprendre quand on sait que les étymologistes ont longtemps proposé le contraire.
- D’après le DRAE, zapato est issu d’un turc zabata ou çabata qui semble être une pure invention.
- Pour l’encyclopédie italienne Treccani, ciabatta est issu, via le turc, d’un persan ciabat qui semble être lui aussi une pure invention.
- Pour le plus prudent TLF, savate est tout simplement “d’origine obscure”.
Bref, le mystère de la savate reste entier.
En marge, on est en droit de s'interroger sur la capacité des dictionnaires à inventer ou colporter des mots soi-disant "turcs" ou "persans"... |
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José Animateur
Inscrit le: 16 Oct 2006 Messages: 10944 Lieu: Lyon
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écrit le Thursday 11 Apr 13, 15:11 |
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ciabatta : savate
ciabattare
- traîner les pieds
- (rare / fig.) bâcler
ciabattone : personne qui traîne les pieds |
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Xavier Animateur
Inscrit le: 10 Nov 2004 Messages: 4087 Lieu: Μασσαλία, Prouvènço
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écrit le Thursday 11 Apr 13, 17:15 |
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Alberto Nocentini présente pour l'italien ciabatta :
probablement dérivé du latin tardif sōga : corde, courroie, bande de cuir
adaptation toscane de l'émilien-romagnol zavata, de *sovatta
en vénitien : zavata, milanais : sciavatta, provençal sabato
Ce nom aurait alors désigné, à l'origine, la bande de cuir qui relie la chaussure au pied.
Dans le Bailly un mot grec est peut-être apparenté : σόκκος (sorte de lasso)
Mais ne serait pas apparenté au latin sŏccus : soque, espèce de pantoufle, d'où l'italien socco. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11198 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 11 Apr 13, 17:49 |
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Intéressant, bien que compliqué. Permettrait de comprendre comment l'arabe سبّاط [sabbāṭ] viendrait effectivement du castillan zapato, comme je l'ai lu chez plusieurs auteurs.
Dozy qui, dans un premier ouvrage, proposait une transcription inexacte de ثبّات [ṯabbāt], dérivé du verbe ثبت [ṯabata], “tenir bon, se maintenir, résister”, revient plus tard sur sa première hypothèse et donne ce mot comme d’origine basque.
En tout cas, ni turque ni persane. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11198 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Saturday 13 Apr 13, 10:14 |
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Xavier a écrit: | Alberto Nocentini présente pour l'italien ciabatta :
probablement dérivé du latin tardif sōga : corde, courroie, bande de cuir
adaptation toscane de l'émilien-romagnol zavata, de *sovatta |
Le passage de sōga à zavata ne saute pas aux yeux, même en recourant à la forme intermédiaire hypothétique *sovatta.
A-t-on d'autres exemples en italien de transformations comparables qui appuient cette thèse ? |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11198 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 14 Apr 13, 4:41 |
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La nuit porte conseil. Je crois avoir enfin trouvé - on verra plus loin que je ne suis pas le seul - l'origine de ces mots savate, zapato et autres ciabatta qui ont fait délirer tant de grands étymologues. C'était simple, bien sûr, mais il fallait y penser. Et quand je lis ici ou là, maintenant, ce qui a été écrit par tel ou tel sur ces mots, je ne peux m'empêcher, non de sourire, mais d'éclater de rire...
Car oui, la solution était simple, et à la portée de tout un chacun, pour peu qu'on se donne la peine de consulter, non des livres rares, mais le bien connu Gaffiot.
Jugez-en.
On prend le Gaffiot à la lettre S, et qu'est-ce qu'on trouve, dès la première colonne ? Ceci :
sabatenum : voir diabathrum.
Tiens, tiens ! C'est intéressant cette altération de dia en sa ! On va donc vite voir ce diabathrum, et qu'est-ce qu'on lit ?
diabathrum : chaussure de femme, latinisation du grec διαϐαθρον [diabathron].
Divine surprise ! On comprend que δια- est le préfixe bien connu, et l'on va alors consulter Chantraine qui, à l'article βαθρον, nous renvoie à l'article βαινω [bainô], “marcher”.
Et là, sur trois pages (156 à 158), on acquiert la preuve que διαϐαθρον est bien l'étymon de savate, via l'italien ciabatta, comme l'avait déjà compris le père salésien Biagio Amata, qui, dans son Lexicum, lettre C, se contente de mettre en regard les deux mots ciabatta et diabathrum, voulant dire que le deuxième est la traduction latine du premier. En fait, il n'est pas sûr qu'il ait perçu le lien étymologique, mais bon, en ce qui me concerne...
...Fin du mystère de la savate.
Pour le sabot, les recherches continuent... (ICI !) |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11198 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 14 Apr 13, 19:30 |
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Pour en savoir plus sur le verbe βαινω [bainô], et ses dérivés, voir le mot du jour abaton, etc.
Et aussi, parent proche de savate, diabète.
J'ai oublié : diabathrarius, d'après Gaffiot, "cordonnier pour les femmes et les hommes coquets". C'est donc l'étymon du français savetier et de l'espagnol zapatero...
Autre précision : six siècles séparent la forme altérée sabatenum (IVe après JC) de la forme originale diabathrum (IIe avant JC).
Je suis preneur de toute information sur d'éventuelles formes intermédiaires attestées. |
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Horatius Animateur
Inscrit le: 11 Apr 2008 Messages: 695
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écrit le Sunday 21 Apr 13, 13:32 |
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Des formes intermédiaires, tu n'en trouveras pas, Papou...
On a déjà bien du mal à traquer, sous sa forme originale, les rares attestations du mot en latin et en grec.
Voici tout ce que j'ai pu trouver :
Sur la racine βαίνω, il existe une série de mots comparables : selon Chantraine, ἐμϐάδες désigne des "chaussures ou sandales de feutre ou de cuir portées par les Béotiens, par les vieilles gens à Athènes" ; d'où le diminutif ἐμϐάδια n. pl. (Ar.) et ἐμϐαδᾶς, « savetier », surnom d'Anytos chez les comiques.
Les premières attestations du mot grec διάβαθρον se trouvent dans des fragments attribués à Alexis de Thurium, poète comique du IVe siècle av JC et chez le mimographe du IIIe siècle, Herondas. L'emploi de ce mot chez de tels écrivains, seulement, peut suggérer qu'il s'agit d'un terme populaire.
Le Thesaurus Linguae Graeciae ne répertorie qu'une vingtaine d'attestations de διάβαθρ- jusqu'au VIIe siècle ap JC.
En latin n'est attestée que la forme pluriel diabathra et ces attestations sont d'ailleurs extrêmement rares également :
Au IIIe s av JC on trouve le mot dans un fragment de Naevius rapporté par Varron (Ier siècle av JC) et, dans l'Aululaire de Plaute, le dérivé "diabathrarius".
Puis il faut attendre le grammairien Festus (IIe siècle ap JC), d'après l'abrégé de Paul Diacre.
Et enfin, sous la forme "sabatenum", dans la compilation anonyme de remèdes médicaux, appelée "Medicina Plinii", que l'on place de façon très incertaine entre le IIe et le IVe ap JC.
Voilà, c'est tout ce qu'on peut dire !
La notice la plus complète sur ce mot se trouve, à ma connaissance, dans l'article diabathrum du dictionnaire latin de Forcellini que je traduis ci-dessous :
Citation: | mot grec qui désigne une sorte de sandale grecque, d'après Festus chez Paul Diacre. Lindsay le fait venir de βαίνω, marcher. De là, l'italien ciabatta. Hesychius et Eustathe, dans leurs gloses d'Homère, expliquent qu'il s'agit de chaussures pour femme ; mais, à tort, Pollux en fait un objet commun aux hommes et aux femmes : en effet, un homme effeminé, qui se déplace avec des ornements féminins, est l'objet de raillerie, chez Naevius cité par Varron : "il avait des sandales (diabathra) et était couvert de vêtement de laine fine (epicrocum)." |
On aura noté que Forcellini fait bien remonter l'italien ciabatta à diabathrum. La forme "sabatenum", qui est un hapax, prouve que le passage d'une occlusive vers une constrictive (comme il se prononce dans les langues romanes) s'est donc déjà fait dans l'Antiquité.
Dernière édition par Horatius le Saturday 24 May 14, 9:53; édité 2 fois |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11198 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 21 Apr 13, 14:58 |
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Un très grand merci, Horatius, pour cette savante et méticuleuse recherche.
Il resterait, pour convaincre définitivement les sceptiques, à trouver d'autres exemples de dia- altéré en tsia-, zia-, cia-, sa-. J'ai cherché en vain de mon côté... Pourtant, il doit bien y en avoir.
Que dit Forcellini à l'article sabatenum (auquel il renvoie à la fin de diabathrum) ? |
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Horatius Animateur
Inscrit le: 11 Apr 2008 Messages: 695
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écrit le Sunday 21 Apr 13, 18:37 |
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"L'histoire des combinaisons avec un y forme un des chapitres les plus difficiles de la phonétique romane" (Meyer-Lübke, Phonétique Romane, p. 452).
Nous voilà prévenu...
Les pages de l'ouvrage consacrées à ce sujet m'ont paru bien compliquées, et je n'en ai pas retiré plus que ce que j'avais trouvé au préalable dans Väänänen (introduction au latin vulgaire) :
celui-ci donne des exemples de phénomènes non pas tout à fait semblables, mais néanmoins comparables à ce qui nous occupe :
diabolus noté zabolus, diaconus noté zaconus...
Il s'agit, comme nous, de cas d'assibilation, mais où la sifflante produite est sonore, et non pas sourde.
Pour sabatenum, Forcellini se contente de donner la référence à Plin.-Val. et à renvoyer à diabathrum |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11198 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 21 Apr 13, 18:52 |
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Horatius a écrit: | diabolus noté zabolus, diaconus noté zaconus...
Il s'agit, comme nous, de cas d'assibilation, mais où la sifflante produite est sonore, et non pas sourde. |
Voilà qui explique au moins certaines des formes régionales citées plus haut par Xavier rapportant Nocentini, et l'espagnol zapato.
Passer ensuite de la sonore à la sourde, je ne crois pas que ça pose vraiment un gros problème. D'ailleurs le z espagnol n'est pas sonore, il est sourd, comme le th anglais de thing.
Horatius, encore merci ! |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Monday 22 Apr 13, 9:41 |
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Papou JC a écrit: |
Passer ensuite de la sonore à la sourde, je ne crois pas que ça pose vraiment un gros problème.
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???
On aimerait des exemples de cette évolution sans gros problème … |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11198 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Monday 22 Apr 13, 10:01 |
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Cette unique question me réjouit. D'abord parce qu'elle émane de toi, qui nous fais le plaisir de ce retour qu'on espère durable, et ensuite parce que j'en déduis que tout le reste est acceptable. Le petit bout de chemin qui reste à parcourir, voyons si nous pouvons le faire ensemble.
Oui je prétends que passer d'une sifflante sonore à une sifflante sourde, sur quelques siècles, ne devrait pas être un problème insurmontable. Je donne l'exemple de zapato, où le z est sourd, comme tous les z castillans. Dans le cia- italien, il me semble que que le son est plus proche de /ts/ que de /tz/, et donc plutôt sourd que sonore. Dans ces conditions, passer d'une graphie ciabatum à une graphie sabatum (valant *zabatum), à une époque où l'on ne se préoccupait pas trop d'orthographe, cela te paraît-il vraiment impossible, incroyable, inimaginable, au point d'invalider tout le reste ?
Chez Gaffiot, tous les mots en zm- ont des graphies parallèles en sm-. C'est peu, mais c'est déjà quelque chose. |
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Berna
Inscrit le: 09 Dec 2009 Messages: 53 Lieu: Ankara
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écrit le Monday 22 Apr 13, 11:48 |
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J'ai trouvé le mot "çabata" (tchabata) dans un recueil de "cır" (chansons) tatars de la Ministère turque de culture:
HANEKE SULTAN CIRUVI
(...)
Gusman bir hafiz kızı idim,
Haneke sultan atlı idim,
Sehtiyan kiymes naz idim,
Çabata tapmay baramın
en turc:
Hafız Gosman'ın bir kızı idim,
Haneke Sultan idi adım,
Sahtiyan giymez nazlı idim,
Çarık bulamadan giderim.
en français:
J'étais une fille de Hafız Gosman
Je m'appelais Haneke Sultan
Je ne mettais pas de cuir de chèvre, j'étais dédaigneuse
(maintenant) je vais sans trouver même un soulier
et une danse tatare appelée "Çabata" à youtube:
http://www.youtube.com/watch?v=F8lIdBzBJLo |
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